Abdallah, le disparu
Jadis, il existait un rappeur du nom d’Abdallah. C’est possible que vous ne l’ayez pas spécialement vu ou écouté car ça fait plusieurs années qu’on a plus vraiment de nouvelles. Avec les milliards de sorties d’albums et de rappeurs apparus depuis le milieu des années 2010, c’est même compréhensible que son nom ne vous évoque rien. Ce qui est assez fantasque, c’est que sa dernière apparition en date est aussi sa plus mauvaise (à mon humble avis). Ça date de mai 2016, ça s’appelait BBN,(Bisous Bonne Nuit, ndlr) et c’était pas terrible. En gros, il avait fait un feat avec les “Frères Lumières” (c’est à dire Hayce Lemsi & Volts Face). On est clairement sur un Top 5 des pires refrains du Rap Français et le couplet d’Abdallah dénote avec tout ce qu’il a pu faire auparavant. Cependant, j’suis pas là pour tirer sur l’ambulance mais plutôt pour “redonner ses lettres de noblesse” à un artiste que j’ai vraiment beaucoup écouté et qui aurait pu/dû avoir beaucoup plus de place sur la scène rap fr.
Abdallah, de son prénom… Abdallah est/était(?) un rappeur originaire de Beyrouth. J’ai jamais compris si son “B-route” (= la Bonne Route) était un label, un groupe, un état d’esprit ou autre mais il aimait le répéter dans chaque son.
Il a commencé à se faire connaître grâce à des freestyles sauvages qui sont aujourd’hui devenus des classiques en la matière. En collaboration avec les gars de Daymolition, ils réalisaient des gigas mises en scène qui finissaient n’importe comment. Dans un épisode, Abdallah se fait courser par Morsay, dans un autre, c’est les CRS qui “s’occupait” de lui, enfin bref, c’était une belle époque. D’ailleurs, en y repensant, il appelait ses prestations des “Attentats” et bah ce serait plus du tout possible aujourd’hui d’avoir un rappeur qui annonce avant de commencer son freestyle “ATTENTAT #4, ATTENTAT #4”. C’est aussi grâce à certains titres (carrément) putassiers qu’il a réussi à attirer l’attention vers ce qu’il avait à dire.
On pouvait lui reprocher beaucoup de choses (comme ses jeux de mots parfois hasardeux, par exemple) mais on peut pas lui enlever sa polyvalence sur des sujets “sérieux”.
Il parlait beaucoup de religion et notamment d’islamophobie mais pas seulement, il évoquait aussi des thèmes que les puristes peuvent regretter dans le rap : la conditions des Femmes, l’engagement politique, l’esprit anticapitaliste, la dénonciation des crimes israéliens ou encore une “critique” du rap léger/“trop commercial”.
Les virus tombent pas du ciel mais du drapeau étoilé.
Abdallah – Attentat #4 (Centre Commercial)
C’était clairement un fan de rap du coup, il a aussi tenté de se faire connaître en reprenant l’instru de Youssoupha, Espérance de Vie, qui devient Espérance de Mort et il avait sorti aussi un morceau dédié à Booba : Wesh Akhi. ça a pas super bien vieilli niveau qualité mais en vrai, c’est “marrant” de voir un jeune rappeur reprocher les choix de carrière du Duc de Boulogne (Jugez pas, c’est un vieux morceau).
De l’eau coulera sous les ponts et il se professionnalisera de plus en plus avec des clips de plus en plus soignés. Le fil directeur de la carrière d’Abdallah reste malgré tout la mélancolie. Y’a une sorte de nappe de spleen sur 80% des titres. Personnellement, j’écoute du rap pour être impressionné, pour être “touché” et les morceaux comme Bref, 1435, Café Allongé ou encore Dans mon Coin sont des morceaux qui parviennent à toucher l’auditeur. Il avait d’ailleurs une aisance dans ce style, c’était d’ailleurs notamment dû au fait qu’il partageait directement des fragments de vie avec sincérité. Pour cet article, j’ai fait un truc que je fais jamais en temps normal : J’ai regardé les commentaires des sons que j’ai écouté et je m’attendais pas à voir un tel engouement. C’est Youtube, donc y’a forcément les forceurs qui vendraient leurs parents pour un couplet mais y’a aussi beaucoup de monde qui le découvrent et qui se retrouvent cons quand ils voient que sa dernière actu a deux ans.
En réécoutant les morceaux de sa chaîne pour l’article, j’ai remarqué qu’il teasait un “featuring inattendu” et en rappelant “les gens savent pas que j’fais des prods”. Du coup, selon moi, son absence doit être dû au fait qu’il cherchait sûrement de la sérénité. Dans le sens où le fait de placer des prods et de se reconcentrer sur lui-même. Logiquement, il devrait donc réapparaître un peu plus “apaisé” en 2019 ou 2020. En tout cas, j’espère et je le souhaite.
En bref, pour conclure, Abdallah était clairement un des rappeurs les plus prometteurs dans ce qu’on appelait à l’époque “la relève” mais il a raté son moment. Ça me fait penser à une phrase dans le film de 2046 de Wong Kar-Wai qui disait “On passe à côté de l’âme sœur si on la rencontre trop tôt ou trop tard« . Et bah pour la gloire, ça arrive souvent aussi et on a beaucoup vu ce genre de cas dans le rap. Beaucoup d’artistes sont arrivés trop tôt voire trop tard pour marquer leur temps et c’est d’ailleurs une des plus grandes tragédies de ne pas « être dans son temps ». Pour finir avec Abdallah, je souhaite sincèrement qu’il revienne sur le devant de la scène avec (enfin) un projet, à partir du moment où il fait pas un « retour de puriste ».