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Yung Lean, l’avant-gardiste

Yung Lean, l’avant-gardiste

Yung Lean, malgré son jeune âge, pourrait se vanter d’avoir révolutionné la musique. En effet, du haut de ses 24 ans, il est l’un des pionniers de la « génération Soundcloud », mais a également collaboré et influencé des artistes ayant deux fois son âge. Si vous ne le connaissez pas, c’est le moment de se pencher sur l’un des artistes les plus intéressants de la décennie passée. Retour sur le parcours du jeune pionnier suédois.

Lean commence à rapper en 2012, alors âgé de 15 ans. Guidé par l’ennui, et accompagné de Yung Sherman et Yung Gud. Il deviendront plus tard ses producteurs attitrés et formeront un premier groupe qui se divisera plus tard : Le groupe « Sad Boys » est né. C’est à cette époque qu’il commencera à publier ses premiers morceaux sur Soundcloud, suivis par ses premiers clips sur Youtube, cela en toute indépendance. Il se débrouille avec ses amis pour la réalisation des clips, l’enregistrement, le mixage et le mastering.

Son premier clip, Greygoose, lui permettra d’atteindre une certaine notoriété locale, mais c’est seulement à partir de son deuxième clip, Ginseng Strip 2002 que Lean réussira à créer un buzz qu’il entretiendra avec la sortie du clip de Kyoto en 2013.

Très talentueux musicalement, Lean se caractérise par son accent suédois et un flow très nonchalant. Il n’hésite pas à utiliser de nombreux effets sur sa voix ou à chantonner, même parfois un peu faux. Ce dernier élément lui permettra, sur des productions de Gud, Sherman ou Whitearmor de créer des ambiances totalement inédites, qu’on rangera plus tard dans la catégorie un peu grossière du « Cloud rap ». Yung Lean dit tirer ses influences du rap américain du début des années 2000, il grandit en écoutant 50 Cent, la Three 6 Mafia, puis plus tard Kanye West qui lui aurait permis de comprendre que la créativité n’a pas de limite.

C’est pourtant l’esthétique visuelle de ses clips, très imprégnée de la “Culture internet” qui lui permet de se faire remarquer. Les effets vaporwave, les glitchs, les plans répétitifs et les animations 3D sont surexploités. On sent également une forte influence du Japon dans l’imagerie de Lean (il suffit de regarder la pochette d’Unknown death 2002). Aujourd’hui, ses clips sont beaucoup moins impressionnants car tous ces effets ont été largement démocratisés, mais dans le contexte de l’époque c’était très novateur.

D’un point de vue vestimentaire, on peut voir Lean porter des jackets North Face, des bobs, des casquettes Ralph Lauren, des Air Max 97, ou encore une cagoule, autant d’éléments qui acquerront quelques années plus tard une forte popularité. Lean aime bien s’habiller mais déteste la mode et le conformisme, un peu à l’image de sa musique. On ne peut pas parler de Yung Lean sans évoquer les fameuses bouteilles d’Arizona qui sont plus tard devenues un accessoire de décoration à part entière pour les ados Tumblr.

Enfin, les thèmes abordés sont divers : la drogue, la dépression, l’argent, les relations amoureuses, ou encore l’ennui et la tristesse. On retrouve également des références à la “pop culture” des années 90, comme les jeux Nintendo avec lesquels il a grandi. Les auditeurs de Lean ont approximativement le même âge que lui, et par conséquent, s’identifient facilement car ils traversent les mêmes épreuves et possèdent les mêmes références que lui.

Lean était en avance sur son temps, et de nombreux éléments le caractérisant et rendant son personnage unique ont été largement récupérés par la « génération Souncloud », qui commencera à émerger vers 2015. Le logo du groupe Gothboiclique qui semble très inspiré de celui du Sadboy Entertainment, ou encore Nav qui plagiera outrageusement Hennessy & Sailor Moon sur Held me down sont des exemples flagrant de cette influence. Même si la plupart des artistes se contenteront de faire son éloge en interview, comme Skepta, ou encore Travis Scott qui déclarera que Yung Lean est un génie. Ces deux derniers ont d’ailleurs collaboré sur l’excellent Ghosttown, issu d’Unknown memory sorti en 2014. Pour l’anecdote, Lean était prévu sur Rodeo, mais Travis aurait décidé de retirer son couplet de Wasted. La version originale a fuité sur Youtube pour les curieux.

