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Interview joaqm

Interview joaqm

À l’occasion de la troisième édition de l’évènement FRAP organisé par trente sept degrés en février dernier, nous avons pu rencontrer joaqm. Au détour de sa performance, il a accepté de répondre à nos questions autour de son univers et sa patte sonore.


7C : Ton dernier projet en date, la liste de lecture Fm 70.7 est sorti il y a plus d’un an aujourd’hui. Avec du recul, quel bilan en fais-tu ?

joaqm : Déjà, je tiens à préciser que c’est une mixtape et pas un album. Avec un an de recul, je pense que c’est un projet qui caractérise bien là où je veux emmener ma musique à l’avenir. C’est-à-dire qu’il y a des sons qui vont plus donner envie de bouger la tête, des bangers egotrip et d’un autre côté il y a des sons plus mélancoliques ou plus dansants. Moi, j’ai envie de retranscrire tout ça à travers mon rap, du coup je pense que c’est une bonne entrée en matière, comparé à RETROSPECTIVE MIXTAPE, car là, on est toujours dans l’esprit mixtape, mais avec une D.A. Je pense que c’est un projet qui intronise bien joaqm.

7C : Malgré le fait que tu n’aies rien sorti en 2022, j’ai l’impression que cette année t’as fait passé un cap au niveau de ta popularité et que tu es plus identifié par le public. Est-ce que tu penses qu’il faut du temps pour comprendre ta musique ?

j : Je pense que ma musique, il faut l’appréhender à 100% et il faut prendre le temps de l’écouter, de la réécouter, voire de sortir les lyrics et de prendre le temps de les lire. En vrai, je suis le premier surpris à voir l’engouement que ça prend, chaque mois j’ai de plus en plus d’auditeurs alors que je poste rien, donc ça reste encourageant pour la suite. Donc oui, je pense qu’il faut un peu de temps pour pouvoir assimiler ma musique, c’est pas un univers dans lequel on peut rentrer tout de suite, parce que je fais ma musique sans-filtres, j’essaye pas de rentrer dans un moule et je fais ce qui m’excite à l’instant-T. 

7C : J’ai l’impression que tu as réussi à créer ta patte sonore, notamment au niveau de ta voix et du choix des productions. Comment tu les choisis justement ?

j : J’ai des attentes particulières. Si tu veux, mon univers à la base c’est plus le hip hop des années 90, c’est comme ça que j’ai commencé à écouter de la musique. Petit à petit, j’ai commencé à tomber sur ce qui se faisait au début de Soundcloud, comme la future bass par exemple, ça a forgé une grosse part de mes influences. Donc les prods que j’ai envie de choisir en premier lieu, c’est des prods qui bouncent, qui donnent envie de bouger la tête et qui ont une âme, qui sont vivantes. Avec les gars de mon entourage, on a les mêmes influences et les sons que eux produisent, c’est des sons que moi j’aurais aimé produire, au final.

7C : Est-ce que tu bosses différemment quand c’est toi qui produis ? 

j : En général quand c’est moi qui produis, j’ai moins de pression pour écrire, parce que c’est moi l’auteur de la prod, j’ai de compte à rendre à personne. Alors que par exemple, quand c’est des mecs de mon équipe qui m’envoient des prods et qu’elles sont top niveau, là je me dis “bon, le frérot il a fourni ce taff là, donc il faut que je lui rende la pareille”. Sur ces sons là, je vais avoir plus de retenue, plus de réflexions en amont, alors que quand je fais les sons moi-même, il y a plus de spontanéité. Après ça m’empêche pas d’être spontané sur les prods de mes frérots, mais en général, j’ai cet instinct qui me dit “la prod tu l’as surkiffe, donc il faut que tu fasses un truc qui soit en adéquation avec l’état d’esprit du producteur”.

7C : Je trouve que tes paroles sont souvent abstraites, parfois critiques, tout en mêlant des sujets plus profonds et engagés. Est-ce que tu as un processus d’écriture particulier ? 

j : Non, j’ai pas de processus d’écriture. En général, je commence à écrire une première ligne, après tout le reste va se dérouler, la première ligne va engendrer la seconde et ainsi de suite. Dès qu’il y a une sonorité qui m’accroche, par exemple un mot qui se termine en -iche, je vais penser à un tas d’autres mots qui vont finir en -iche et je vais vraiment me focaliser sur ça. Quand il y a une idée qui retient mon intention, je vais rester fixe dessus pendant un certain temps, mais sauf qu’après je vais être distrait par autre chose, je vais dériver. C’est pour ça que mon écriture est un peu organique, je commence à un point A mais une fois que j’ai avancé de quelques mètres, le point A j’ai oublié où il est et j’avance dans mon écriture.

7C : Il y a également une atmosphère nocturne dans tes morceaux, est-ce que c’est un moment de la journée qui t’inspire pour créer ?
j : J’aime bien le soir, ça me dérange pas quand en hiver le soleil se couche à 17 heures. Après je pense que c’est mon tempérament, je suis assez calme et réservé. Comme certaines personnes, j’ai aussi des pensées négatives qui font que j’ai cet attrait pour les mélodies un peu mélancoliques.

