Wit. Cyberpunk des temps modernes
Grande-Bretagne. 1977. Les Sex Pistols, figure de proue du punk british, sortent le titre God Save the Queen, en référence à l’hymne de leur pays. La cover met en scène une reine défigurée, mais autre chose choque la nation ; l’arrivée de ce morceau au moment sacré du jubilé de celle-ci. Le groupe compare le système politique de la Reine à un régime fasciste et un “No Future”. Deux mots qui auront une résonance mondiale en devenant l’un des slogans de la génération punk. Cette dernière renie le monde et exprime sa colère contre le système capitaliste.
Wit., rappeur originaire de Montpellier, a toujours aimé dénoncer les travers de la société. Pour son dernier projet intitulé No Future (sorti au mois de juillet), le rappeur signé chez Jeune à Jamais a repris les codes de l’idéologie punk tout en insérant une touche sombre et futuriste. Le rendu fait penser à l’univers cyberpunk. Mais contrairement à cette mouvance, le rappeur ne se projette pas dans un futur dystopique. Le présent lui suffit et appuie à merveille ses propos. Résultat : le projet se démarque par sa singularité. Le Montpelliérain l’assure, il ne fait plus du rap, mais bien “l’art d’après”. « Wit. avait une vibe plus ouverte, plus grand public sur Sirius (un six titres sorti en juillet 2019, ndlr). Dans No Future, il s’interroge sur le monde qui l’entoure, en exprimant ses peines, ses tristesses et remises en question. Un peu comme sur ses tout premiers projets. » nous expliquait le producteur Daigo, qui a mixé Sirius et produit le son Proz.
Une direction artistique de haut niveau
Wit. fait régner une ambiance menaçante dans No Future, dont il se targue dans Proz ou Fragment (“Moi et le mal c’est romantique”). Attentionné, il livre un message de prévention pour les nouveaux auditeurs dans Falcon : « Si t’es là c’est que tu connais déjà Wit. […] sinon tu vas bader ». Le ton est donné. Durant une trentaine de minutes, le Montpelliérain est tantôt diabolique, tantôt ironique, tantôt fataliste ; comme il aime le répéter dans Viper et Fragment : “mauvais sort est sur le globe”. Le rappeur livre une vision froide mais réaliste du monde qui l’entoure, en exprimant son rejet de la société. Un thème récurrent dans sa musique. Dès 2017, il comparait l’Homme à un “bout de viande” dans Fruit du Mépris (présent sur l’EP Dawa), ou remettait en question l’Histoire dans NEO (titre éponyme du projet sorti en janvier 2019) : “Il s’attendait tous à ce qu’on prenne un colon pour modèle”.
Avec No Future, Wit. a poussé ce dégoût envers la société à son paroxysme. Un sentiment représenté par la cover du projet, où le rappeur apparaît avec un visage lacéré et des dents démoniaques, sur lesquelles le nom du projet est écrit. Le message est clair, Wit. est “sur répondeur quand les anges l’appellent” et “illumine sa vie en feux de détresse”. Une impression confirmée dans le clip de Proz qui reprend et développe les éléments de la cover du projet. Bis repetita dans une vidéo promotionnelle publiée sur ses réseaux sociaux, où le rappeur il s’adresse à un démon. La direction artistique du projet – gérée par le collectif TBMA (dont Laylow et Wit. font partie) – tire le projet vers le haut.
Le Montpelliérain déballe sa haine contre le monde au fil du projet. Les phases dénonciatrices et pointant les mauvais côtés de la société s’enchaînent sans jamais s’arrêter. Wit. va même jusqu’à se déshumaniser. Une sensation accentuée par le travail réalisé sur la voix de l’artiste. Ce dernier a perfectionné l’interprétation de ses textes, chose qui s’était déjà ressentie sur Trinity dans le morceau …DE BATARD. Cette force – combinée à de multiples effets vocaux et des flows toujours percutants – sert le projet à perfection. L’artiste passe d’une voix digitale dans Proz ou Savoir à un timbre venu tout droit du Styx sur Fragment et No Future. Ajoutez à cela une écriture singulière et le tour est joué.
Wit. s’ouvre à nous puis nous emmène dans son univers
Daigo
Pour ELK, le producteur de Fragment, ce titre est l’une des grosses prises de risque du projet : « On a fait cette production en septembre 2019 en studio. Au départ, elle sonnait un peu classique. Mais j’ai ajouté un effet qui donne cette ambiance et ce rythme si particulier ». ELK a aussi produit la seconde partie de Loco, titre sur lequel le rappeur a invité Laylow. « Il avait l’idée de faire une zumba sombre et m’avait fait écouter un son dans le même délire sur Youtube au studio. Ensuite, Wit. a commencé à construire la basse et j’ai ajouté la drum, les percussions… D’ailleurs, je les ai enregistrées dans ma cuisine. »
Wit. est aussi producteur à part entière. Il composait une grande partie de ces morceaux jusqu’à NEO. C’est d’ailleurs lui qui a composé Ailleurs, le premier titre de l’album. « On est en mode collaboration quand on travaille ensemble. Farès est capable de structurer une production de A à Z. Il a une bonne patte, il sait comment il veut une prod et ce qu’il veut éviter. » assure Daigo. Pour ELK, Wit. sait s’ouvrir à l’univers des producteurs pour leur permettre d’apporter leur touche. Mais Daigo rassure, on ne le verra pas de sitôt sur une production mainstream : « On a essayé de lui placer des instrus drill car sa voix et ses flows pourraient donner un vrai délire. Mais il ne veut pas, ce n’est pas en accord avec lui-même. En fait, il s’ouvre à toi puis t’emmène dans le même temps dans son univers. » conclut le producteur.
Tout n’est pas noir dans No Future. De légers messages d’espoir sont disséminés au fil du projet, comme dans Falcon (“Y’a peu d’espoir mais y’en a autour de toi”). Les productions de Reset et Canyon Diablo apportent aussi un peu de chaleur. L’instrumentale est dansante, et le flow chantonné de Madd est toujours agréable à entendre. La production de Canyon Diablo est elle aussi lumineuse. Mais les paroles de Wit. restent sombres, avec un pessimisme constant : “Tu cherches la lumière dans mes yeux, t’es sincère ou insensé ?”
Ainsi, malgré la critique de la société présente tout au long du projet, No Future ne lasse pas, tant les sonorités et les flows sont différents d’un son à l’autre. Le Montpelliérain a aussi des passages plus introspectifs, comme dans l’outro de Savoir. Il y parle de remise en question, de son rapport au temps ou encore d’argent. L’un de ses thèmes favoris. Car s’il rejette la société, Wit. n’a jamais caché sa recherche constante de richesse. Pour lui, “tous les chemins mènent au bifton”. L’artiste “monétise sa peine” pour mieux panser ses plaies et accéder à sa liberté. Wit. participe donc à la société qu’il décrit avec mépris et rancœur. Une position assumée, résumée par une phase dans Savoir : “soit tu te perds dans ce monde, soit tu te l’appropries”. Wit. a fait son choix. Faites le vôtre.
Un grand merci à ELK & Daigo pour leur temps et leurs réponses !