Les états d’âme de Damso
Alors que QALF était attendu pour 2019, l’espoir des fans fût anéanti lors de la sortie du son GODBLESS avec Hamza. « L’album le plus attendu de l’année, ne sortira pas cette année », une punchline que de nombreux fans n’auraient jamais voulu entendre. Depuis, c’est le calme plat du côté des studios bruxellois. L’artiste semble avoir opté pour la même stratégie promotionnelle que certains de ses collègues : le Silence. Le moindre fait et geste est scruté par les fans de Damso et des théories incroyables entourent la sortie de QALF.
En attendant la sortie du nouvel opus du bruxellois, retraçons le parcours de l’artiste au travers de ses états d’âmes.
Le rappeur Nwaar et Saal
Pour traiter Batterie faible, il est judicieux de scinder l’album en deux parties. Il y a l’avant, et l’après Amnésie. Tout au long de la première partie de l’album, les phases du rappeur sont ponctuées d’allusions sexuelles et de punchlines sombres et agressives. On pourrait presque parler à ce stade de : rap pornographique. Si nous devions nous arrêter aux six premiers sons du projet, nous pourrions aisément résumer Damso en rappeur sexiste ou misogyne, ce que beaucoup de gens n’auront pas manqué de faire par la suite.
Mais cette configuration dans la tracklist est plus que probablement délibérée afin de donner un impact encore plus important au son Amnésie. Il s’agit dans ce son de l’histoire d’un jeune homme peu soucieux de la situation de vie de ce qui s’avère être qu’une simple conquête. Conquête qui a décidé de mettre fin à ses jours. Ce son est intéressant car il marque probablement le point de départ de la personnalité « sombre » de Damso.
Elle était morte et pourtant je lui ai dit I love youDAMSO – AMNÉSIE
Cette dernière phrase nous indique que l’artiste, possède peut-être encore des sentiments pour cette personne malgré son manque d’intérêt lorsque celle-ci était encore en vie. Cette phrase peut être opposée au son Autotune dans lequel Damso exprime pour la première fois ses difficultés face à l’amour. En effet, vous ne l’entendrez plus jamais dire explicitement « Je t’aime » ou « I love you » dans le reste de sa discographie.
L’album prend un tout autre ton avec Graine de sablier dans lequel il évoque son enfance marquée par les pillages violents au Congo ainsi que la maladie de sa mère tout en posant sur une prod. beaucoup plus calme. C’est également dans ce son que Damso fera référence pour la première fois au sablier et au temps qui s’écoule, concept abordé dans ses prochains albums. Cette sensation de douceur se concrétise avec Beautiful dans lequel il réaffirme qu’il ne regrette en aucun cas son choix de devenir un artiste.
Faire face au succès
Après avoir balancé plusieurs freestyles et extraits sur les réseaux sociaux, Damso revient un an plus tard avec son deuxième album Ipséité. Mais qu’est-ce que donc l’Ipséité ? Selon sa vision, faire preuve d’Ipséité désigne le fait de ne pas changer malgré les changements qui s’opèrent autour de nous et dans nos vies. Ce choix de titre colle évidemment avec la situation de vie dans laquelle l’artiste se trouvait à cette époque. Effectivement, comme la plupart des grands artistes, le second projet est celui qui abordera le succès. Il s’agit donc ici pour Damso de faire face aux changements qui résultent de sa réussite.
Les signes de ce succès se font ressentir dès l’écoute de l’incroyable Mosaïque solitaire dans lequel une phrase fait directement référence à Graine de sablier : « Plus de sable dans le sablier, plus de place dans le paradise ». On pourrait en déduire que l’artiste est contraint à rester ce qu’il est, n’étant plus maître de son avenir, en manque de temps il est « promis » à l’enfer, ne pouvant plus changer ce qu’il est pour atteindre le paradis ou pourquoi pas, l’Ipséité. Le temps est un thème qui sera dans à nouveau abordé dans sa discographie. Il l’est également dans le clip où il fait directement référence au livre Ubik au sein duquel les personnages sont morts et subissent les effets de la régression du temps. Parallèle intéressant donc.
Damso va évoquer cette solitude tout au long de l’album et notamment dans le son Dieu ne ment jamais. Il y aborde de bout en bout la thématique de la face cachée du succès, y fait référence aux mauvais conseilleurs, aux gens avides d’argent prêts à faire signer ceci ou cela ; les fameux “vautours”.
La voix des anges résonnent moins que celle des vautours. DAMSO – DIEU NE MENT JAMAIS.
Bien que personnifiées en Diable, les femmes « et leurs fessiers bien roulés » semblent être également le chemin de l’évasion de cette cruauté. Le rapport femme/diable avait déjà été établi dans le freestyle Smeagol, dans lequel Damso disait que « Toutes les femmes ne sont pas pareilles c’est vrai mais le Diable parle à travers elles de la même façon ». On doit considérer le diable comme le vice qui transparait dans chacune des femmes qu’il croise. On retrouve à nouveau ici toute la difficulté de Damso face à l’amour.
