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INSIDE, meilleure œuvre audiovisuelle de 2021 ? 

INSIDE, meilleure œuvre audiovisuelle de 2021 ? 

En attendant de recevoir un chèque de la part de Netflix pour le partage de mes coups de cœur, je m’apprête à le faire gratuitement mais si par le plus grand des hasards, vous tombez sur ce lien, n’hésitez surtout pas à me rémunérer. 

N’importe quelle personne de mon entourage a déjà subi mon avis dithyrambique sur ce contenu assez particulier et grâce à moi, vous allez devenir cette personne qui harcèle les gens qui n’ont toujours pas vu le contenu que vous venez juste de voir. Bien que le titre de l’article soit assez aguicheur et que la plupart des contenus d’humoristes nous font souvent à peine pouffer du nez, je vais essayer de vous convaincre de matter une des plus belles expériences de visionnage que j’ai pu vivre cette année. Ne perdons pas plus de temps et entrons dans le cœur du sujet. 

Bo Burnham ? 

L’expression est certes surutilisée mais lorsque l’on ouvre un dictionnaire, à gauche du visage de Bo Burnham, on peut littéralement lire “enfant d’Internet”. Dès 2006, alors qu’il n’était encore qu’un jeune adolescent, il publie une vidéo qui pose déjà les bases de son style. On le voit se filmer seul, dans sa chambre avec son piano pour l’accompagner. My Whole Family est alors son premier morceau plutôt facétieux où il ironisait sur le fait que toute sa famille pensait qu’il était gay. 

Si plus tard, il maniera ce genre de problématiques avec beaucoup plus de finesse, on remarque surtout qu’il écrit, qu’il compose et qu’il performe plutôt bien pour un adolescent. Après une série d’autres vidéos filmées également dans sa chambre, il se fera notamment repérer par Comedy Central. Il va apprendre à jouer la comédie et affûter ses talents d’écriture dans des sketchs de plus grande envergure. Ce qui fait la particularité de son style, c’est notamment sa capacité à cerner de manière cynique les failles et les paradoxes de son environnement ainsi que l’industrie tout en y incorporant de la musique ; vitale pour le rythme qu’il instaure. Par la suite, en plus de ses shows pour Netflix, il va également écrire son premier film et renforcer son côté polyvalent en apprenant à endosser la casquette de scénariste et de réalisateur avec Eighth Grade en 2018. Finalement, ces atouts vont lui servir afin de parvenir à la création du programme qui nous intéresse aujourd’hui. 

INSIDE

S’il parlait ouvertement de santé mentale sur scène, ses crises de panique vont prendre le dessus sur lui, à tel point qu’il va devoir arrêter de se produire en spectacle. Il va alors s’isoler chez lui afin de se réparer et se soigner pendant environ cinq ans. Une fois “guéri” et alors qu’il était sur le point de sortir la tête de l’eau en reprenant sa vie de standupper classique, une pandémie mondiale et surtout le confinement vont le freiner dans son élan. Face à cette nouvelle le forçant à s’isoler à nouveau, il va donc faire le choix astucieux de réaliser intégralement son spectacle dans sa maison ; que l’on pouvait d’ailleurs apercevoir à la fin de son précédent show Make Happy

INSIDE fait partie des œuvres qui entrent dans l’intimité profonde de l’artiste. Par ailleurs, deux précisions semblent à mon avis nécessaires avant de lancer un tel programme : Premièrement, c’est assez plombant. Sans jamais sortir de chez lui, Bo Burnham aborde ouvertement ce qu’il ressent au cours de ce “nouveau confinement” et des conséquences psychologiques accentués par ce dernier (crises d’anxiété, dépression, etc…) mais également son passage à la trentaine ou encore son rapport au suicide, ce qui peut ne pas mettre dans le meilleur des états après le visionnage. Vous pourrez toujours lancer juste après Master of None ou bien Peppa Pig pour contrebalancer. 

Deuxièmement, INSIDE est parsemée de chansons écrites au service de la comédie. Encore une fois, le fait qu’il soit musicien permet de rendre le tout agréable mais ça peut potentiellement rebuter aux premiers abords. 

