Relapse, un classique insoupçonné ?
S’il y a bien un artiste qui a marqué ces dernières décennies dans le monde du hip-hop, c’est Eminem. Dans une carrière marquée de hauts et de bas, Marshall Bruce Mathers III a su époustoufler, choquer et briser de nombreux records de ventes. Sa discographie contient des albums qui sont entrés dans l’histoire tels que The Slim Shady LP, The Marshall Mathers LP ou The Eminem show mais également des albums qui ont croulé sous le feu des critiques comme notamment Revival ou Recovery. Mais il y a dans le tas un album qui a connu un destin particulier, Relapse. N’ayant pas fait l’unanimité le jour de sa sortie, Relapse est aujourd’hui devenu un classique incontestable dans le cœur de nombreux fans d’Eminem. Mais alors, comment cet album a pu devenir un classique au fil du temps ?
Un contexte particulier
On dit souvent que pour comprendre la musique d’Eminem, il faut d’abord comprendre sa vie. Comprendre d’où provient la colère exaltée par son alter-ego maléfique Slim Shady. Le contexte dans lequel l’album a été réalisé est tout à fait particulier. En décembre 2007, Eminem fait une overdose de médicaments. Les somnifères et antidouleurs qui lui permettaient de garder le rythme sur le devant de la scène finiront par avoir raison de lui. La mort de son meilleur ami Proof aura contribué à cette escalade vers la dépendance et l’overdose. Musicalement, Eminem n’avait plus rien sorti de potable lors de la période 2006 / 2007, le son Put it on my wee wee en est un exemple probant. On le pense alors fini.
Marshall finit par sortir de cure mais rechute quelques jours après et retombe dans l’addiction. La rechute est d’ailleurs la traduction du mot « relapse » qui deviendra le nom donné à l’album. Il doit réapprendre à fonctionner sans somnifères et antidouleurs après avoir décroché le 20 Avril 2018. Cela lui vaudra 3 semaines d’insomnies. A la fin du printemps 2008, Eminem retrouve le stylo et la capacité d’écrire et en informe directement son mentor Dr Dre. Enchanté par la nouvelle, Dre l’invite en studio à Orlando dans lequel Eminem avait principalement enregistré Encore. Deux autres lieux accueilleront les sessions : Le Record One studio de Los Angeles ainsi que l’Effigy studio de Detroit, celui d’Eminem. C’est néanmoins dans le studio d’Orlando que le fil conducteur de l’album sera trouvé.
Une trame sombre
Produit par Dre, épaulé de Mark Batson et Dewaun Parker, Relapse s’avère être l’album le plus sombre d’Eminem. Le concept de l’album est un hommage à Proof qui avait fondé le groupe D12 en suggérant aux 5 autres membres de se créer un alter-égo. Le but étant de sortir les rimes les plus horribles possibles. Pour l’anecdote, c’est aux toilettes qu’Eminem trouva le sien, Slim Shady. Dans Relapse, Slim Shady marque son retour d’une façon différente. Jusque là, l’alter-ego d’Eminem pouvait être violent mais très souvent ridicule, l’autodérision ayant toujours fait partie intégrante du personnage. Ici, Slim Shady prend les traits de psychopathes ou de tueurs en séries. Eminem va aborder la majorité de l’album sous l’angle de l’horrocore, style plus rare dans le monde du rap mais surtout peu vendeur au niveau du grand public.
Les références de l’album portent énormément sur les thrillers et les films d’horreurs. Music Box fait notamment référence à Jack l’éventreur ou encore à Dakota Fanning actrice de Trouble jeu dans lequel De Niro prend le rôle d’un père atteint de schizophrénie. On peut aussi épingler le clip de 3.A.M. quirassemblent tous les aspects visuels que l’on peut retrouver dans les films d’horreur. Ce clip est un bon condensé de ce qu’on peut trouver sur cet album.
Le storytelling de l’album est également bien ficelé, dès l’intro, on retrouve Eminem en visite chez son docteur avant sa sortie de désintoxication. Au fil de la discussion, le docteur semble prendre peu à peu l’apparence de Slim Shady à la manière d’un démon qui ne pourra se défaire de lui. Cette dualité est également mise en scène dans My darling, chanson dans laquelle Eminem fait face au démon qu’il a créé et qui lui a ouvert les portes du succès. Cette chanson fait directement écho à l’intro du Slim Shady EP (Cassette qui a fini entre les mains de Dre) dans laquelle Eminem fait pour la première fois face à son alter ego. La dimension médicamenteuse et les références à son addiction sont également fort présentes que ce soit dans les skits ou les chansons, Déjà vu, en est le meilleur exemple. De plus, l’aspect médicamenteux est mis en avant de façon tout à fait brillante sur la pochette du projet où l’on peut distinguer un portrait de Marshall dans une mosaïque de pilules. L’album ne se limite pas seulement à la narration d’histoires sanglantes, Eminem fait également, comme à son habitude le point sur sa carrière, sa vie, sa dépression comme dans Careful what you wish for.