7C : Est-ce qu’il y a des artistes qui t’ont influencés et poussés à faire du son ?

j : Je vais commencer par citer les producteurs parce que c’est par là que j’ai commencé. Les producteurs qui m’influencent beaucoup aujourd’hui vont être ceux de la scène Soundcloud, comme Monte Booker et à peu près tous les producteurs de Soulection, Sam Gellaitry, ce genre de phénomène. Après, Timbaland, Pharrell, DJ Premier, Pete Rock, DJ Quik aussi, les sons West-Coast ça me parle beaucoup même si j’en délivre pas beaucoup dans mon univers, je pense que ça va venir à la suite. Actuellement, il y a Zaytoven et Southside qui m’inspirent beaucoup. En matière de rap, mon influence principale c’était Kendrick Lamar à mes débuts. Sinon, j’aime beaucoup ce que propose Makala en termes de présence et de charisme, je trouve qu’il dégage un personnage qui inspire à être soi-même. Alpha Wann aussi, pour la technique, parce qu’il sait de quoi il parle et puis ça se voit que le rap il est mordu de ça, j’aime les rappeurs qui aiment le rap en vrai. Skimask aussi, parce que j’aime bien les rappeurs qui sont authentiques au niveau des flows, qui vont chercher des trucs entendus nul part. J’ai aussi beaucoup d’autres influences, comme Juicy J, Gucci Mane, Snoop Dogg.

7C : Tes influences sont full rap ou bien tu pioches aussi dans d’autres genres ? 

j : Je suis un grand fan de Bobby Caldwell, Michael Jackson. Je pioche aussi dans la house et beaucoup dans le jazz, c’est peut-être une de mes plus grandes influences, je sais même pas si je préfère le jazz ou le hip hop parfois.

7C : Sur les plateformes, il n’y a pas de morceaux de toi avant 2019. Quand est-ce que tu as commencé à faire de la musique ?

j : J’ai commencé à faire des prods en 2012 et j’ai commencé à rapper en 2017. À ce moment-là, j’étais en voyage au Canada dans le cadre d’un programme vacances-travail, j’y suis resté 1 an et demi, entre Toronto et Montréal. Quand je suis arrivé à Toronto, je faisais des prods, j’avais un petit taff et j’ai commencé à écrire des textes. À cette époque, je m’étais pris la mixtape de Josman, 000$, ça m’avait retourné le cerveau, je m’étais dit “moi aussi je veux rapper”. Donc c’est pour ça que les sons sont plutôt récents.

7C : Je crois savoir que tu as des origines cap-verdiennes. Quel rapport entretiens-tu avec la musique de là-bas ?

j : J’ai grandi avec ça parce que c’est ce que mes parents écoutaient à la maison et même aujourd’hui, je stream beaucoup un artiste qui s’appelle Tito Paris, son premier album est incroyable. J’ai une grosse affinité avec la musique cap-verdienne, ça fait partie de mes influences, c’est dans mes racines. 

7C : À travers tes différents projets, il y a très peu de featurings. Est-ce que c’est une manière pour toi de montrer aux gens ce que tu sais faire, avant de t’ouvrir aux autres ?

j : Non même pas, je pense que c’est juste moi qui suis fermé. J’aime bien faire de la musique dans mon coin, c’est une manière d’affirmer ma musique et de l’assumer. Le featuring, c’est vraiment si j’ai une affinité particulière avec la personne, il faut vraiment que la personne avec qui je feat apporte une plus-value à ma musique et inversement. De base, c’est juste moi qui suis un peu fermé à cette idée-là parce que je suis très casanier, je suis un peu sauvage. Après, j’ai tendance à m’ouvrir au fur et à mesure que j’apprends à connaître la personne, donc les featurings qui sortiront seront qu’avec des gens que je côtoie, des gens avec qui je ne fais pas que du rap. Pour mes projets à l’avenir, il y a clairement des gens avec qui j’aimerai collaborer, mais pour l’instant je vais continuer à faire des sons un peu solo.

7C : On se voit dans le cadre de la 3ème édition de l’événement FRAP, organisé par Trente Sept Degrés, où tu vas performer. Je trouve que ta musique a une fibre un peu “fait-maison”, est-ce qu’il y a donc une transposition à faire entre le studio et la scène ?

j : J’ai remarqué que quand j’interprète mes sons, après qu’ils aient été enregistrés, j’ai tendance à essayer de réinterpréter la musique avec exactitude. Quand je me suis rendu compte de ça, l’exercice a été de réinterpréter les sons différemment, avec une énergie différente. À la maison, j’ai tendance à poser assis, assez calmement, en mettant l’intensité qu’il faut. Mais la différence est que je suis debout face à des gens, je vais devoir bouger et le but est d’offrir une énergie totalement différente. Donc oui, il y a une transposition à faire, c’est à dire que l’interprétation qui est faite de base n’est pas compatible avec ce qu’on doit proposer sur scène, donc il y a un changement d’énergie à procéder avant de délivrer sur scène.

