Brel, premier rappeur ?
Il existe une multitude de styles différents dans le rap francophone, mais s’il y a bien une chose à laquelle la grande majorité des rappeurs portent une attention toute particulière, c’est bien le texte. Que ce soit dans le Hip-Hop ou dans tout autre style musical, chaque artiste a ses inspirations. Si vous posez la question « Quels sont les artistes qui vont ont inspirés ? » à un rappeur, celui-ci vous répondra sûrement Kery James, IAM ou 2Pac… Il citera les piliers du Hip-Hop. On se rend néanmoins compte que d’autres artistes d’un tout autre genre sont assez souvent cités. En effet, il ne sera pas rare d’entendre un rappeur parler de Renaud, Balavoine ou Aznavour. Tous, sont en effet des chanteurs à textes. Mais s’il y a bien un artiste de l’époque que l’on peut associer au rap, c’est bien Jacques Brel. Mais pourquoi ?
Pourquoi le premier rappeur ?
Certains vieux ronchons fermés d’esprit crieraient au sacrilège après avoir entendu cette remarque, elle n’est pourtant pas dénuée d’intérêt. Lorsque l’on prend les textes de Jacques Brel, il est assez évident de se rendre compte qu’il fût l’un des plus grands poètes de son époque. Le premier grand point commun réside dans le fait que ses textes sont essentiellement composés de rimes, ce qui est sans aucun doute la base d’un texte de rap. Mais la comparaison ne se limite bien évidemment pas à cela. Brel excellait également dans ce qu’on appelle dans le jargon du Hip-Hop, le storytelling. Il avait la capacité de raconter des histoires tout en vous donnant l’impression d’assister à la scène. Ainsi Brel, à la manière d’un Eminem avec Stan, dépeint différentes situations dans plusieurs chansons. Il arrive sans mal à décrire la détresse d’un homme venant de se faire larguer dans Jeff, tout comme il parvient sans difficulté à décrire la tristesse de l’enterrement d’un homme n’ayant pas de famille dans Fernand. N’oublions pas Ces gens là ainsi qu’Amsterdam, pour n’en citer que quelques-unes, qui sont probablement les deux chansons les plus réussies de sa carrière ainsi que dans ce domaine.
Il y a également un autre domaine dans lequel Brel excellait : le fast flow. Énervant et inutile pour certains, impressionnant pour d’autres, le fast flow est une technique préconisée par certains MC comme notamment Busta Rhymes ou Techn N9ne pour les anciens ou Token pour la nouvelle génération. Brel a lui aussi démontré qu’il était capable d’enchaîner les mots à grande vitesse. La valse à mille temps en est un des exemples les plus probants au même titre que Vesoul. Vesoul comporte un aspect de plus, celui de l’autodérision. L’autodérision fait également, dans une certaine mesure, partie du milieu. Certains rappeurs n’hésitent pas à se mettre dans une position de faiblesse dans leurs chansons, ce qui a souvent comme conséquence pour les auditeurs de pouvoir s’identifier à l’artiste ainsi qu’à ses mésaventures. Orelsan fait partie de ces rappeurs qui manient cette arme avec talent comme on a pu le constater dans l’album Perdu D’avance. Brel le fait, les bonbons et les remparts de Varsovie en sont les meilleurs exemples.
On sait à quel point le rap est une musique contestataire et engagée, cet aspect là se retrouve également dans la musique du grand jacques. N’étant pas lui-même issu d’une famille pauvre, il n’hésite pourtant pas à exprimer son dédain pour la bourgeoisie dans Les bourgeois. Il s’est également attaqué avec véhémence aux flamingants (Extrémistes néerlandophones) dans la chanson Les Flamandes. Il le fait comme un rappeur le ferait envers les Le Pen. La chanson Le diable, qui exprime la même idée que la chanson Le diable ne s’habille plus en Prada de Soprano, fait tout aussi bien partie de ces chansons contestataires. Brel a également ce besoin d’exprimer ses idées quitte à essuyer des critiques par la suite. Enfin, Brel n’hésite pas à mettre en avant l’endroit d’où il vient comme le font les rappeurs dans leurs chansons. Il décrit la Belgique dans le Plat Pays, et a écrit sur Bruxelles, il est à tel point attaché à ce pays qu’il a également chanté en flamand.
Une influence sur les rappeurs
Il est plus que probable qu’une bonne partie des rappeurs n’ait pas écouté Brel et certains ne connaissent sûrement pas son œuvre. Cela n’empêche pourtant pas certains de faire des références directes à l’artiste. Oxmo Puccino avait à l’époque repris Ces gens là. Force est de constater que le texte colle parfaitement au beat et qu’un texte de Brel pourrait tout à fait être rappé. La structure de ses textes est en fait assez semblable à ceux des rappeurs. Il s’avère également que les chansons de Brel aient traversés les frontières. Un certain Wyclef Jean (Ex-membre des Fugees) s’est adonné à l’exercice de la reprise en interprétant l’incontournable Ne me quitte pas. C’est également de ce son que provient la référence de L’ombre de ton iench dans la chanson de Bella de Gims.
En France, Joey Starr n’a pas manqué de s’inspirer des représentations scéniques de Brel pour le bien du clip du son Métèque. Filmé en noir et blanc, tout comme les enregistrements des représentations de l’époque, Joey Starr arbore un costume tel que ceux que portaient Brel lors de ses tournées. La gestuelle y est aussi, un clin d’œil plus que réussi de l’artiste.
Un autre artiste belge n’avait pas échappé à la comparaison avec la musique de Brel, il s’agit de Stromae. Certes, la musique de Stromae n’avait à première vue pas vraiment de choses en commun avec le Hip-Hop, mais l’artiste avait néanmoins débuté dans ce domaine avant de percer par la suite et d’atteindre le succès qu’on lui connaît. Et cela se voit, quand on sait la capacité de ce dernier à écrire des textes miniutieux. Ajoutons aussi qu’il collabore toujours avec certains rappeurs comme Orelsan ou Caballero & JeanJass. Alors inspiration ou pas ? Difficile à trancher mais en tout cas, on ne peut s’empêcher de l’entendre à l’écoute de son tube Formidable où l’intonation et les roulements R retranscrivent bien l’ambiance que nous retrouvons dans les chansons de Brel.
Et si nos grands-parents écoutaient du rap ?
Souvent catalogué comme musique de voyous ou de sauvages par nos aînés, nous sommes forcés de constater qu’il existe énormément de similitudes entre le rap et la musique d’antan ; et plus particulièrement celle de Jacques Brel. Certes la forme est différente car le rap use de certains codes en corrélation avec l’époque actuelle, mais le fond reste le même. Histoires d’amour, ruptures, vécu, … Tout y est. Ce n’est pas pour rien qu’un certain Charles Aznavour a déclaré écouter énormément de rap, qualifiant les rappeurs de poètes. Il sera sans doute difficile de faire écouter du Booba, du Damso ou du Freeze Corleone à vos grands-parents. Par contre, il est de notre devoir de faire découvrir ou redécouvrir les classiques de l’époque à la jeune génération, source d’inspiration des rappeurs qu’ils écoutent. Rien de ringard, beaucoup de points communs, associons ces artistes et le rap pour rendre ces classiques accessible à eux.