Civilisation : épilogue d’un (vrai) faux flemmard
En novembre 2021, la galaxie rap tremble, Orelsan rend enfin disponible sa quatrième livraison, sobrement intitulée Civilisation. Cultivant l’excitation avec un certain sens de l’artifice, le projet est un réel succès commercial, atteignant le disque de diamant en moins de 6 mois d’exploitation (cap franchi le plus rapidement pour un rappeur français).
Orelsan, véritable idole des jeunes du XXIè siècle, resplendissant par sa fainéantise qui semble chronique et son attitude de loser magnifique, se révèle être un personnage bien plus insaisissable que ce qu’il pourrait laisser penser. De fait, Orelsan est habituellement décrit dans les médias généralistes comme un individu indolent, subissant la situation plus qu’il ne la maîtrise mais réussissant toujours à finalement la retourner à son avantage. Il semble assez évident que cela reste un lieu commun et que notre homme n’est pas concrètement le rêveur paresseux qu’il pensait être.
J’suis l’genre de looser qui fait que d’gagner
Orelsan – Discipline
Dans la discographie du caennais, Civilisation occupe une place importante. C’est celle d’un nouvel acte dans sa vie, d’une maturité durement atteinte. Orelsan exprime par ailleurs très explicitement les nouvelles perspectives que tout cela apporte. Elles sont lointaines de son attitude à la Jeff Lebowski. Cela veut-il pour autant dire qu’Orelsan en a désormais fini avec sa caractéristique apathie ?
Pour certains (et ils ont sans doute raison dans une certaine mesure), le fait que l’artiste incarne un personnage qu’il n’a jamais été s’avère être un problème. N’y-a-t-il pas un souci d’éthique dans le fait de se vendre comme tel pour finalement sortir son premier album studio à 26 ans par souci du détail ? Et bien oui, cela attaque directement la substance du héros, cette dernière n’étant finalement plus qu’artifices et maquillages.
Néanmoins, s’arrêter là en estimant qu’Orelsan jongle simplement entre différentes facettes pour choisir celle qui plaira le plus semble être un raisonnement trop simpliste. Vis-à-vis de tout cela, Civilisation et le documentaire Montre jamais ça à personne, ayant accompagné la sortie du projet, apparaissent comme des grilles de lecture pertinentes.
Premièrement, il s’agit de résumer simplement le projet. Et Orelsan le fait très bien lui-même.
J’ai fait un album qui parle que d’ma meuf et d’la société, ça t’dit qu’on fasse un morceau ?
Orelsan (ft. Gringe) – Casseurs Flowters Infinity
En d’autres termes, Orelsan pioche parmi plusieurs thématiques sociétales et personnelles, agrémenté d’une conception de la musicalité qui n’est plus à prouver (Skread et Phazz, étincelants techniciens aux manettes) et d’un sens de la punchline toujours aiguisé pour fournir un projet cohérent. On peut souligner la montée en tension jusqu’à L’odeur de l’essence, puis une rechute progressive vers le calme et la sérénité avant de retrouver le mix idéal des deux sentiments sur la magnifique outro éponyme de l’album. Un autre fil rouge du projet, que l’on retrouve par ailleurs presque toujours en sous-intrigue dans la carrière d’Orelsan, est omniprésent : la confiance en soi. Et c’est d’ailleurs celui-là qui est au centre des péripéties du rappeur.
Toujours, Orelsan a rappé le manque de confiance en soi, parfois d’une manière magnifiquement tragique comme sur Peur de l’échec ou bien plus paisiblement à l’image de Si seul. C’est un thème important pour lui. Orelsan semble continuellement craindre de ne pas être à la hauteur, pas à la hauteur pour sa famille, ses amis et lui-même. Et c’est ici que viennent se croiser les axes de réflexions, l’attitude amorphe d’Orelsan, mise à la lumière de l’importance pour l’artiste d’évoquer sa peur de l’échec, prend une tout autre symbolique. En effet, ici, la manière avec laquelle Orelsan se définit dans ses premiers projets apparaît plutôt comme une carapace, comme une façon de correspondre aux perceptions de sa famille, qu’il a fini par accepter.
Pour le dire autrement, il semble trop précipité de qualifier Orelsan de faussaire. De fait, il est parvenu à mettre en musique l’homme qu’il était persuadé d’être, réalisant à la suite de ses nombreuses réussites qu’il n’a jamais été ce branleur né. En prêtant une oreille attentive à l’ensemble de sa discographie et en se concentrant sur certains points, cela semble un peu plus évident.
On a commencé dans une salle des fêtes, on va devenir c’qu’on voulait être
Orelsan – San
Civilisation apparaît comme la pièce-maitresse de la discographie d’Orelsan, celle dans laquelle l’artiste semble se livrer le plus, avec sincérité et habileté. En réalité, au sein du film de sa vie, passer de “Comme si j’valais mieux qu’mon père, comme si j’valais mieux qu’ma mère” à “Faut qu’on soit meilleurs qu’nos parents, faut qu’on apprenne à désapprendre” (extraits tirés des outros de Perdu d’avance et de Civilisation) semble répondre à un scénario logique, justifié par l’acceptation du personnage principal quant à ses succès. Plus qu’un faux branleur, Orelsan se distingue par sa fragilité, caractéristique d’un individu voulant dompter son syndrome de l’imposteur, et y parvenant, petit à petit.