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So la Lune : ascension, fatalisme et mélancolie

So la Lune : ascension, fatalisme et mélancolie

Sans oser de comparaison malvenue, les textes et les sentiments que nous livre So la Lune depuis 1 an produisent une mélancolie similaire à celle que l’on peut ressentir à la lecture de Spleen et Idéal de Charles Baudelaire. So la Lune n’est pas « le nouveau Baudelaire », ce serait inapproprié de l’affirmer, mais tout comme l’écrivain du 19ème siècle, il a conceptualisé son mal de vivre autour d’une œuvre dont les thèmes traitent du rêve, de l’amour mais aussi de beaucoup de désillusion. Et c’est ce dernier sentiment qui réunit les deux artistes. Charles Baudelaire a son Spleen et So la Lune nous expose ses « fissures de vie ».

Fissure de vie dans la voix, plus qu’un oubli dans la tête
Ca y est j’ai grandi maintenant, quand j’étais enfant, j’voulais faire l’tour de la Terre

So la Lune – Fissure de vie

Fissure de vie est le premier son que l’artiste a partagé sur les plateformes. Le ton est donné, il est introduit par les lignes ci-dessus et c’est déjà une claque. La formule traduit parfaitement le ressenti que l’on peut percevoir à l’écoute de sa musique. Il annonce ainsi la couleur dès le début, So la Lune est un rappeur pour qui la mélancolie et la nostalgie ont une place indéniable. C’est un rappeur avec une voix qui surprend mais aussi un rappeur dont la musicalité impressionne.

Ce concept fait partie intégrante de son champ lexical et il l’utilise en introduction de sa première mixtape Tsuki, sur le track Balade. Mais avant cela, So la Lune nous a délivré 10 titres de belle facture et a su montrer ce dont il est capable. Il a réussi à créer un certain engouement autour de sa musique et de son personnage. La « fissure de vie » est utilisée par l’artiste pour parler de cannabis par exemple mais cela peut aussi faire référence à une expérience passée et à un ressenti personnel.

Entre la rue, la drogue et les femmes, l’univers du rappeur reste assez classique, mais sa façon d’en parler est très sincère et imagée. C’est une recette qui lui permet de parfaitement transmettre ses émotions. Cette franchise se ressent dans l’imagerie de l’artiste. On le retrouve avec des clips simples mais bien produits et c’est finalement par sa voix que tout cet univers est sublimé. Elle donne beaucoup de profondeur à ses textes et touche l’auditeur tant dans les couplets que dans des refrains chantés. Il joue avec ce timbre si particulier mais il joue aussi avec les silences et c’est à la fois formidable et perturbant. So la Lune donne l’impression de s’amuser avec la prod alors que ce qu’il retranscrit n’a rien de joyeux. C’est assez paradoxal, mais il réussit parfois à nous faire sourire, par des placements, des références et certaines phases bien senties alors que
globalement son univers est plutôt morose.

Bien souvent touchant et mélancolique, So la Lune confirme ce paradoxe avec Becter, qui lui permet de développer une large palette. C’est un titre plus egotrip et cela lui réussi tout aussi bien. Même s’il use bien souvent de ce style, celui-ci se démarque dans le sens où l’on ne retrouve pas la même intonation que sur les autres tracks.

Après avoir attisé la curiosité autour de sa musique et 1 an après Fissure de vie, So la Lune dévoile Tsuki le 24 juillet. C’est alors son premier projet, une mixtape de 11 titres comme une suite logique après une année d’ascension rapide. C’est aussi l’occasion pour le rappeur francilien de livrer un projet cohérent et plus abouti qu’une suite de titre faisant ainsi office de présentation.

L’exercice réussit parfaitement à So la Lune. Même si le ton et les sonorités peuvent être similaires à ce que l’on connaissait, il arrive à prendre des risques, le refrain du titre Oulalala par exemple, sort de ses standards et surprend à la première écoute. Tsuki reste une mixtape très sombre et l’esthétique de la cover confirme cette volonté de l’artiste. Elle représente le rappeur, posté sur le toit d’un bâtiment, la lune en arrière plan. La composition rappelle la célèbre représentation d’Itachi Uchiwa, l’un des
principaux antagonistes du manga et de l’animé Naruto, qui après avoir décimé son clan, se pose sur un poteau électrique de Konoha, la lune dans le dos. L’hommage est explicit tant les références à Naruto sont innombrables, d’autant plus que le second titre du projet se nomme Shinobi. Dans l’histoire de Naruto, la lune a une place importante, tout comme pour l’artiste qui l’utilise en tant que nom de scène et que gimmick. De la même façon, l’instrumentale du titre La Bête peut rappeler les sonorités d’un OST d’animé. C’est une esthétique qu’il affectionne et pour cause, cela permet d’appuyer sur le côté obscur de tout cet univers.

Par ailleurs, le projet compte deux featurings. Le premier permet à Rouge Carmin de s’illustrer. Il est déjà apparu aux côtés de So la Lune et c’est un artiste de talent qui apporte de nouvelles sonorités au projet. Avec seulement deux titres solos sur les plateformes de streaming et l’EP Effet Papillon avec Bro 200 sur Soundcloud, on arrive déjà à comprendre le potentiel de l’artiste. Lorsque So la Lune l’appelle, ses apparitions sont toujours très efficaces. On peut notamment les retrouver sur le projet Slushville de Zzzucci avec le titre Anakin :

Le second invité n’est autre qu’Elh Kmer sur Alicante. Avec un couplet puissant il rentre aisément dans l’univers de So la Lune, et cela s’enchaine parfaitement avec le refrain ensoleillé, très à propos de la saison estivale. Ce titre rentre une nouvelle fois parfaitement dans le paradoxe évoqué en début d’article. On a un son d’été, dansant, mais avec toujours cette pointe de nostalgie. C’est un titre à écouter sur le retour des vacances. Il traduit tout à fait cette émotion un peu spéciale entre satisfaction d’avoir passé de bons moments et déjà ce sentiment que tout est passé trop vite.

Malgré une impression de facilité sur certaines rimes, il est difficile de critiquer le parcours réalisé par l’artiste en à peine un an. On ressent de suite l’importance de la musicalité chez So la Lune. Il a réussi à installer son personnage dans le paysage rap en France et commence à faire parler de lui. Cette mixtape confirme les espoirs qui étaient placés en lui et promet un bel avenir. C’est finalement un projet très cohérent dont la couleur varie peu mais qui s’écoute aisément. Les sentiments qui s’en dégagent sont intenses et relativement diversifiés. A travers ce projet, c’est le vécu de So la Lune qui nous est conté. Un vécu dans lequel on se reconnaît forcément par moment et c’est ce qui fait la force de Tsuki et de la musique du rappeur de façon générale. C’est par de fortes émotions que So la Lune a choisi de nous toucher et il le fait à la perfection. Il a réussi à diversifier sa palette à travers ce projet et les prises de risques sont à saluer. Sa musique, aussi vraie et sincère soit-elle, continuera sans aucun doute de nous toucher en plein cœur et espérons le, son talent finira par être reconnu par le plus grand nombre.