7C : Est-ce que tu as des projets qui vont arriver ?

j : Cette année il y a deux projets qui arrivent. Il y a la mixtape Trashrap, c’est un projet ego-trip, très hip-hop, avec des flows et des textes incisifs, à destination de la concurrence. Et l’autre projet, Ego Diss, c’est exactement pareil, sauf qu’il y a pas la dimension basket, parce que Trashrap ça vient du trashtalk, je voulais faire un projet ego-trip en me disant que c’était comme si je crossais des rappeurs. Ego Diss, donc, c’est un petit peu la continuité de Trashrap, mais en plus mature, dans le sens où cette fois-ci, je me sers que du rap pour véhiculer le message. Le but est de sortir une mixtape, encore une fois avec une D.A. Ce sera juste des sons pour rapper, des punchlines et faire rimer les mots comme il faut. Ces projets-là sont plus à destination des rappeurs que des auditeurs, c’est juste mon égo qui a envie de blesser la concurrence !

7C : Au niveau de la durée, tu comptes rester sur des formats courts ?
j : Trashrap sera assez court, peut-être un peu plus d’une dizaine de minutes et Ego Diss approche de la vingtaine de minutes, il est un peu plus fourni. Ce format me plaît. Vu que je fais du son quasiment tous les jours de ma vie, en général c’est après coup que je constitue les projets, donc je pense qu’en 2023 et 2024, je vais continuer de m’amuser et délivrer des sons comme ça, dans ma chambre. Après ça, je travaillerais un projet avec une vraie D.A, une ligne directrice que je suivrais de A à Z, mais c’est pas pour tout de suite. J’ai encore envie de m’amuser avant de faire des choses plus sérieuses.

7C : Tes sons sont majoritairement très courts, est-ce qu’il y a un concept ou une réflexion derrière leurs durées ?

j : En général, vu qu’il y a pas de refrains, j’aime bien écrire des longs couplets, du coup ça fait des sons plus courts. Donc c’est juste ma façon de créer le son de manière organique qui fait que j’ai ce résultat. Il y a peut-être aussi un manque de concentration, c’est-à-dire que je vais commencer à écrire le son et au bout d’un moment je vais être distrait par autre chose, donc c’est possible que je parte sur autre chose et que je finalise le son tel quel. En général c’est ça, je commence le son et quand j’en ai un peu marre de le faire, j’arrête en vrai. C’est ma manière d’écrire qui fait qu’à un moment je me dis “c’est bon, j’en ai assez dit”. Mes phrases sont très découpées, comme tu disais, ça peut donner l’impression que c’est crypté et je pense que dans un morceau d’1 minute 30, il y a autant d’informations que dans un morceau lambda de 3 minutes, avec un couplet, un refrain et un deuxième couplet. 

7C : Tu t’autorises à repasser sur tes morceaux après qu’ils soient finalisés ?

j : Quand je fais un morceau, il y a deux schémas. Soit je l’ai écrit et c’est bon, je le pose et c’est carré. Mais le plus souvent, je vais poser, je vais écouter le son, je vais le poster sur Soundcloud en privé pour l’écouter et au bout d’une semaine je vais me dire “tiens, là j’utilise ce mot là, mais peut-être que ce mot-là aurait plus d’impact”, après je vais y retourner et poser ce mot-là en question. Après je vais réécouter le son et je vais me dire “ah mais tiens, il y a cette intonation qui me dérange sur cette phrase” et je vais reposer la phrase. C’est possible que ce processus dure sur une semaine ou deux, donc soit le son je le pose en un jour et il est bouclé, soit ça s’étale sur plusieurs semaines. J’ai plein de manières de procéder mais mon processus créatif est limite inconscient. J’ai un petit studio de 20m², dedans il y a mes enceintes, mon micro, mon ordinateur. Je fais tout là-bas, je mixe, je masterise, je fais mes prises de voix, donc je suis pas limité dans le temps quand je fais un morceau, je fais ça sans pression.

7C : C’est important pour toi d’avoir un contrôle quasi-total sur ta musique ou tu pourrais déléguer certaines tâches à d’autres personnes ?

j : Je suis enclin à céder une partie du travail que je fais sur ma musique, mais c’est juste que je suis assez sauvage, je suis dans mon coin et j’aime bien qu’on me laisse tranquille, donc j’ai tendance à laisser les gens tranquille. Après, je sais que j’ai des potos qui seraient ravis de faire ça pour moi, mais je suis juste pas enclin à aller vers les personnes et je pense que c’est quelque chose qui doit changer chez moi, c’est un truc sur lequel je travaille. Je pense que quand j’aurais passé ce cap-là, ma musique prendra une autre dimension. La raison est strictement humaine au final, c’est pas que je suis pas enclin à laisser les gens faire, c’est le fait que j’ai ce délire de vouloir être autonome. Depuis quelques mois, je commence à me passionner pour le travail du mix et du mastering, autant que pour le rap et la prod, je trouve que c’est aussi un travail artistique qui mérite d’être mis en lumière.

7C : Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour la suite ?
j : D’être heureux, avoir de l’oseille et surtout la santé, c’est le pilier de tout le reste.