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Interview Sheldon

Interview Sheldon

En novembre dernier, Sheldon a dévoilé Spectre, un album sincère et authentique qui nous permet de découvrir l’artiste sur un nouveau registre ! Rencontre avec le rappeur parisien afin d’en apprendre plus sur la création de ce projet.

Cul7ure : On se rencontre quelques semaines après la sortie de ton album. Comment te sens-tu personnellement et vis-à-vis de la réception du public ?

Sheldon : Ça va, je suis plutôt content. Après c’est aussi la période de déconnexion pour moi. On entre dans autre chose, dans les concerts, donc je suis moins dans le regard de l’autre, comme je l’étais juste après la sortie, donc je suis peut-être un peu en distance. Je suis très content de la sortie de l’album, très content de comment les gens l’ont pris. Je suis peut-être un peu plus en train de retourner dans ma bulle de création, que ce soit sur l’aspect de la préparation du live ou alors sur la préparation de la suite, la reprise de mes activités d’ingénieur du son, mixer des projets pour les autres et tout. Donc je suis peut-être un peu moins focus que juste après la sortie, mais ça va, tout va bien.

7C : Spectre te dévoile sous un nouveau jour et sous une facette plus personnelle et intimiste. Qu’est-ce qui t’as donné l’envie de prendre une direction artistique qui contraste à ce point avec tes précédents projets ?

S : Je sais pas exactement, parce que c’est pas vraiment un truc que j’ai preshot. Je me suis pas dit : “il faut que je fasse un album personnel”. Juste, au résultat, c’était ça, mais c’est des trucs que t’intellectualises après. Je pense que c’est un moment de ma vie où c’est plus simple de raconter des choses qu’avant. C’est aussi un moment de ma vie où je vis plus de choses qui sont moins en lien avec la musique. Il y a 5 ans, je parlais pas de moi, parce que ma vie c’était de me lever, d’aller dans le studio, de faire de la musique, puis de sortir du studio et dormir, tout le temps. Donc dans ma musique, je parlais de la musique, ou je parlais des choses qui pouvaient être liées à mon processus créatif, mais j’avais peut-être moins de choses à raconter sur moi-même, tu vois. Mais aujourd’hui c’est un peu différent, j’ai une vie qui est un peu différente, je suis plus au Dojo, enfin j’y vis plus en coloc’, tu vois. Donc peut-être que c’est ça, tout simplement, qui fait que l’album est plus personnel, c’est juste que j’ai plus de trucs à dire sur moi-même. Avant j’avais pas forcément le sentiment d’avoir des choses très intéressantes à raconter, là peut-être un peu plus.

7C : Est-ce que le confinement t’a permis de te recentrer sur toi-même ?

S : Je sais pas, au premier confinement j’ai fait FPS, donc j’étais pas très recentré sur moi-même, je t’avoue, j’étais très recentré sur mes consoles de jeux. Est-ce que c’est lié au confinement ? Je dois te dire un truc, si je suis honnête avec moi-même, je pense que je fais partie des gens qui ont été fortement épargnés de la contrainte que le confinement a pu être. Déjà parce que je suis pas un mec qui sort énormément, donc finalement ça a pas drastiquement changé mon work life et en plus, quand t’es un artiste, qui plus est dans la musique, c’est quand même beaucoup moins contraignant, c’est-à-dire que j’ai pas eu le truc que beaucoup de gens ont eu, malheureusement, de “la vie s’arrête”. Donc je sais pas te dire, ça m’a forcément impacté, parce que quand bien même ça m’a moins impacté moi, ça a impacté beaucoup de proches à moi, donc ça forcément, ça joue, tu vois. La famille, les amis, des gens pour qui ça a été plus une souffrance que pour moi. En plus, pendant toute une partie du confinement, j’étais en résidence, donc ça m’empêchait pas de faire mon activité, j’étais en train de faire le disque, donc je sais pas quel impact ça a eu réellement sur moi. En tout cas, je pense pas que ce soit directement lié à ça, il y a pas pas un truc où je me suis recentré sur moi-même et tout. Je pense que c’est une période de vie dans laquelle je suis, qui est un peu différente, où je vis en couple dans mon appartement, ma vie a un peu changé, tu vois, et du coup ça correspond à ça, et peut-être que s’il y avait pas eu de confinement, ça aurait été la même chose.

