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Rounhaa, Take him back to November

Rounhaa, Take him back to November

Après la sortie de Yeratik l’an passé, Rounhaa est revenu en force avec Horion, sur les plateformes depuis la fin novembre, son mois préféré de l’année. Et pour le terminer en beauté, le rappeur genevois nous a parlé de son projet pendant plus d’une heure via Discord, confinement oblige. Entretien avec un travailleur acharné à surveiller de près en 2021.

Cul7ure : Horion est sorti le 27 novembre. Qu’est-ce que représente ce projet dans ta carrière ? 

Rounhaa : C’est une étape. Maintenant je sais ce que je veux faire et comment je vais y arriver. Horion est une œuvre selon moi : il y a beaucoup plus de matières, de prises de risques et d’ambiances approfondies que dans Yeratik. C’est le produit d’un an de travail acharné. J’ai commencé ce projet en décembre 2019. J’ai aussi arrêté l’école cette année pour me concentrer sur la musique. 

7C : Tu étudiais dans quel domaine ? 

R : J’étais en école d’arts appliquées, en création de vêtements ! La mode est aussi une passion, notamment la haute couture, mais je considère ce domaine comme une porte de sortie. J’adore la précision qu’il faut dans la haute couture. Je vais reprendre l’an prochain.  

7C : Y-a-t-il des similitudes entre le rap et la haute couture ? 

R : Carrément. Ce qui m’interpelle le plus, c’est que je suis très minutieux dans ces deux domaines, alors que de base, je ne suis pas du tout pointilleux. Je suis assez bourrin dans la vie quotidienne. Mais pour la musique et la haute couture, je fais un énorme travail sur moi-même, je m’efforce d’être le plus précis possible. 

7C : Cette année, beaucoup de jeunes artistes ont choisi de sortir des EP. Au contraire, les longs formats s’essoufflent. Pourquoi avoir choisi de sortir un projet de 16 titres ? 

R : J’ai conscience que c’est un gros format. Mais depuis décembre 2019, j’ai dû faire à peu près 200 morceaux. Ma vie c’est faire de la musique. Pour te dire, depuis la sortie d’Horion, j’ai réalisé trois sons (l’interview s’est déroulée le lundi 30 novembre, NDLR). C’était un véritable casse-tête de ne retenir que 16 morceaux. J’aurais aimé en mettre 30, 45 même… Mais il faut poser des limites, il y aura d’autres projets… J’ai senti que ce 16 titres était la taille idéale pour Horion. En fait, je n’en ai un peu rien à faire du format qui fonctionne, du format à la mode. Si la semaine prochaine, je pense que mon prochain album doit être construit en 19 titres, je mettrai 19 sons. Le plus important, c’est d’assumer ses choix. 

7C : Autre chose, il n’y a qu’un feat sur le projet (Khali). En voyant la tracklist, je me suis dit que tu prenais une vraie prise de risques… 

R : De base, il ne devait même pas y avoir de feat sur Horion. Mais pendant le confinement, Sectra, un pote producteur, m’a envoyé un son de Khali. J’ai adoré, on s’est ajouté sur les réseaux et on a grave parlé, jusqu’à faire Miroir, que je trouve assez mainstream d’ailleurs. C’est un gars dans lequel je me retrouve et sa musique me plaît vraiment.  

« Construire un projet, c’est comme une partie d’échecs »

7C : Horion veut dire coup violent. Est-ce que tu as pris une claque en faisant ce projet ? 

R : Le coup violent, je l’ai pris en pleine face oui. En faisant Horion, je savais à quoi m’attendre. Yeratik n’a pas fait un bruit monstre, mais il y a eu des passages, des retours, et j’ai signé chez Believe grâce à ce projet. Pour Horion, je savais que l’attente était plus forte. Je me suis constamment remis en question pour le construire. Certains choix étaient logiques, mais je les remettais quand même en question. C’était assez compliqué à gérer. En fait, construire un projet est similaire à une partie d’échecs. Chaque musique te fait avancer, et il ne faut jamais baisser les bras. 

7C : Tu te livres énormément dans Horion, en es-tu conscient lorsque tu écris ? 

R : Pas du tout. Je n’ai jamais l’impression de me livrer quand j’écris un texte. Je suis quelqu’un de très pudique dans la vie quotidienne : je ne montre pas ma vie privée, je garde mes problèmes pour moi. Mais quand j’écris, je suis seul ou avec mon meilleur pote, qui est aussi mon ingé son. Hier (dimanche 29 novembre, NDLR), j’ai regardé les statistiques Spotify et j’ai vu que 100 000 personnes étaient passées sur mon compte depuis mes débuts. C’est quand je vois ces chiffres que je me rends compte que je me livre à des milliers de personnes. 

7C : Tu n’as jamais l’impression d’aller trop loin ? 

R : Mon père a écouté l’album et il m’a dit que je me livrais trop parfois. J’écris au feeling. Ça pourrait me porter préjudice. Quand j’écris, je parle de sentiments qui me frappent, qui viennent du cœur. Parfois, je ne gratte pas pendant une semaine, et quelque chose se passe dans ma vie. Ça me rend dingue ou au contraire, je suis trop heureux. Du coup je balance 50 mesures sur cet événement. J’ai peut-être besoin d’apprendre à gérer ça. Mais je vais garder la même écriture, je ne me briderai jamais. Il me reste beaucoup de choses à apprendre. Je suis encore en pleine progression, en pleine recherche. 