La phrase « Quand tu n’parleras plus de moi, c’est qu’j’t’aurai tout donné sans recevoir en retour » est également digne d’intérêt. Elle semble aux premiers abords parler d’une partenaire. Néanmoins, nous pourrions considérer qu’il parle au public qui ne parlera plus de lui dès qu’il aura dit tout ce qu’il a eu à dire. Il y a un probable double-sens intéressant sachant que l’oubli fait souvent également partie du succès.
Le deuxième sous-thème de l’album est comme à l’accoutumée, celui des relations et des femmes. Dans Signaler, tube incontesté de l’album, l’idée de l’impossibilité pour lui d’entamer une relation stable est réitérée. «J’peux séparer la mer mais j’peux pas rassembler nos cœurs ». En revanche, dans Macarena, ilexprime la contradiction dans les sentiments que peuvent ressentir tout être humain dans un triangle amoureux. Macarena est bel et bien une chanson d’amour dans laquelle Damso semble finalement souffrir.
La peur de l’ombre de l’amour ne semble pas être la seule que Damso ressentait à cette époque là. Dans la 9ème track de l’album, il nous faire part d’une autre peur, celle de la Peur d’être père. Ce son fait écho à Peur d’être sobre qu’il avait interprété dans les studios de Générations. Ses peurs ont donc évolué et traduisent tous ces changements qu’ils rencontrent dans sa vie. Ce qui est intéressant c’est que le jeune papa se demande «Comment donner l’exemple de ce que je ne serai jamais? ». Pour pouvoir faire ça, il serait dans l’obligation de changer sa personne ou de puiser dans ce qu’il n’a jamais été et par conséquent, ne plus faire preuve d’Ipséité. A la fin du couplet, il clôturera en disant : « Et puis merde chacun sa destinée, policier p’têtre tu seras, que pourrais-je faire contre ça ? » En bref, il sait que son enfant sera celui qu’il doit être. Il ne doit donc pas à son tour devenir ce « vautour » qui essaiera de le changer.
Nous y voilà, au son probablement le plus fucked up de l’histoire du rap francophone, Une âme pour deux. Il ne s’agit en fait, pas uniquement d’un son mais plutôt d’une narration, une histoire mettant en scène un homme saoul, drogué qui décide de voir une prostituée. Il y a donc une exaltation de plusieurs vices comme le sexe, la drogue et l’alcool ainsi que la violence lorsqu’éclate une bagarre avec le Mac de cette prostituée. Il faut donc comprendre que l’homme qui parle est en réalité le “mauvais Damso”. Un peu plus loin dans le titre, le mauvais Damso semble arriver à ses fins, s’ensuit une scène de viol extrêmement inconfortable grâce aux bruitages et au mix parfaitement bien exécuté. Soudain, arrive la phase choc qui en a étonné plus d’un à la première écoute : « J’lui dis : quel genre de pute que t’es ? Elle m’dit : Une qui baise avec son fils dans la rue. », « Elle me dit : Si si, ouais ouais Damso j’suis ta mère, et t’as pas changé d’un poil pubien ça c’est clair ». Il y a ici une symbolique dans le fait que la prostituée dise qu’elle est sa mère. Une manière d’exprimer une crainte, la pensée que ces souffrances imposées aux femmes pourraient être vécues par sa propre mère. C’est aussi à ce moment que ce « mauvais Damso » finit par tomber dans le coma.
À son réveil, un médecin explique à Damso qu’il a été victime d’une expérience de walk-in qui est « une entente entre deux âmes ». Tout le long du son, le mauvais Damso tente de remplacer le bon Damso qui finit par gagner grâce à l’image de la mère qui semble être, une des seules personnes en qui Damso peut faire confiance. Ce son représente en fait le combat de l’artiste contre le monde extérieur ainsi que les vices et vautours qui essayent de le changer. Ici, Damso a finalement réussi à faire preuve d’Ipséité, car personne n’aura finalement réussi à changer l’essence de ce qu’il est vraiment. Cette quête est donc réussie à travers cette histoire.
L’introspection, la mort à l’intérieur de soi
Lithopédion semble être une sorte d’entre-deux. En effet, il s’agit ici d’un album introspectif, une sorte de pause. Le temps d’une réflexion sur soi-même. Symboliquement, Damso semble mourir à la fin d’Ipséité. Si vous tendez l’oreille, l’oscilloscope émet un bruit long et strident à la fin d’une âme pour deux. Damso est symboliquement mort comme le fœtus, comme son âme. La mise en scène lors du LithopédionTour appuie cette façon de voir les choses étant donné qu’il apparaît, en début de concert, derrière un faisceau lumineux rappelant le paradis. De plus, le projet démarre avec la voix du fameux docteur d’une âme pour deux et un bruit de respirateur, censé garder Damso en vie. L’idée que l’artiste est symboliquement mort se confirme avec Festival de rêves. Non seulement le premier mot du son est la mort mais un caractère divin ressort de la prod ainsi que du flow de Damso. Une chorale semble accompagner le rappeur tout au long de la track. De plus, il révèlera au micro de Fred Musa que le son se lit dans les deux sens. Une manière symbolique, peut-être, d’exprimer le fait qu’il reviendra à la vie.
