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ULTRA ou l’art de la musique suffisante 

ULTRA ou l’art de la musique suffisante 

Après une carrière longue de plus de vingt-cinq années, agrémentée de neuf albums solos, le Duc de Boulogne dévoile son « numéro 10 » en mars 2021, soit plus de 3 ans après Trône, qui s’intitule quant à lui ULTRA.

Plus qu’auparavant, Booba semble s’être poussé à l’extrême dans ce projet, si bien qu’au travers de sa silhouette se dessine encore davantage un combattant au-dessus de la mêlée, bien plus qu’un lutteur ordinaire. L’auteur-rappeur prend un malin plaisir à s’opposer purement et simplement aux opinions bon-marchés et toutes faites servies sur un plateau par les principaux représentants du pouvoir, qu’elles soient sociales, culturelles, ou tout simplement politiques. 

Bill dit qu’il a l’antidote, Vladimir dit que le thé est servi

Booba – Azerty

Au sein d’un parti pris populiste clairement assumé, Booba prend ouvertement position et se range dans un désaccord total avec les élites classiques.
Véritable fil rouge de sa carrière, le rappeur a su tout du long de cette dernière se constituer comme un reflet de l’anticonformisme, à l’image d’un Renaud en début de carrière, artiste dont la comparaison avec notre homme s’avère pertinente sur nombre d’angles. Booba n’est pas simplement un chanteur ou un auteur, c’est une attitude, une personnalité de poète trash et audacieuse qui ne laisse que rarement indifférente. C’est une caractéristique définissant pleinement ULTRA. Le projet paru en mars 2021, la politisation de Booba prend d’autant plus de sens dans un contexte mêlant crise sanitaire et politique. Contexte qui lui permet d’affirmer sa stature et son positionnement comme seule alternative valable face à ce qu’il estime être le symbole de la corruption du monde. C’est d’ailleurs un aspect qui dépasse la musique et qui semble faire partie de Booba. C’est lui contre tous. Impossible de passer outre à l’écoute du projet. On assiste (et on adhère ou pas d’ailleurs) à une remise en cause (voire une détestation) de l’Etat et de ses sbires omniprésente et quasi-permanente. 

En gros c’est cuit, la seule issue : La piraterie.

Booba – 5G

Cependant, le rappeur n’a plus rien à prouver, et à l’image d’un Gainsbourg en fin de carrière, il ne prouve donc plus rien. L’album, musicalement efficace, fonctionne et s’écoute, voire se réécoute. Les featurings sont intéressants, on y observe un Booba volatile, faisant le nécessaire, à la régulière, et semblant vouloir mettre en valeur ses poulains plutôt que lui-même. Ce dernier s’adapte même aux standards de ses rookies, allant du très doux Grain de sable avec Elia au très kické Bonne journée avec SDM, sans forcément briller, fournissant l’essentiel, sans forcément plus. 

L’auditeur non-avisé estimerait que Booba n’est plus que l’ombre de lui-même, se permettant une suffisance telle qu’elle en devient arrogante. Cela dit, il n’en demeure pas moins qu’il persiste un arrière-goût de triomphalisme autosatisfaisant plutôt frustrant. Dans la continuité de Trône, l’artiste nous confirme bel et bien que le hip hop est son royaume et que le poids du pouvoir est lourd. Le rappeur se contente donc de démontrer encore une (dernière ?) fois, dans une potentielle quête de légitimité désinvolte, qu’il n’y a personne d’autre sur cette foutue scène pour dire au monde qu’il l’emmerde aussi bien que lui ? Y’a-t-il un MC, situé aussi finement entre l’art du mauvais goût et celui de la qualité pour prendre le trône ? Booba esquisse indirectement une réponse par la négative, ne serait-ce que par son ubiquité sur la scène hip hop francophone. 

J’vais arrêter d’parler d’eux, ils sont en-dessous, ‘vont dire qu’c’est moi l’haineux.

Booba – ULTRA

Ce constat du silence et de l’amertume, omniprésent sur le projet, et même plus généralement sur la carrière du Booba, apparaît comme sa clé de voûte. Là où Trône rimait comme une hégémonie naturelle (“Je règne”), avec une concurrence pourtant recherchée mais pas au niveau, ULTRA est plutôt celui du “Et après ?”. Comme si le Duc, du haut de son trône, venait apporter avec bonté une musique juste passable, parce que « j’ai déjà trop prouvé au public, et parce que j’ai pas envie de le faire. » Bien que cela soit musicalement dommage et reprochable, c’est une pure attitude à la Booba. 


En réalité, ULTRA se définit comme un album suffisant. Suffisant parce que le sentiment se dessinant au fur et à mesure de l’écoute est surtout celui de la paresse de Booba à montrer moins que ses réelles capacités musicales, suivant presque une logique d’autolimitation. On lit par ailleurs plutôt facilement entre les lignes qu’il emmerde l’auditeur à qui cela ne plaît pas, car lui connaît la vraie histoire. La critique de cette posture apparaît évidente, mais elle s’inscrit avec une aisance terrible dans la carrière et dans le persona de Booba, dans son bagout, partie intégrante de son univers artistique. La phase “J’me tue quand j’ai besoin de naître”, passant plutôt inaperçue au milieu du festival de punchlines du très dynamique GP, incipit du projet, semble finalement prendre tout son sens.