De Zed Yun Pavarotti à Laylow, en passant par Freeze Corleone qui lui glissera un s/o discret sur  Yamanote Line en featuring avec Zuukou Mayzie, de nombreux artistes francophones disent avoir été influencés par la musique de Lean, prouvant que son influence dépasse largement la sphère du rap US.

Son personnage à l’apparence unique et en décalage avec son époque attirera la curiosité d’artistes avec lesquels il collaborera. Hormis ses amis du groupe Gravity boys (Thaiboy Digital, Bladee et Ecco2k) avec qui il collabore régulièrement, Lean a travaillé avec de nombreux artistes. Ainsi, outre Travis Scott, il a travaillé avec ASAP Ferg, Gucci Mane ou même Frank Ocean, qui, impressionné par le talent du jeune suédois l’invitera sur deux titres de son album Blonde.

Néanmoins, sur ses propres projets, Lean préfère limiter les collaborations, producteurs inclus. Bien qu’il apprécie travailler avec d’autres artistes, un cercle restreint de collaborateurs lui permet d’être plus à l’aise afin d’étaler son génie créatif. Trop nombreux sont les gens qui pensent que Yung Lean se limite à un personnage décalé issu de l’internet de 2013, et par conséquent ne prennent pas sa musique au sérieux. Pourtant, sa carrière ne se limite pas à cette période.

Ainsi, après une année 2014 réussie, conclue par la sortie d’Unknown memory ainsi qu’une tournée américaine, 2015 sera une année très difficile pour Lean et marquera un tournant dans sa carrière. En effet, s’étant rendu à Miami dans le but d’enregistrer son premier album studio, Lean sombrera dans la drogue. Suite à une violente crise, il séjournera en hôpital psychiatrique avant de rentrer en Suède.

L’année 2016 sera plus calme sur le plan personnel, mais très active musicalement avec la sortie du très attendu Warlord, un album où on sent Lean torturé, puis en fin d’année la mixtape Frost God. L’année suivante sera l’année de Stranger, un album très complet qui comporte le tube Red Bottom Sky

Yung Lean semble avoir gagné en maturité musicalement parlant, et la mort de Fredo Santana en 2018 l’incitera à arrêter définitivement la drogue. Après Poison Ivy en 2018, Yung Lean a récemment sorti son album Starz en mai. L’album est excellent, la palette d’émotions est très large et on sent Yung Lean totalement à l’aise dans sa démarche artistique. On pourra regretter l’absence du featuring avec Playboi Carti, pourtant teasé des mois avant la sortie du projet, le label de Carti n’ayant apparemment pas cédé les droits. Toujours est-il que Yung Lean prouve qu’il possède encore des nombreuses cartes dans son jeu et qu’il a bien évolué depuis l’époque où son personnage était pris pour un meme.

Plus Lean évolue, moins la musique n’a de barrières pour lui, il n’aime pas être rangé dans des cases. Le nouveau Yung Lean est devenu contemplatif et sait se satisfaire de peu. L’esthétique de la tristesse et de la dépression qui est encore largement utilisée aujourd’hui par de nombreux artistes ne lui correspond plus du tout, bien qu’il reste un Sadboy. Il écrit mieux, maîtrise mieux sa voix, prend plus de risques et déclare pourtant ne toujours pas avoir atteint sa maturité artistique.

Ayant changé d’esthétique progressivement, Lean est en perpétuel décalage avec les modes, ce qui joue parfois en sa défaveur. En effet, les fans de la première heure n’ont pas tous suivi son évolution, et quelques morceaux trop expérimentaux peuvent démotiver un nouveau public à prendre le temps d’écouter des albums entiers. Parfois incompris, Yung Lean a tout de même marqué la musique de son empreinte et possède un parcours singulier conclu par un très bon dernier projet. Pour conclure, streamez Starz