7C : Ça s’est fait naturellement, c’était pas un truc calculé.

S : Non, de toute façon, je crois que c’est compliqué, mais je pense pour n’importe qui, quand tu fais un album très personnel, c’est compliqué à preshot. Enfin moi, à chaque fois que j’ai essayé de me dire : “je vais faire ça”, en général c’est souvent l’échec. Je trouve que c’est très compliqué de preshot, alors oui, tu peux poser un cadre qui va te permettre d’aller dans une certaine direction, mais je trouve que c’est compliqué de preshot ce que ça va être. Et si je m’étais dit : “ah tiens, je vais écrire un morceau sincère”, la démarche est presque pas sincère dès le départ, tu vois. Donc non, c’était pas une volonté, après je pense que c’était au cœur de mes aspirations, tu vois, peut-être une volonté de donner plus à voir aux gens, mais je me suis pas dit : “allez, je fais l’album où je parle de moi”, j’ai juste fait l’album d’après.

7C : Même si l’album est principalement centré autour de toi, il y a un gros travail collectif autour, que ce soit au niveau des collaborations avec les artistes ou les beatmakers, mais aussi par rapport au public, qui a pu participer avec le financement participatif. Qu’est-ce que le travail d’équipe représente pour toi ?

S : Sur Spectre, c’est un peu particulier parce que c’est la première fois que je délègue des choses, que je fais pas les prods moi-même, ou alors que je fais pas les prods avec des gens avec qui je suis tous les jours, genre Yung Cœur. C’est la première fois que je mixe pas aussi, donc déjà ça représente un moyen de me laisser de l’air pour penser à ce que je raconte, et pour penser à l’environnement de mon disque, donc ça c’est nouveau pour moi sur cet album. Après, le travail d’équipe, enfin plus généralement moi avec la 75e session, l’environnement du Dojo et tout, on a toujours été beaucoup à réfléchir sur les choses et à se faire écouter des trucs, même s’il y a beaucoup de disques ou de projets où je fais tout moi-même, je suis toujours épaulé dans ce que je fais. Donc c’est pas non plus un changement radical, mais en tout cas, ça m’a permis d’avoir beaucoup d’air et beaucoup de temps pour penser à ce que je voulais dire et pour essayer d’être juste, peut-être plus que sur les autres projets.

7C : C’est intéressant de voir que ton projet le plus intime à ce jour est aussi celui qui regroupe le plus de gens pour sa création.

S : De toute façon, l’unicité ça a une fonction sociale, quand il y a des gens autour c’est compliqué de parler de soi à un mur, donc c’est sûr que c’est plus simple, je trouve, de dire des choses sur soi-même quand t’es entouré de gens. Peut-être que tout seul, ça a moins d’intérêt, parce que t’écris des choses que toi tu sais déjà, donc tu les écris et puis tu les trouves peut-être inintéressantes plus vite, là où, si t’as des gens dans ton processus pour te dire : “c’est intéressant ce que tu proposes”. Du coup, je pense que ça m’a aidé à parler de moi. Et puis, quand t’es avec des personnes, il y a aussi des gens pour s’entrechoquer à ce que tu dis, tu vas te dire : “Ah ça je suis d’accord, ah ça je suis pas d’accord”. C’est aussi un moyen de se forger des convictions, donc c’est aussi un moyen d’avoir un obstacle, mais pas un obstacle freinant, un obstacle qui te dit : “Ah bah je vais passer au-delà”. Ça rend d’autant plus légitime et intéressant le fait de le dire. Je pense que le fait d’avoir beaucoup de gens autour de moi dans le projet a été aussi un truc stimulant, justement, pour parler de moi et pour avoir le temps d’être un peu plus en analyse de moi-même, que ce que j’étais sur les autres trucs.

