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Le rap, conséquence de l’antiracisme

Le rap, conséquence de l’antiracisme

Le mouvement hip-hop naît aux Etats-Unis à un moment où le fait d’être noir est une réelle particularité identitaire. Moins d’une dizaine d’années après sa création, le mouvement Black Panther Party (BPP) qui influencera la forme que prendra le rap est apparu dans les quartiers New-Yorkais, notamment dans le Bronx. D’ailleurs, le rap va évoluer en tant que conséquence de la lutte antiraciste cristallisée dans un genre musical. Les Last Poets, pionniers dans le domaine, se sont faits connaître en reprenant les discours du BPP en y mêlant la technique du Spoken Word, première forme de rap. Depuis 1970, ils enchaînent les albums dénonciateurs; le dernier en date, Understand what black is ne déroge pas à la règle. 

Un début du rap antiraciste 

Le “rap” des années 1970 se construit notamment sur un besoin d’évasion de la part de ceux que la société exclut. Il s’étend à travers la communauté afro-américaine qui voit en cette nouvelle forme d’expression une révolution culturelle, à travers des ‘block parties’, qui permettent d’échanger autour de la culture hip-hop. Cette spontanéité créée une réelle contre-culture, accompagnant alors les mouvements des droits civiques. Marqués par les figures de Malcolm X et Martin Luther King, les jeunes new-yorkais chantent ce que toute une communauté pense tout bas. Le blanc peut ici être bafoué librement, la police violentée à son tour. Le rap exprime pacifiquement la douleur d’une jeunesse évoluant dans un système oppressif. 

Le rap des débuts se veut jeune et virulent; il s’insurge contre les institutions et le système post-apartheid américain. Cette nouvelle culture n’a pas le vent en poupe au sein de la culture dominante. De la ‘musique nègre’ à des ‘sonorités barbares’, le rap est lynché et peu respecté. A l’instar du Jazz des années 1920 ou de la funk, il devient un réel safe space pour une communauté dominée. Comme toute contre-culture qui se respecte, les rappeurs se réapproprient les mots racistes. Le N-word est alors une manière de s’adresser directement à sa communauté dans les textes et de dérober les racistes de leurs mots. Le rap est apparu comme la clé de la cage sociale dans laquelle évoluaient ces communautés racisées. Petit à petit, le hip-hop trace son chemin dans les oreilles et traverse les océans. Le groupe américain The Sugar Hill Gang participe dans le milieu des années 1970 à l’expansion de ce monde musical et du message universaliste qu’il y a derrière. Le célèbre et iconique Rapper’s Delight fait alors écho comme un message : 

« To the black, to the white, the red and the brown / The purple and yellow »

L’Europe initie des mouvements similaires, notamment dans les grandes capitales comme Paris, Berlin, Londres, où les enfants d’immigrés tentent de s’émanciper du racisme institutionnel. Des groupes commencent à apparaître en France, comme à leur début aux Etats-Unis, dans les lieux reculés des banlieues. Des compétitions, des battles et des open mic s’organisent et les jeunes talents expérimentent leurs plumes et leur voix, dans une Europe post-coloniale. L’histoire des Grands-Parents de ces jeunes là, c’est l’histoire des tirailleurs sénégalais, l’histoire des migrants appelés par la France pour fournir de la main d’oeuvre. Mais l’histoire de ces jeunes là, c’est aussi l’histoire du rejet des « immigrés de deuxième génération » quarante après les sacrifices de leurs aînés, c’est l’histoire de ceux qui ne se voient pas dans les livres d’Histoire de « l’école de la République ». C’est finalement une histoire de racisme qui construit les banlieues des années 1980, une histoire d’exclusion qui fait naître le rap français.

TUPAC SHAKUR, l’héritier du BPP. 

Au delà de sa discographie légendaire, Shakur est le fils et neveu de Afeni et Assata, deux figures iconiques du BBP. Évoluant dans les milieux militants et offensifs envers les institutions, très proche de sa mère, Tupac s’est construit avec l’antiracisme. Il a aussi connu une tante emprisonnée pour ses idées et sa participation à un parti discriminé. Héritier de ses idées, sa discographie est le miroir d’une jeunesse afro-américaine enclin au questionnement identitaire. Ainsi, “si il ne voit pas de changement”, il dit lui même avoir la mission de changer le monde, de faire évoluer des mentalités. Si la rage Shakur s’est transmise à travers les générations, lui sait qu’il doit, pour survivre, se battre contre les discriminations. C’est par sa plume que Tupac a décidé de lutter. Démocratisant le rap de la côte Ouest, il a été initiateur du rap des années 1990. Il est la figure artistique de l’après BBP et a incarné la relève, à l’heure où le mouvement s’était éteint. 

