Le Ghostwriting
Comment réagiriez-vous si vous appreniez demain que votre pizzaïolo préféré ne faisait que du surgelé ou que cet ami qui vous donne à chaque fois de bons conseils de vie les demande à quelqu’un d’autre par SMS avant? Si vous êtes une personne normalement constituée, un sentiment de déception voire de frustration devrait doucement croître en vous. C’est tout à fait naturel et en musique, notamment dans le rap, ce sentiment apparaît dès lorsqu’on évoque : Le Ghostwriting.
Pour faire simple, c’est le fait qu’un artiste ait recours à quelqu’un qui n’est pas (très souvent) crédité afin de lui écrire ses textes. Le thème est assez épineux et étonnamment, tout le monde semble avoir un avis sur la question. C’est justement ce qui rend la réflexion intéressante et c’est la raison pour laquelle on va réfléchir ensemble sur ce que ça représente dans le hip-hop.
Avant tout, je précise que le ghostwriting n’est justement pas né avec le Hip-Hop. De nombreux exemples dans la littérature en sont la preuve. Beaucoup de grands auteurs ont eu recours dans leur carrière à un « prête-plume » (autant éviter les vieux termes coloniaux). A l’époque, la situation était simple, soit ils se contentaient d’écrire une sorte de première version puis l’auteur le reprenait à sa manière, soit ils faisaient tout le travail et étaient récompensés dans l’ombre. (un peu comme Christian Bale dans Vice). En tout cas, s’il y a une chose qui est sûre, c’est qu’ils sont totalement (et souvent volontairement) omis dans l’Histoire.
Les rappeurs, eux aussi, ont pu avoir recours à quelqu’un pour qu’il écrive leurs textes. Mais alors pourquoi c’est si révoltant voire tabou de parler de Ghostwriting dans le rap?
Il y a plusieurs réponses à cette question que personne se pose. La première est liée à l’origine et à l’histoire du Hip-Hop. Lors des prémices du rap, en France ou aux States, quand tu rappais, tu rappais généralement ton vécu et il fallait apprendre à te démarquer par tes écrits. Que ce soit chez NTM ou Mobb Deep, quand on regarde leurs premiers freestyles, leur personnalité se lisait dans leur voix et dans ce qu’ils rappaient. Disons que tu étais ce que tu rappais. C’est à cette époque où on parlait justement d’esprit Hip-Hop.
C’était presque inconcevable qu’autrui écrive des textes car sinon ça voudrait dire que t’es pas un mec de rue et tu perds en légitimité. D’autant plus que t’étais aussi censé représenter ton quartier et si tu sais pas écrire bah… autant devenir Dj ou laisser ta place à quelqu’un d’autre. Du coup, la logique des ghostwritters avait moins lieu d’être. Malgré tout, il y a toujours des contre-exemples, par exemple on peut citer le cas des membres de Sugar Hill: Grandmaster Caz s’est fait piquer ses rimes par Big Bank Hank. En gros, BBH lui avait pris son « cahier où étaient écrits ses couplets » et il les a posé sur Rapper’s Delight. Le morceau est devenu classic shit, BBH est mort Grandmaster Caz n’a jamais rien touché. (Miskine). On pourrait plus y qualifier de vol, plutôt que du Ghostwriting non voulu mais après tout, qui sommes-nous pour juger un mort? (C’était un voleur).
Cependant, avec le temps, le rap s’est ouvert (certains diront gentrifié) et peu à peu, tout le monde s’est mis à rapper et les maisons de disques l’ont bien compris. Ce n’est plus indispensable d’avoir du « vécu » pour bien rapper et si c’est ce qui manque, c’est pas bien grave, elles ont assez d’argent pour payer quelqu’un qui écrira pour l’artiste en question. C’est d’ailleurs beaucoup arrivé dans les années 2000 où on construisait de A à Z des simulacres d’artistes. Après les artistes deviennent des interprètes.
Le cas le plus célèbre de Ghostwritting se trouve outre-atlantique : D r a k e.
En effet, même Pusha T dans son récent clash l’a rappelé et c’est d’ailleurs plus un secret pour personne : Drake n’écrit pas ses textes. On parle souvent de Quentin Miller, qui a(urait) écrit une grande partie de ses textes. Mais ça explique pas pourquoi ça pose problème. Le truc, c’est que quand t’es une superstar tel Drake, tu as assez d’argent pour avoir recours à un auteur pour tes textes, y’a pas de soucis MAIS comme je l’ai dit au-dessus, chez un rappeur, c’est différent. Dans l’inconscient collectif, on imagine toujours le rappeur avec son stylo et son cahier comme dans 8 Mile qui réussit grâce à son vécu, son interprétation ET son écriture. Or là, si tu as besoin qu’on écrive tes textes, ça veut aussi dire que t’es qu’un demi-rappeur, voire un acteur (ou une marionnette). De plus, c’est compliqué de faire de l’égotrip et de dire que t’es le meilleur si t’as besoin de quelqu’un pour écrire. (aka la base du métier).
Pour finir, il y a une question à se poser : C’est quoi le pire entre ne pas écrire ses textes ou être un mauvais rappeur qui écrit ses textes ? J’ai pas la réponse non plus car ça dépend totalement de l’éthique de l’artiste en question. D’un autre côté, si ça peut permettre de remplir les poches de jeunes artistes dans l’ombre en attendant qu’ils réussissent aussi. C’est tout bénéf’. A titre personnel, ça ne me gène pas à partir du moment où on le sait et ça dépend de l’artiste. Si quelqu’un écrit pour Michael Jackson, que MJ l’interprète et que ça fait un morceau aussi bon que Remember The Time, bah ça me va. Je préfère ça à un couplet de Menzo de la FF, par exemple. L’essentiel c’est de le savoir pour pouvoir l’accepter. Evidemment, ce serait mieux si tous les rappeurs écrivaient leurs textes et si la pauvreté dans le monde disparaissait mais bon. J’oubliais, on pourrait aussi réfléchir aux toplines des beatmakers mais ça fera peut-être l’occasion d’écrire un nouvel article. (peut-être ghostwritté aussi).