7C : Ça t’a permis d’avoir un regard extérieur sur ta musique finalement.

S : Ouais, après le regard extérieur je l’avais toujours, c’est plutôt quand t’embarques des gens dans ton bateau, eux ils sont aussi à l’intérieur et du coup ils sont pas concernés pareil. Tu vois, au Dojo, quand je faisais Lune Noire ou quand je faisais RPG, quand on faisait Bateau Bleu avec Sanka et tout, il y a toujours eu des gens autour de nous pour nous donner des avis. On était tout le temps une quinzaine de rappeurs, il y avait toujours plein de beatmakers, il y avait nos potes, donc j’ai toujours eu des conseils des gens qui me donnaient un regard sur ce que je faisais. Mais quand les gens sont impliqués à l’intérieur du truc et que du coup ça les engage eux aussi, tu vois, Vidji ou Epektase, il y a leur noms sur le disque partout, donc ça les met aussi en jeu. Il y a une espèce de souscription intellectuelle à ce que je dis dans l’album, qui fait que c’est encore une strat’ d’avis et de points de vue différents, c’est encore un truc différent qu’on me donne, c’est pas juste un regard extérieur sur ma musique, c’est un regard intérieur qui n’est pas le mien, donc c’est ça qui est vraiment intéressant, je trouve.

7C : Sur Quasar, tu dis “je veux voir de la joie sur vos visages, j’envoie de l’énergie dans vos cicatrices”. On se trompe peut-être mais ça veut dire que tout d’abord, tu veux toucher et impacter tes auditeurs, et au fil de l’écoute, on développe un certain sentiment de proximité avec tes textes. Est-ce que tu n’as pas plus pensé cet album pour tes auditeurs, plutôt que pour toi directement ?

S : C’est marrant parce que je parlais de ça dans l’interview juste avant. En tout cas, c’est sûr que j’ai eu un peu plus le souci d’incorporer dans ma musique un ingrédient qui n’est pas forcément là tout le temps, qui est un truc de générosité. Mais c’est de la générosité dans le sens où j’essaye toujours de faire les choses bien, de sortir des choses dont je suis satisfait, que je trouve bien et que je trouve de qualité. Mais je me suis peut-être un peu plus préoccupé sur Spectre de faire du bien aux gens, d’essayer de dire des trucs qui pouvaient faire écho avec eux ou dans lesquels ils pouvaient se sentir concernés. Si tu regardes un peu dans ce que j’ai fait avant, j’utilise toujours des moyens très détournés pour parler de moi, mais je dis toujours des trucs assez personnels, même dans Lune Noire. Mais j’utilise toujours un espèce de filtre, parce que je trouve que c’est un des trucs qui est très compliqué à doser en tant qu’artiste, c’est l’égocentrisme, c’est à dire qu’à la fois c’est hyper nécéssaire, mais en même temps ça peut être vite chiant. Tu vois, si dans une discussion avec un pote à toi, ton pote pendant une heure et demi il te parle que de lui et qu’à un moment il te demande pas comment tu vas, il y a fort à parier qu’au bout d’un moment ça va te doser. Du coup, il y avait la jauge d’essayer de dire : “Ok, si je parle de moi, qu’est-ce que je peux dire sur moi qui est intéressant pour les autres en termes de processus d’identification, en termes de comment ils vont le recevoir et à quoi ça va leur servir”. Un artiste, que ce soit un peintre, un réalisateur, un musicien, un dessinateur, peu importe, si il me parle de lui, j’aime bien avoir le sentiment que ça va me servir à moi. L’art c’est aussi une espèce de refuge pour les gens, pour décanter des choses sur soi-même, comprendre des choses, on est aussi un miroir de ce qu’on écoute. Du coup j’aime bien, si un artiste m’emmène à comprendre des choses sur moi, j’essaye de faire une musique où les gens peuvent se servir. Ensuite, c’est pas à moi de dire si ça marche, mais en tout cas c’est un truc qui est présent dans ma réflexion, de dire : “Bon bah, parler de soi pour parler de soi, finalement c’est pas forcément intéressant”. Ça devient intéressant de parler de soi si les autres peuvent se le réapproprier, si quelqu’un écoute la chanson et se dit : “Ah putain, il a dit un truc que j’aurais voulu dire”. Là ça commence à être utile, moi en tout cas, ça me fait beaucoup de bien quand un artiste dit quelque chose que j’ai pas réussi à formuler. Je trouve que ça aide beaucoup dans le processus, donc c’est des mécaniques comme ça que j’essaye de mettre en place dans ma musique.