Cet album est en lien étroit avec le concept d’Ipséité car, pour pouvoir faire preuve d’Ipséité et rester celui qu’on est, il faut d’abord savoir qui l’on est. Cette question est abordée dans plusieurs sons de l’album à commencer par Baltringue qui décrit la lâcheté de l’être humain face à l’acceptation de ce qu’on est. La phrase « T’es gay en secret tu ne veux pas le dire, tu t’soulages en baisant des hétéros. Ce de quoi t’es fais tu ne peux pas le fuir, les nuages n’écoutent pas la météo » résume bien bien cette idée de nature inchangeable.
Dans le son 60 années, Damso aborde la problématique de la mort et de l’urgence de vivre. La fuite du temps avait toujours été représentée par le sablier dans ses sons précédent mais ici, c’est la montre qui est utilisé pour la représenter. « Les jeunes d’aujourd’hui m’ont dit : Dems, on veut la montre, fuck le temps. Pensant qu’le temps court après la montre sauf que les aiguilles s’arrêtent avant. » Les jeunes veulent la montre, en d’autres termes « la maille », mais oublie que pendant notre recherche du confort, le temps continue de filer à tel point qu’on passe à côté de beaucoup de choses. De plus, Damso insiste sur le fait que la mort peut intervenir à tout moment notamment quand il dit « Pourtant la mort s’est fait toute belle, pour un rencard d’un mariage forcé. Cherche aucun nom sur la sonnette, appuie sur le bouton à l’aveuglette ».
La question de savoir qui l’on est vraiment est abordée, sur la 4 ème track, aux travers de Julien, un pédophile. Avec ce son, Damso arrive là où personne ne l’attendait en creusant le problème de la pédophilie en se posant la question « Qui sommes nous quand on n’peut être que ce que l’on peut ? » Il découle de ce son, un sombre constat ; les pédophiles sont présents et peuvent être n’importe qui. « Julien c’est ton voisin, Julien c’est ton mari. Julien c’est sûrement l’autre, Julien c’est sûrement lui ». Il nous fait passer le message que cela pourrait également être une femme grâce à l’intermédiaire d’Elisa Meliani qui incarne le fameux Julien. Le pédophile est présent, ne peut changer ce qu’il est, et surtout peut se trouver n’importe où. Il est donc question de savoir que faire avec des gens qui présente une menace cloisonnée dans « l’effort d’être ce qu’ils ne sont pas » et «enfermé par le dogme et le code sociétal »...
L’introspection est également mise en avant dans le titre Humains qui était censé représenter la Belgique lors de la coupe du Monde 2018. Vous pourrez entendre dans ce son, faisant la description tristement réaliste de l’humanité : « Y a des gens comme moi qui ne savent plus trop ce qu’ils sont, qui s’posent la question : mais qui suis-je vraiment quand j’le suis plus vraiment ? ». On en revient à la même problématique : qui suis-je ?
Cette recherche d’identité se poursuit, encore, via le prisme des relations amoureuses. Dans Perplexe, Damso dit « Laisse moi le temps d’être c’que je n’suis pas, pour devenir celui que tu veux que je sois ». Difficile de faire preuve d’Ipséité quand on s’efforce de changer qui l’on est pour plaire à sa/son partenaire. C’est exactement le thème de la chanson. Damso doit assouvir ses pulsions, et c’est difficile pour lui de changer cette nature là. Ce qui est intéressant, c’est qu’il dira plus tard dans le son Noir Meilleur « Elle m’a aimé pour ce que j’étais, elle m’a quitté pour ce que je suis » mais encore « J’passe trop de temps à être ce que je ne suis pas, que j’fini par croire qu’je le suis vraiment ». Ce lien entre les deux sons est intéressant car on constate ici qu’il a finalement subi un échec ne pouvant changer ce qu’il est vraiment.
L’album se conclut sur William, qui est en fait, le patronyme officiel de Damso. Il s’agit tout simplement d’un son où l’artiste se livre complètement. L’introspection prend fin.
La suite ?
Maintenant que le rappeur est Oeveillé, il nous reste plus qu’à attendre Qalf. Non seulement l’album sera l’un les plus importants de sa carrière dans un contexte où une partie de la sphère hip-hop estime que Booba avait contribué à la qualité de ses précédents albums,non seulement il sera également intéressant de découvrir quel sera le fil conducteur de Qalf ainsi que ses nouveaux états-d’âme. Qui m’aime me like me follow est en tout cas un titre lourd de sens suite à sa rupture avec le 92i ainsi qu’avec la fanbase de Booba.