Loveni, libre comme la nuit
Loveni, le plus digne représentant de la philosophie Bon Gamin, celui qui ride sans permis, nous emmène faire un tour dans Le piège en nous incrustant, à travers sa musique, dans les multiples soirées parisiennes dont il est coutumier.
Initialement attaché à une sorte de retour aux sources lorsqu’il débute le rap, il fait partie de cette vague qui émerge à la fin des années 2000. En effet, même si Bon Gamin existe depuis 2006, Loveni a aussi fait ses classes aux côtés d’un collectif comme Lyricalchimie. Il apparaît sur le projet XXperience qui réunit les artistes qui représentaient, en 2009, une grande partie de l’underground parisien. Loveni est aussi proche du P.O.S crew. A savoir que ces deux collectifs regroupaient les futurs membres de 1995, de L’Entourage de Grande Ville ou encore de La Rimogène.
Dans le même temps, il commence à côtoyer Myth Syzer et Ichon, dont l’approche générale de la musique est totalement différente. Et c’est finalement sa première mixtape solo, Pur, qui mêle l’ensemble de ses influences. Composée par Myth Syzer, on y retrouve déjà Ichon et Joke mais aussi Joe Gee, Jay Breeze et Perrion. C’est une mixtape assez réussie et le rendu final offre une belle carte de visite.
On a pu retrouver Loveni lors des sessions Can I kick it, mais cela ne lui a pas permis de réellement décoller. S’en suit une longue période sans sorties de sa part, il n’est longtemps présent qu’en featuring ou avec Bon Gamin. Il pose sur les projets d’Ichon, Myth Syzer, Jeune LC, Prince Waly dont il est très proche mais on le retrouve aussi aux côtés de MV, Binks Beatz ou de Khali. Dans le lot, certains sont d’excellents morceaux, à l’image de Noir ou Blanc avec Ichon ou bien de Smoke avec Prince Waly. Il est aussi capable d’apporter énormément lorsqu’on ne s’y attend pas. Le meilleur exemple est son apparition sur l’album Temporada de Tengo John, sur le titre Bad où sa performance extrêmement solide renforce le niveau général du track.
En 2017, Bon Gamin sort l’Unreleased Mixtape, produite par Myth Syzer et PH Trigano. C’est un opus qui passe en dessous des radars et qui semble plus porté par Ichon qui avait alors déjà sorti plusieurs projets. Sans être dans son ombre, Loveni n’a pas encore la renommée de son comparse et c’est avec le projet Une nuit avec un Bon Gamin que l’on va commencer à parler de lui comme d’un artiste solo.
Il s’agit de l’un des projets les plus intéressants de l’année 2019, l’ambiance qui s’en dégage est parfaitement bien travaillée tant grâce aux productions qu’au phrasé si spécial de Loveni. Son flow singulier nous emmène le temps d’une nuit dans le mode de vie d’un Bon Gamin. Le projet est construit de telle manière que la nuit soit un fil rouge qui se déroule du premier au dernier track. Le début de la soirée commence A l’arrière du Uber et se termine par Dernière fois, partagé entre le regret et l’envie de recommencer au plus vite. Le titre Relance clôt le projet dans cette idée précise. Chaque titre dépeint un moment d’une soirée qui finit au petit matin. On perçoit l’imprévisible tout au long du projet et c’est ce qui fait la particularité d’Une nuit avec un Bon Gamin.
C’est un projet nocturne mais extrêmement chaleureux. Les vibes qui s’en dégagent sont relativement estivales et on y vit une nuit avec de nombreux rebondissements, faisant penser aux soirées d’été, malgré un décor absolument parisien. Dans Dernière fois, Loveni met en opposition « le soleil de Floride » et la « grisaille » parisienne, les deux sont pour lui de grandes sources d’inspiration. La grisaille parce qu’il la vit au quotidien. Pour le soleil, on comprend grâce à son interview dans La Sauce, qu’il est bercé par une scène américaine où le soleil est omniprésent et des artistes comme Ma$e, Curren$y ou Dom Kennedy sont cités.
J’suis en ville, ouais, j’me sens en vie, ouais
Loveni – A l’arrière du Uber
J’sais pas si tu vois vraiment où j’veux en v’nir, ouais
J’aime ma Ville même dans c’qu’elle a de pire
Amoureux de Paris, la Ville est extrêmement présente dans l’œuvre de Loveni et Une nuit avec un Bon Gamin est autant une ode à la capitale qu’aux soirées vécues par le rappeur. Il ne cache jamais son amour pour Paris et en parle au possessif.
Cela se ressent dans les clips comme celui de Verse la gnôle, qui est l’un des titres les plus emblématiques du projet. On y retrouve un condensé des thèmes abordés par Loveni et la prod créé une atmosphère à la fois nocturne et festive. Myth Syzer pose même un couplet qui ajoute un côté planant au morceau. Le tout tourné en plein Paris avec l’esthétique Bon Gamin qui caractérise les membres du collectif.
Cette esthétique, parfois très proche d’un idéal psychédélique, rappelle l’un des grands thèmes de l’œuvre de Loveni : l’alcool et la drogue. Tout au long du projet, ce sont deux sujets qui reviennent sans arrêt, tant positivement que négativement. Ce que l’on comprend c’est l’importance de ces substances dans la vie nocturne de Loveni. Et même si parfois, il se remet en question, comme dans Le Piège, où il revient sur ses démons et développe l’ambivalence entre l’envie de se sortir de ses addictions et la difficulté que cela relève, on voit qu’il y trouve finalement un certain bien-être.
Finalement, Une nuit avec un Bon Gamin décrit une quête de liberté, cette volonté d’aller vers l’imprévisible, l’incontrôlable, celle de ne pas se limiter à la sobriété et de se laisser guider par l’ivresse, la défonce, la ride ou bien l’amour. Loveni voit en la nuit un moment hors du temps, où il peut se lâcher sans avoir recours à de faux semblants. Cette sensation de liberté, il la retranscrit de manière à ce que l’auditeur la ressente et c’est un aspect important de la musique de Loveni qui ne se limite pas à un schéma systématique, il est capable d’utiliser différentes flows, il sait se laisser aller et tenter de nouvelles choses. C’est l’alchimie entre l’ensemble des protagonistes qui fait que ce projet est une réussite. La composition générale est d’une grande cohérence, la plupart des titres sont des featurings et chacun des artistes ont réussi à s’imprégner de l’atmosphère et de la philosophie Bon Gamin.
Les travaux de Myth Syzer sont immenses et ils permettent de donner cette couleur si particulière à ce projet. A noter que PH Trigano, Ikaz Boi, Cool Simson et Brody ont aussi travaillé sur Une nuit avec un Bon Gamin. Loveni est donc très bien entouré et en ne faisant appel qu’à ses proches, il a trouvé une recette qui marche, celle où on le sent en confiance et où l’émulation des talents lui permet de créer un projet entier, cohérent et réussi.
Merci au photographe Julien Giami pour la photographie.
Instagram : @juliengiami