7C : Comment as-tu fait pour changer de style d’écriture pour passer à un registre plus personnel par rapport à tes projets précédents ? Est-ce que c’est quelque chose que tu as travaillé en amont ?

S : Il y a des trucs qui changent et forcément, après j’évolue aussi mais je sais pas si c’est radicalement différent de comment j’écris sur Lune Noire ou de comment j’écris sur FPS ; ce qui change c’est le sujet

Il y a un truc où je parle de mes références, des jeux vidéos, des mangas, des trucs et où je m’en sers pour faire de l’égotrip un peu débile, juste pour faire rire les gens et les stimuler. Et un autre truc où je raconte une histoire qui n’est pas la mienne, et il y a un disque où je raconte un bout de mon histoire à moi. Donc le sujet change, après le style, j’ai l’impression qu’à chaque fois le truc d’après est une prolongation du truc d’avant, mais je me suis pas dit : “Il faut révolutionner ton champ lexical”. J’ai juste écrit avec ma façon d’écrire, des choses sur moi, alors que d’habitude j’écris des choses à propos d’autres choses. Après j’ai peut-être pas une analyse très pertinente de la situation, dans le sens où j’ai pas de recul, mais moi en le faisant, je me suis pas dit que j’étais en train de révolutionner ma façon de faire, je me suis juste dit que je traitais un autre sujet.

C’est comme si t’écris un bouquin sur la forêt et que la fois d’après t’écris un bouquin sur la montagne, tu vas utiliser des mots qui sont différents parce qu’à la montagne il y a de la neige et que à la forêt il y a des feuilles. De toute façon, en art, les révolutions, quand je parle de révolutions, je parle de révolutions cycliques, j’ai l’impression que c’est des trucs que tu maîtrises pas. Si tu passes six mois à essayer de révolutionner quelque chose dans ta façon de faire, t’as très peu de chances d’y arriver, alors qu’en fait tu peux complètement révolutionner ton mode opératoire en dix minutes, à un moment où t’avais pas du tout le sentiment que t’allais faire ça. Donc c’est pas forcément des trucs que je cherche, moi ensuite je fais des choses, j’essaye d’extraire des choses intéressantes de ce que je fais, mais c’est rare que j’essaye de faire un truc très précis. Déjà, même quand j’ai un cahier des charges très établis, comme Lune Noire, où j’ai une histoire et où je dois raconter toute l’histoire, je suis pas sûr de très bien savoir ce que je fais à l’avance, je pense que je preshot pas très bien les trucs, juste je fais des trucs et je garde ce qui a l’air intéressant pour moi, ou ce qui pourrait paraître intéressant pour les autres. Mais je preshot assez peu de trucs, je suis pas très bon à ça. Si tu regardes les morceaux qui ont le mieux marché de l’album et les morceaux où si moi j’avais dû dire quel morceau allait le mieux marcher de l’album avant sa sortie, j’aurais sans doute pas dit ceux qui ont le mieux marché. Mis à part la loi des singles qui fait que quand tu sors des singles, forcément, ils sortent avant, ils marchent mieux, ils sont plus exposés. Mais te dire que Caverne allait mieux fonctionner qu’un autre, j’aurais sans doute pas dit ça. Donc je suis pas très bon à l’anticipation de ce qui va se passer.