7C : Sur Horion, tu parles aussi beaucoup de solitude…

R : J’ai des frères. Ils sont là pour moi. Je n’ai pas d’amitiés light, des amis que je vois tous les six mois. Tout le monde a ce genre de potes normalement. Les gens avec qui je traîne, c’est ma famille. J’opère en cercle fermé, même si c’est un peu moins le cas dans la musique. Quand j’aime bien quelqu’un, j’essaie toujours de lui donner beaucoup de reconnaissance.  

« Je veux que mes auditeurs aient une bonne raison de m’écouter »

7C : Parlons un peu des prods… 

R : La musique sans parole est tout aussi importante que la musique avec. Ce qui définit mon univers, c’est la production. Elle va me lancer sur une piste. De mon côté, j’essaie de comprendre la proposition du beatmaker, les ambiances qu’il a voulu faire passer. Je suis toujours à la recherche de cette alchimie entre les productions et mes textes. 

Avec Kosei par exemple, on s’est aussi ajouté via les réseaux en décembre 2019. Il m’a envoyé un pack lors d’un live, il y avait la prod de WYDFM dedans d’ailleurs. Depuis, on travaille ensemble. C’est un génie. Je me suis refait les mails qu’il m’a envoyé depuis décembre, je suis passé à côté de productions incroyables. 

7C : D’ailleurs, on sent sur ces productions et dans ta musique que tu as pas mal de sources d’inspirations, notamment Laylow sur des morceaux comme Retouche ou WYDFM. 

R : C’est une de mes grosses inspirations avec Alpha Wann et Disiz. Je suis ces trois artistes depuis très longtemps. Laylow, j’ai commencé à l’écouter avec sa mixtape Digital Night par exemple. Je n’ai jamais écouté de la musique pour danser, elle me permet d’évoluer. Ces trois artistes m’ont aidé à savoir ce que j’aimais et à mieux me comprendre musicalement parlant. Toutes ces influences se ressentent dans certains de mes sons, que ce soit au niveau de ma voix, mes flows ou des productions. 

7C : J’ai l’impression que tu entretiens une relation spirituelle avec ta musique. La vidéo de promotion d’Horion l’expliquait très bien d’ailleurs. Il y a notamment cette dernière phrase où tu dis « Si je réussis à aller au paradis, je ferai de la musique »… 

R : La musique, je la ressens dans mon cœur. A chaque fois que je fais un son, je veux l’imprégner d’un moment de ma vie. En fait, je veux fonctionner à la manière d’un appareil photo : capturer un moment, une façon de penser et le retranscrire en musique. J’ai un sentiment de satisfaction incroyable à chaque fois que je sors du studio en ayant fait un morceau dont je suis content. C’est comme si je visais une cible avec un arc à des centaines de kilomètres, et que ma flèche touchait en plein dans le mille.

La musique me permet aussi d’exprimer mes sentiments. Beaucoup de personnes ont du mal à le faire, pas parce qu’ils ne veulent pas le faire mais parce qu’ils ne savent pas comment s’y prendre. De mon côté, je m’oblige à le faire quand j’écris. Ça me fait du bien. Mais je ne fais pas ça uniquement pour me sentir mieux, j’utilise énormément la musique dans ma vie. C’est ce qui me fait respirer. Donc ouais, la musique est quelque chose de spirituel chez moi, ce n’est pas une simple thérapie. 

7C : Tu parles de succès dans plusieurs morceaux, en ayant parfois des propos contradictoires. Quels sont tes objectifs au niveau de ta carrière musicale ? 

R : J’ai deux ambitions. D’abord, je veux que les gens m’écoutent pour une bonne raison. Je ne suis pas un gars à la mode, je ne veux pas être stylé. Je veux que mes auditeurs aient une bonne raison de m’écouter : parce que cela les aide dans leur vie ou tout simplement car ils aiment mettre un de mes sons en soirée. Je veux aussi créer quelque chose de solide. Des artistes comme Alpha Wann ou Freeze Corleone ont une vraie fanbase. J’aspire à avoir une communauté soudée autour de ma musique. Je ne veux pas être dans la catégorie « fast-food » du rap. 

Je travaille énormément pour arriver à cela. Je suis sur mon projet depuis quelques mois déjà. Je sais qu’il sera prêt en février. S’il ne sort pas, c’est parce que je dois encore plus travailler. Il sortira en novembre prochain de toute façon, si tout va bien. Tous mes projets sortent en novembre, c’est mon mois préféré. J’adore l’ambiance, je me sens différent en novembre. Tout le monde aime le printemps ou l’été, moi je suis comme Tyler, Take me back to November !

7C : Tu écoutes du rap américain donc…

R : (Il rigole) Je mens de fou sur cette phase (J’écoute rap français, fuck les states). Le gars qui m’a fait commencer la musique, c’est Tyler The Creator. J’étais impressionné par sa proposition, son délire est unique. J’ai commencé à faire des prods bizarres, c’étaient mes premières expériences musicales. J’ai commencé les instrus puis je suis tombé dans le rap à 17 ans. 

7C : Sur Dynamite, tu dis « Je m’en fous d’faire l’album de l’année, moi j’veux faire l’album de ma vie. » Quand est-ce que l’on sait qu’on a réalisé l’album de sa vie ? 

R : L’album de sa vie, on ne sait pas qu’on l’a fait sur le moment présent. Un album ça se savoure, même pour celui qui l’a fait. Par exemple, j’ai tendance à dire que je ne sais pas encore déterminer le format d’Horion depuis que le projet est sorti. Je n’ai jamais dit que c’était un album, mais ça en deviendra peut-être un. Le public décidera. Mais pour revenir à ta question, on saura quel est l’album de notre vie à la fin de la nôtre…

Crédit photo : Emral Kadriov