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Le Oxmo Privilège

Alors même que le confinement n’était pas encore annoncé, Oxmo Puccino a été nommé en mars dernier “Officier de l’Ordre des Arts et des Lettres”. Pour les novices en certifications du Ministère de la Culture, elles sont présentes pour célébrer et féliciter les personnes qui se sont “distinguées par leur création dans le domaine artistique ou littéraire ou par la contribution qu’elles ont apportée au rayonnement des arts et des lettres en France et dans le monde”. En d’autres termes plus triviaux, disons que c’est mieux que le Bac mais avec les mêmes propriétés : c’est cool de l’avoir mais c’est pas vraiment indispensable.

De plus, le fait que cette certification fut décernée autant à Pharrell Williams qu’à Mika ou Abd Al Malik a fait germer une première idée sur la perception qu’on pouvait avoir d’Oxmo et par ricochet sur ce fameux « privilège ». C’est que récemment en retombant sur la vidéo où Oxmo Puccino réinterprète le couplet de Koba la D dans le désormais classique R.R. 91 que l’idée d’écrire cet article s’est vraiment confirmée. En effet, il a suffi qu’Oxmo le chante pour voir apparaître des dizaines de commentaires du style “Vous avez remarqué comment le texte a l’air profond et réfléchi interprété par Oxmo ?”. Bingo. 

Nul besoin de remettre sur le tapis l’entièreté de sa discographie pour présenter qui est Oxmo Puccino. C’est incontestablement un immense artiste à la longévité impressionnante qui a su se réinventer sans cesse au fil du temps. Que cela passe par des albums-concepts atypiques avec un band sur Lipopette Bar ou par des adaptations musicales originales avec des musiciens comme Ibrahim Maalouf pour Au pays d’Alice, Oxmo a toujours surpassé les différents carcans du genre au fil de sa carrière. Même si ce ne sont pas forcément ses derniers projets qui ont construit sa légende, il a toujours agi comme bon lui semble. Il a autant collaboré avec Olivia Ruiz et Grand Corps Malade qu’avec Lino ou Grodash. D’ailleurs, comme me le rappelait Emmanuelle Carinos (je vous renvoie vers son étude avec Karim Hammou sur l’approche du rap comme forme poétique), on peut remarquer que ce fameux “privilège” apparaît souvent lorsque les rappeurs osent se lancer dans d’autres styles que le rap.   

Être libre c’est sortir d’une prison pour une autre
Personne ne t’aime c’est aussi ça être pauvre

Oxmo Puccino – Parfois

Son ultime classique, Opéra Puccino, est un disque que tout le rap français a au moins écouté, si ce n’est acheté. De par son style d’écriture appliqué, l’intensité de son interprétation ou bien ses thèmes, il y a eu très tôt une certaine maturité chez Ox. En effet, consciemment ou non, il s’est très vite démarqué des rappeurs qui se cantonnaient à de l’egotrip ou à de la démonstration technique pure et dure. Ainsi, cet effort lui a valu d’être perçu d’une manière différente de ses confrères. 

Oxmo Puccino, artiste, rappeur, poète ? 

Avec le temps et les projets qui suivront, on remarquera de plus en plus que le sobriquet le plus utilisé pour présenter Oxmo, c’est “le poète”. A mon humble avis, c’est sûrement pour ça qu’il a commencé très tôt à mettre des bérets. Même si c’est 4 fois sur 5 la presse généraliste qui le surnomme ainsi, il est devenu un peu malgré lui “le rappeur gentil” dans la sphère médiatique. Car, Oxmo Puccino, lorsqu’il est invité en plateau, sur un morceau ou à la radio, il dégage une aura. Il s’exprime bien, il rappe bien et semble toujours serein et réfléchi. C’est ce qui fait d’ailleurs une des forces principales de sa musique. Sans jamais tomber dans la posture forcée (dans laquelle a pu tomber Disiz) du “rappeur intello” qui aime répéter partout qu’il lit des livres, Ox’ a simplement accepté la plupart des surnoms que l’intelligentsia a bien voulu lui donner. 

Depuis cette acceptation, il a vraiment acquis le Oxmo Privilège, c’est-à-dire qu’il fait depuis de nombreuses années ce qu’il veut. Le simple nom d’Oxmo Puccino rappelle l’élégance et étrangement, on lui pardonne tout. Que ce soit des tentatives assez chétives sur de la Trap ou son phrasé alambiqué souvent poussé à l’extrême, on arrive jamais à lui en vouloir. Car ce qui est impressionnant avec plus de vingt ans de carrière, c’est qu’il continue d’explorer de nouvelles choses. Rares sont les artistes avec une carrière si fournie qui continuent d’expérimenter.

De plus, sans jamais ressasser (et il pourrait) son héritage ou tout ce qu’il a apporté au rap, il ne demande pas le droit de faire, il le fait. A la manière d’un Paolo Sorrentino pour le cinéma, il assume son âge et trouve même comment le mettre intelligemment en scène. En effet, s’il a aujourd’hui ce privilège d’être appelé “génie” à la moindre syllabe prononcée, c’est surtout dû à des années de travail et d’efforts. Il a “réussi sa life” comme il le répète fièrement dans le morceau avec Orelsan et tout indique qu’il va continuer dans cette direction.


Aujourd’hui, c’est un artiste accompli et décomplexé qui peut autant aller fumer avec Caballero & Jeanjass, « poser » avec Lacrim, faire la voix off d’un monstre dans un film pour enfants ou bien être ambassadeur pour l’Unicef. A l’instar d’un Snoop que l’on a pu autant voir avec Jean Roch à Saint-Tropez, dans une publicité Just Eat ou démolir les Tours Jumelles avec des cheveux longs, Ox’ n’est jamais en contradiction avec son “personnage”. 

Certes, on peut toujours rétorquer que le mot “poète” était souvent un compliment empoisonné pour négliger par ricochet l’ensemble du mouvement ou bien qu’on attend pas qu’Oxmo soit un traducteur à bourgeois afin de rendre les textes de SCH ou de Koba “acceptables” mais force est de constater qu’il détient ce pouvoir. Malgré tout, il reste un pilier fondateur du rap français qui a le mérite d’avoir tenté des choses dans de nombreux styles.

De ceux qui n’attendent pas qu’on les arrose et durcissent
Le temps n’a pas déformé mes propos, ils mûrissent

Oxmo Puccino – Cactus de Sibérie