7C : Tu fais beaucoup de références à tes projets précédents dans Spectre. Est-ce que c’est quelque chose que tu fais naturellement quand tu écris ?

S : Moi je me répète beaucoup, je suis un perroquet. De toute façon, c’est un geste d’artiste, c’est juste par rapport à quel degré tu le montres aux autres, mais la répétition c’est nécéssaire. Tu sais bien dessiner un cheval quand tu l’as dessiné mille fois. Tu sais photographier un sujet quand t’as passé du temps à t’entraîner. Donc le style dans l’écriture, c’est pareil. Des fois, j’écris un truc qui est exactement le même truc que j’ai écris il y a trois ans, j’ai juste trouvé une meilleure façon de le dire. Mais c’est presque un pêché d’orgueil d’artiste, tu vois, là je me dis : “Ah, là c’est dit correctement, une bonne fois pour toutes”. Donc forcément, il peut y avoir le côté auto-référence, mais parfois c’est même pas ça, parfois il y a des trucs où je me rends compte après, des fois je suis en train d’écrire et je me dis : “Bah ça, ça fait quand même cinq fois que tu le dis, donc est-ce que c’est bien nécessaire ?”. Mais la répétition je trouve que c’est un geste qui est joli artistiquement, moi je suis fasciné par les gens qui font toujours la même chose et qui développe une technique artistique et qui la multiplie à l’infini. Je trouve ça hyper impressionnant, en plus moi je suis pas forcément doué à ça, je me répète beaucoup mais j’ai du mal à refaire les mêmes choses, mais je trouve qu’il y a un truc qui est joli dans la répétition en art, donc je m’en sers, c’est un truc que je fais.

7C : Tu penses à certains artistes en particulier en disant ça ?