I hope this special can maybe do for you, what it’s done for me, these last couple months, which is, to distract me from wanting to put a bullet in my head with a gun

Alone in the light

Là où INSIDE se distingue nettement des éreintants journaux de bord du confinement, c’est tout d’abord par la maîtrise de sa création sur le plan musical, thématique et visuel

Tout d’abord, en termes d’interprétation et de composition, la prestation de Bo est encore plus impressionnante que sur ses précédents shows. Ici, il parvient à créer un véritable univers musical sur mesure, mature et cohérent. Toujours accompagné de son piano et parfois de sa guitare, il utilise sa musique habilement pour nous faire entrer dans le tourbillon de ses réflexions. Si la plupart des sujets évoqués parviennent à viser si juste, c’est notamment parce qu’il est toujours concerné de près ou de loin par le sujet qu’il traite. Par exemple, lorsque le sujet des réseaux sociaux est abordé, on est loin des sketchs de “confrontation” où des adultes perdus critiquent le comportement d’adolescents/jeunes adultes (Cliquez si vous avez le courage). Ici, on a le point de vue de quelqu’un ayant grandi avec ces outils et qui est au premier plan de l’utilisation de ces derniers. Ainsi, jouissant d’un œil plus critique sur les bienfaits et les zones d’ombre de ces derniers, il prend en compte des considérations soit plus globales et systémiques soit plus intimes et émotionnelles. Ce qui fait que d’une part des chansons comme Sexting, White Woman Instagram ou encore Welcome to the Internet fonctionnent aussi bien, c’est parce qu’il est au cœur de ce qu’il raconte et ça donne de la valeur à son propos. D’autre part, puisque cette analyse vise juste alors elle touche plus facilement le spectateur, qui va se l’approprier plus aisément (cf les reprises sur Tiktok, par exemple).  

Or, contrairement à ses précédents projets où il était vraiment épaulé par une équipe pour tout créer, ici, il est vraiment seul à chaque étape de la création. Ce qui aurait pu être un frein à la qualité du rendu final va alors devenir le moteur de sa créativité et devenir aussi impressionnant que motivant. Grâce à une ingéniosité sans précédent et un grand nombre de prises, il va réussir à nous proposer quelque chose de très intime avec un rendu visuel spectaculaire, ingénieux et surtout innovant. Cette contrainte va nous permettre d’être au plus proche de lui au cours de son processus créatif. Bo va alors faire de son appartement un véritable terrain de jeu qu’il va vraiment exploiter de toutes les manières imaginables. 

Bien qu’on puisse le lire directement sur son visage, on ignore la durée exacte nécessaire à la création d’un tel projet. En se livrant de la sorte sur lui-même, sa santé mentale qui se décline et ses réflexions, il parvient à être touchant, léger et profond à la fois. L’expérience de visionnage est également assez spéciale car nous assistons au backstage de la construction d’un spectacle de quelqu’un qui ne semble pas bien vivre la situation. D’un œil impuissant et quasi voyeuriste, on a accès à une intimité quasi pure d’un artiste donnant tout pour sa création. En revanche, en gardant en tête que Bo Burnham est aussi un acteur, il est également intéressant de s’interroger sur le rapport à la sincérité dans la mise en scène de son mal-être.  


Malin, cynique et cohérent, Bo Burnham incite le spectateur à s’interroger sur le monde qui l’entoure sans jamais être pataud ou condescendant. En se mettant à nu à ce point et avec son écriture acerbe et fine, il réussit à créer un bijou audiovisuel qui sort des sentiers battus. Que ce soit dans la maîtrise de la structure ou du propos, rares sont les œuvres aussi bien conçues qui procurent autant d’émotions opposées. A la fois sombre, sincère et réfléchi, INSIDE fait partie des créations qui continuent de me hanter. En y réfléchissant, c’est d’ailleurs un des plus beaux hommages à la créativité qu’on ait pu voir récemment. Maintenant, on a plus qu’à espérer qu’un nouveau confinement ne rende pas le programme encore plus actuel, et si ça arrive, on saura au moins quoi regarder.