Un accueil mitigé
Lors de l’écriture de Relapse, Eminem avait pour finir assez de matière pour écrire au moins trois albums. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’une réédition de Relapse intitulé Refill sortira plus tard. Malgré ce retour d’inspiration, l’album n’aura pas le succès que l’on attendait. L’annonce de l’album se fera fin 2008 à la radio Shade45 à l’occasion de la promotion de son autobiographie The way i am et par le biais du freestyle I’m having a relapse. Cette annonce va dans un premier temps étonner les fans qui s’attendaient à un tout autre projet. En effet, les rumeurs annonçaient un album s’intitulant King Mathers. Ces rumeurs avaient été engrangées par Ca$his, ancien protégé d’Eminem, qui ne cessait de balancer le nom « King Mathers » à chaque interview.
L’album finira par sortir le 15 Mai 2009. Comme à chaque sortie de projet d’Eminem, les attentes étaient immenses, mais cette fois-ci, amplifiées par le fait qu’il n’avait plus sorti de projet solo depuis quatre ans. L’album se vendra assez bien grâce au fait qu’il marque son grand retour, il sera par contre, aux antipodes de ce qu’espéraient les fans. Plusieurs aspects de l’album ont pu déranger comme la présence de ces fameux « accents » qu’Eminem avait déjà utilisés de temps à autre par le passé. Ces accents qui rajoutent un côté horrifiques et angoissants aux personnages qu’il incarne ont difficilement pu être digérés par les fans qui ont probablement été perturbés par ce flow nouveau. Il faut également préciser qu’au moment de sa revalidation, Eminem a du en quelque sorte réapprendre à performer et à rapper, d’où peut-être ce changement soudain.
Les paroles de certaines chansons sont également osées comme celles que l’on peut entendre dans Insane ou Same song and dance. De plus, un album horrocore n’est pas une œuvre accessible à tous et peu parfois susciter le malaise. Même si Eminem avait déjà proposé des sons parfois violents comme Kim, il réussit à faire dégager dans Relapse une ambiance encore plus glaçante et malsaine. C’est probablement parce qu’il l’a bien sur le retranscrire que l’album en a refroidi plus d’un.
L’écoulement du temps et la naissance d’un classique
Au fil des années, Relapse a trouvé sa place dans le top des projets d’Eminem. Le considérer comme un classique de sa discographie est justifié et justifiable par plusieurs aspects. Tout d’abord, la présence des accents a été un moyen pour Eminem de faire rimer des mots qui sont censées ne pas rimer entre eux. Le schéma de rimes de Stay wide awake en est un des meilleurs exemples et nous prouve à quel point Marshall est probablement un des rappeurs les plus doués techniquement de sa génération. Ce son est d’ailleurs considéré par les fans comme étant le plus impressionnant d’Eminem au niveau de la technique et du flow.
De plus, on peut considérer que Relapse est le dernier album d’Eminem où Slim Shady est encore bel et bien présent. Secoué par la vague de déception suscitée par la sortie de Relapse, Eminem va virer vers un rap beaucoup plus pop avec l’album suivant : Recovery. Slim Shady n’existera plus dans ce projet. En 2013, Eminem va décider de faire renaitre son alter-ego à l’occasion de l’album The Marshall Mathers LP 2. Ce projet ne sera pas un flop mais on constate que le Slim Shady de l’époque a bel et bien disparu. Il ne se dégage pas la même intensité et la même véhémence lorsqu’il rappe. Vient ensuite la fameuse sortie de l’album Revival qui est et restera probablement l’album le plus critiqué de sa carrière. Ce qui est néanmoins intéressant, c’est de constater que le son le plus apprécié est celui qui reprend les tonalités que l’on retrouve dans Relapse ainsi que ces fameux accents, il s’agit de Framed dont le clip est un prequel de 3.A.M. Malgré la réussite de son dernier projet Music to be murdered by, on constate que l’affection que portent les fans sur Relapse provient probablement du fait qu’il réside une sorte de nostalgie lors de son écoute alimenté par le fait qu’une bonne partie d’entre eux aimerait retrouver le Eminem sombre et méchant du début.
Enfin, force est de constater qu’il réside un point commun dans la réussite de Relapse et de Music to be murdered by : la présence de Dr Dre. L’absence de Dre s’était fait fortement ressentir avec Marshall Mathers LP 2 et Revival où les reprises de classiques de Rock ainsi que les tonalités y étaient trop présentes. Les choix musicaux étant peut-être aussi trop en décalage avec l’air du temps.
Du génie
Sortir un album de ce style pour un grand retour était un pari risqué. Il était évident que cet album allait diviser avant sa sortie, pourtant Eminem l’a fait. Malgré le fait que l’album ait acquis une place particulière dans le cœur de nombreux fans, Eminem a longtemps déclaré que cet album n’était pas bon préférant Recovery, ce qui a eu pour tendance d’agacer certains fans qui ont justement trouvé cet album moins bon que Relapse. A 48 ans, Eminem n’a plus rien à prouver dans un milieu tel que le hip-hop où la jeunesse dicte les règles du jeu. On pourrait même considérer que pour un rappeur de cet âge, chaque sortie d’album est un risque. Cela dit, l’idée de pouvoir écouter un relapse 2 se fait de plus en plus entendre au sein de la fanbase de Shady. L’avenir nous le dira, mais ce qui est sûr, c’est qu’on signera des deux mains pour avoir la possibilité d’écouter un album aussi qualitatif que Relapse.
Merci à EminemCity pour les détails apportés à cet article.