Une démocratisation plurielle

Prenant place dans différente partie du globe comme cri de révolte des racisés, le rap connaît une explosion dans les années 1990. Son succès et l’apparition de figure du genre attire les médias et les écoutes, sortant de l’entre soi et permettant de réaffirmer son message antiraciste. En France, les rappeurs ne se contentent pas de chanter l’antiracisme : ils font la guerre au racisme. Les groupes comme NTM ou IAM, dont le nom est évocateur, enchaînent les provocations médiatiques et parolières à la France raciste et au Front National. Mais le rap peut aussi faire appel à l’union et ne remettre la faute sur personne. À la même époque, des plumes comme celle d’Oxmo Puccino s’oppose alors aux figures accusatrices comme celle de Kery James et sa célèbre « Lettre à la République ». Cet appel à l’union a fait naître peu à peu une pluralité de rap, sortant du simple genre musical qui « transgresse ». 

En France, le rap démocratisé voit s’imposer une diversité d’artistes. Le message transgressif du genre musical, s’opposant à la société , s’atténue pour laisser place à une diversité de message et d’aspirations. Le blanc devient aussi bankable que le noir… Mais si l’on voit le racisme – ou plutôt l’antiracisme – comme une constituante du rap, cette ouverture peut aussi en être la continuité. Prônant l’ouverture et la tolérance, la démocratisation représenterait alors l’apogée du message anti-raciste du rap. Mais les origines du rap ne disparaissent pas pour autant. Si bien que l’on appelle rap de ‘iencli’ un rap de blanc, qui s’éloigne des considérations énoncées ci-dessus. Si ces mêmes “ienclis” peuvent revendiquer un antiracisme fort, il est aujourd’hui un rap pluriel qui ne se consacre pas seulement à un message contre l’oppression. 

Les médias et le sujet « touchy » de la question raciale dans le rap

Comme une ironie du sort, Nick Conrad a récemment été accusé de « racisme anti-blanc ». Alors que le rappeur, peu connu, sortait un morceau Pendez les blancs, un lynchage médiatique s’est construit autour lui. Le rappeur serait un « raciste » appelant à la haine des Blancs. Depuis les années 1990 en France, les médias sont en effet gourmands des “dérapages” des rappeurs sur ces questions. Comme pour se réapproprier une domination qu’on leur retirerait à travers le rap, les médias mainstream aiment créer la polémique et réinsérer la « question raciale » dans le rap français, alors même que Thierry Ardisson essaie de ne plus s’en occuper. Aux Etats-Unis, l’affirmation du message antiraciste dans le rap est resté médiatiquement très présente. Aujourd’hui, une émission comme Rythm + Flow promeut l’image traditionnelle du hip-hop. Les seuls candidats blancs étaient prévenus par un jury racisé « tu vas devoir t’imposer dans ce milieu, en tant que blanc ». Kendrick Lamar avait en 2016 invité une jeune fan sur scène. Alors qu’elle scandait ses paroles qui contenaient le « n-word », il avait repris en lui disant qu’elle n’avait pas à énoncer ce mot, en lui insufflant des mots qui n’auraient pas été accepté par les médias français, si craintif du mot ‘blanc’. Les médias se sont emparés de la question avec beaucoup moins d’entrain que dans les polémiques françaises, en relançant le débat sur les limites de l’utilisation du n-word. 

Aujourd’hui, le rap est devenu la musique la plus écoutée en France. Son message est un moyen d’éduquer et de parler de ce dont les « dominants » ne parlent pas. Les rappeurs cohabitent presque avec Victor Hugo ou Balzac dans les livres des lycéens.  Aux Etats-Unis, il permet de réaffirmer la voix des banlieues et de réinterroger le rapport à la « race » dans le pays. La question du “N-word” s’est largement (re)posée grâce au rap et a permis de relancer des questionnements sociétaux majeurs. La démocratisation du genre est donc un moyen de se faire entendre et a notamment permis à des catégories sociales loin de ces problématiques de s’éduquer. 
L’antiracisme a construit le rap, mais la réciproque est aussi vraie. Cette équation fait des deux variantes un duo relativement inséparable, et ce depuis sa création. En inversant les rapports de force, il a permis alors de réellement servir une forme de lutte. Si le rap était au début une conséquence de l’antiracisme et une de ces expressions, sa portée en a fait un pilier solide.