S : Je sais pas, il y en a plein. Pour moi, c’est un peu une grande mer séparée en deux. Il y a d’un côté l’artisanat et de l’autre côté l’art. Les gens de l’artisanat sont des gens qui répètent perpétuellement le même geste et c’est fou de faire ça. Le mec, toute sa vie, qui va sculpter le même modèle de chaise et la chaise est magnifique et les années passent et la chaise est de plus en plus belle, elle est de plus en plus affûtée à son œil et à ce qu’il a voulu en faire. Donc déjà il y a cette grande distinction, pour moi, entre art et artisanat. Et après, même dans l’art, il y a un peu deux approches différentes : t’as des gens qui trouvent une façon de faire et qui la répète à l’infini, ou alors des gens qui sont très versatiles et qui font plein de choses différentes. Et bien sûr, dans ça, ensuite, t’as tout le spectre de couleurs possibles et inimaginables de l’un à l’autre, plus ou moins mesuré. Il y a des gens qui répètent énormément de gestes, qui font énormément la même chose, qui sont très doués. Un Freeze par exemple, c’est un mec qui fait énormément la même chose, très bien, et à chaque fois un peu mieux. Et donc du coup c’est hyper fascinant ce truc-là, parce que c’est un truc de savant fou un peu, de répéter la marotte et de la perfectionner à chaque fois et de la rendre un peu plus parfaite, un peu plus profilée à chaque fois. Mais il y a aussi plein de gens qui le font, les dessinateurs de BD font ça. Franquin, tome 27 de Gaston Lagaffe, ça fait 27 tomes qu’il dessine Gaston Lagaffe, donc il y a un espèce de degré d’expertise de Gaston Lagaffe au bout d’un moment, qui fait qu’il lui appartient à lui et uniquement à lui. Tandis que si tu dessines Gaston Lagaffe pendant un tome et que après tu passes à autre chose, t’as peut-être moins “sciencé” le truc. Il y a plein d’artistes qui répètent les gestes, mais t’en as plein d’autres, notamment dans la BD, t’as des gens qui font des séries en deux tomes, qui vont faire trente romans graphiques dans leur vie, avec des styles différents, des sujet différents, des approches différentes, des médiums différents, des trucs peints, des trucs photoshoppés, des trucs en noir et blanc, des trucs encrés à la main, des trucs encrés à l’ordinateur… Pour moi, c’est pareil dans la musique, j’ai l’impression que je me situe entre les deux, c’est à dire qu’il y a certains gestes que je répète, certains trucs qui changent, je suis peut-être un peu middle dans ces trucs-là. Mais les deux me fascinent, aussi bien je peux être fasciné par quelqu’un d’ultra polyvalent comme Nekfeu. Le gars est capable sur un même album d’avoir des choses très différentes, très bien faites, ou est capable d’avoir des albums très différents, tu vois, Cyborg est très différent de Feu et L.E.V. est très différent de Cyborg, et même L.E.V et Feu c’est pas la même chose. Mais aussi bien ça peut complètement me mettre en transe le énième morceau d’Alpha où il est très très fort. Et pour moi, ça c’est applicable un peu à tout, c’est des façons de faire. Moi les deux me plaisent, je serai pas te dire qu’est-ce qui me fascine le plus des deux trucs et de tout ce qu’il y a au milieu entre les deux, mais en tout cas c’est sûr qu’il y en a pas un que j’aime moins que l’autre. Je trouve que les deux trucs sont intéressants, moi je le fais sur certains trucs mais moins sur d’autres. Je pense que j’ai une identité d’écriture qui est forte, donc il y a ce côté de répéter les phrases, mais aussi le côté de répéter le style, de cultiver une façon de rapper, et peut-être moins dans les prods, j’ai peut-être moins d’identité de prods. Il y a des gens, toute leur vie ils vont rapper sur le même sujet musical et c’est pareil, c’est très bien aussi. Un mec comme Hugo TSR par exemple, il a une ligne directive de prods qui a jamais bougé, pour autant, les prods de son dernier album sont beaucoup mieux faites que celles du premier. Moi j’ai moins ça avec la musique, parce que j’écoute beaucoup de trucs différents, parce que je suis pas forcément un mec qui vient du rap à la base, j’ai besoin de faire plein de trucs différents, de changer. Et de l’autre côté, sur l’écriture, je vais plus être dans la répétition et dans l’affinement de ma façon d’exécuter, ce que moi je fais, plutôt que de faire vingt mille trucs différents. 

7C : Ça te permet d’avoir un certain équilibre entre les deux.

S : Après c’est compliqué. En art, être middle, c’est rarement une bonne chose, souvent c’est bien d’être partisan d’un truc, en tout cas ça aide à avoir un cap. Je sais pas si ça m’aide ce truc là, je sais juste que c’est comme ça, que c’est ma façon de faire, mais je sais pas ce qui est mieux à vrai dire. Je pense qu’on se fraye tous des chemins, une façon de faire, et moi la mienne s’est dessinée comme ça avec les années. Mais je saurais pas te dire si je trouve ça mieux ou plus équilibré que pour quelqu’un d’autre.

7C : Parmi les artistes présents sur l’album, il y a notamment Zinée, avec qui tu as travaillé sur ses deux derniers projets. Est-ce que tu peux nous parler de la relation artistique que vous entretenez ?

S : Humainement, c’est quelqu’un dont je suis très proche, c’est la petite reuss, on passe énormément de temps ensemble, je suis très proche d’elle. Et artistiquement aussi, on fait tout ensemble, c’est moi qui réalise les albums, qui fait beaucoup de prods pour elle, en tout cas c’est moi qui l’accompagne beaucoup dans son environnement artistique. Et en fait, elle m’accompagne aussi forcément dans ce que je fais, à mes résidences sur Spectre elle était beaucoup là. Donc c’est une jolie relation artistique, on fait beaucoup de choses ensemble, c’est assez naturel, pour le moment. Donc c’est pas un truc que j’intellectualise trop, parce que c’est un truc que je suis encore en train de vivre. Mais en tout cas j’aime beaucoup ce qu’elle fait et on est assez raccord sur ce qu’on veut faire, même si on fait des choses différentes elle et moi, on a des visions communes sur plein de trucs, on se rejoint et on se comprend sur plein de truc, donc pour le moment c’est très chouette de bosser avec elle.

