Sheldon, au cœur d’une autre réalité
On y pense rarement mais parmi les plus prolifiques de ce game on retrouve la 75ème Session et ses membres. Parmi eux ; Sheldon, qui est une figure emblématique du collectif parisien. Avant même de parler de ses différents projets on est obligés de souligner la polyvalence de l’artiste, aussi performant dans le rôle d’ingé son, de rappeur ou encore de beatmaker. derrière le micro qu’à la production que sur un rôle d’ingénieur du son. Globalement présent auprès de l’ensemble des membres du collectif, il fait partie de ceux qui ont travaillé en étroite collaboration avec le regretté Népal sur Adios Bahamas, album ô combien important du premier semestre 2020 ; et potentiellement de l’année.
Avec ce nouvel EP, FPS, Sheldon précise ses forces, ce qui caractérise sa musique et son univers. Il en profite pour nous ramener au cœur des années 90 à l’époque où la PS1 est reine, bien loin de la récente annonce de Sony.
Sheldon, au cœur d’une autre réalité
Faisant écho à l’EP RPG et arrivant après l’album Lune Noire et son EP Préquel, FPS surprend essentiellement par son éclectisme et sur l’évolution de l’artiste. Si on sait qu’il maîtrise tout un tas de technique de Rap tel un vrai shinobi, ici il en explore de nouvelles. Le chant et son adresse quant à la gestion des mélodies sont on ne peut plus frappantes. Les prods empruntent à l’univers sonores des jeux vidéo et apportent une réelle dimension au projet. On est bien obligés de souligner l’énorme travail de Yung.Coeur sur la partie production. On commençait à le savoir mais sur cet EP il confirme le talent qu’on lui connaissait déjà. Sur des bases électroniques il en ressort une certaine aisance à kicker pour Sheldon et la volonté de montrer ce dont il est capable.
On pense forcément au morceau éponyme dans lequel un flow presque chirurgical vient embrasser une instru typique du genre. S’identifiant au protagoniste de l’iconique jeu Doom, il assume un statut de toute puissance. Maniant l’égotrip de façon extrêmement précise, l’aspect gore du jeu constitue l’imagerie idéale pour coller aux propos du rappeur.
Les dents serrées j’n’ai que trois minutes
Sheldon – Rang S
Pour te convaincre que j’peux t’éclater en trois minutes
S’il parvient à démontrer une fois de plus l’aisance avec laquelle il rappe, c’est bien sur le choix des références et la manière dont il les met en musique qu’il parvient à surprendre. Véritable coup de cœur sur ce projet, Solid Snake est un de ces morceaux touchants dans lequel l’artiste se dévoile. On y comprend de façon évidente une réticence à appartenir à un monde qui ne lui convient pas. Il s’agit alors d’un morceau qui ; au regard de l’ensemble de sa carrière, met en avant ce qui caractérise le plus l’artiste. Si on pense à un titre comme Tercian ou au Asperger, en featuring avec Sanka sur leur projet commun, ce rapport au monde extérieur se dessine de façon évidente. Véritable pierre angulaire, la thématique est récurrente. Il y a un rapport très étroit à l’enfance et à une vie peut-être plus simple où se réfugier devant son écran permet de balayer simplement les soucis naissants. On y retrouve alors l’envie de rester seul, tel un Saiyan dans sa capsule, ou encore seul face à sa console. Les jeux et la pop culture plus globalement deviennent alors les seuls constituants d’une échappatoire nécessaire.
Pour aller encore plus loin, l’album Lune Noire se place lui-même comme une œuvre de fiction à part entière. Si une grande partie d’entre nous a pu grandir avec des œuvres telle que Dragon Ball Z, Naruto et tant d’autres (on remarque qu’à travers ses textes, il s’agit presque exclusivement de références à la culture nipponne), Sheldon en est venu à créer et raconter sa propre histoire. On retrouve d’ailleurs sur son compte Instagram (@Sheldragon) une incroyable bande dessinée allant dans ce sens. On constate alors qu’au travers d’une réalité annexe, celle où le statut de héros s’assume pleinement, c’est avec ces différents projets qu’il exprime cette appartenance à un autre monde.
J’me sens mal à l’aise dans vos réunions,
Sheldon – Solid Snake
J’suis pas à ma place dans ce drôle de monde
Cela se constate surtout dans le second couplet de Solid Snake, qui ne cesse de faire écho à cette sensation d’être seul, ou en tout cas seul dans sa différence. Il y exprime la perte d’un contrat, lié justement à cette volonté de rester seul à produire davantage de sons. Seul moyen d’évasion concret, alors que le monde virtuel présente le même intérêt que ce qu’il évoquait déjà deux ans auparavant dans Bateau Bleu. Cet intérêt pour les écrans a fini par réellement le maintenir éloigné d’un monde vraisemblablement néfaste pour lui.
Le projet fonctionne bien mieux lorsque les liens sont faits avec l’ensemble de la discographie de Sheldon et ; hasard ou vraie recherche de sa part, il s’agit d’un énorme travail de cohérence. Dans ce qui semble bel et bien recherché on note le clin d’œil à aux titres NGC, Level Up et Izanami sur le morceau PS1 lorsqu’il réutilise la phase annonciatrice d’un ciel gris telle une humeur maussade et pleine de soucis. Il n’est alors plus question de la manette de Dreamcast ou de Gamecube mais bien de PS1. Outre ce qui s’apparente à un easter egg, il s’agit davantage de ce rapport constant à une quête de distanciation lui permettant de mieux s’exprimer au travers de sa musique.
Les références sont donc nombreuses, allant de jeux emblématiques jusqu’aux protagonistes de ceux-ci. Mais c’est également le cas pour d’autres personnages de la « pop culture », allant de la Team Rocket à Itachi en passant par l’univers d’Harry Potter ; il y en a pour tout le monde. Il est certain qu’il sera peut-être technique de saisir le poids d’une phase comme « J’suis dans le bunker j’mélange le polynectar, j’ai rien à voir, eux c’est des cracmols » pour un néophyte. Néanmoins les clins d’œils restent placés et utilisés de façon efficace. Sans en abuser, cela est avant tout utile pour voir se dresser la fresque des inspirations de Sheldon et de ce qu’il souhaite nous faire parvenir.
Enfin, comment ne pas évoquer les uniques featurings du projet ? Sur le morceau CD Vierge, Sheldon invite donc évidemment des membres émérites de la 75e Session. Comme on pouvait le laisser présager, la connexion avec Inspire & M le Maudit est terriblement efficace. Les passages des trois artistes s’enchaînent avec une très belle fluidité. Sheldon au refrain amène une proposition particulière qui a tout pour s’ancrer en tête et résonner longuement.
Le morceau est la conclusion d’un EP solidement pensé et construit avec un énorme travail sur la cohérence. Si on commençait à savoir à quel point Sheldon était un artiste talentueux et pertinent, il le prouve une fois de plus. Ce genre de format devient un vrai jeu pour lui où tout semble facile et à sa portée. Quand on voit la polyvalence de ses productions (bande dessinée, exposition, etc…), reste à savoir avec quelles nouvelles idées, il pourra nous surprendre.