7C : Comment vous-êtes-vous rencontrés ?

S : On s’est rencontrés par hasard. J’avais bossé avec un groupe dont le manager était en train de devenir le manager de Zinée, et donc du coup un jour elle est venu au Dojo, on s’est bien entendu, elle a signé son contrat en label, elle a demandé à son label si c’était possible de bosser avec moi, elle m’a contacté, elle m’a dit : « J’aimerais bien qu’on essaye de faire des trucs ». On est devenu très potes, on s’est mis à beaucoup se voir, à beaucoup faire du son.

7C : C’était d’abord une relation professionnelle avant que ça devienne une amitié.

S : On a commencé à bosser ensemble très tôt et on est devenus potes en bossant ensemble. Moi de toute façon, les gens dont je deviens proche, c’est souvent des gens qui viennent dans mon cercle de travail, parce que je ne fais que ça, en fait. Je fais 95% du temps de la musique, donc c’est compliqué pour moi de développer des relations avec des gens qui sont pas du tout dans la musique, c’est-à-dire que j’ai mes relations d’avant, qui sont des gens avec qui je suis resté proche, sinon les gens que je rencontre c’est des gens qui sont dans la musique, parce que je fais que ça. Donc passé les quatre personnes que je vais rencontrer en ligne en jouant aux jeux vidéos, en fait le reste du temps, les gens que je rencontre c’est des gens de la musique. Mais oui c’était d’abord une relation de taff, mais on est devenu très proche très vite. De toute façon, moi j’ai une façon de faire de la musique avec les gens et je pense qu’elle aussi, ce qui fait que c’est pas compliqué, on est pas très professionnels dans notre façon de faire. Donc soit on devient proche, soit on travaille plus ensemble, mais moi je travaille assez peu avec des gens de façon très protocolaire, ou alors on travaille ensemble un projet et puis après chacun fait sa route. Mais c’est rare que je sois pas très proche des gens avec qui je bosse, tu regardes les gens pour qui je mixe des albums, les gens pour qui je fais des prods, c’est quand même des gens qui sont dans mon cercle très intime, ou alors c’est des gens qui y étaient pas et du fait qu’on travaille ensemble, sont devenus très intimes. 

7C : Tu as toujours besoin d’avoir une sorte d’alchimie avec la personne avec laquelle tu travailles.

S : En vrai, des fois je travaille avec des gens avec plus de détachement, mais en fait, je trouve que c’est compliqué d’être pertinent longtemps quand t’es pas dans l’intimité des gens. Si je dois m’occuper d’un artiste, quatre, cinq albums, pendant une longue durée, il y a forcément un moment où je vais essayer de comprendre ce qu’il me raconte. Et du coup, naturellement, les gens avec qui je travaille longtemps sont des gens avec qui je m’entends bien. Après je sais pas si c’est nécessaire, il y a des gens avec qui j’arrive bien à fonctionner avec de la distance, mais c’est rare que ce soit des relations à long terme. Parce à long terme dans un studio, quand tu vas mixer un projet, tu vas passer peut-être 8 heures par jour en studio avec quelqu’un, si vraiment au bout de deux mois à passer 8 heures par jour avec quelqu’un il se passe rien, c’est sûr que l’album d’après t’as envie d’aller le faire avec quelqu’un d’autre. Pour l’ingénieur du son, pour le beatmaker, comme pour le rappeur ou la rappeuse, à un moment il y a un truc de synergie où si on passe énormément de temps ensemble mais qu’on se comprend pas, naturellement ça s’arrête.

7C : En autre invité sur l’album, il y a aussi Isha. C’est pas forcément la personne qu’on a en tête quand on pense à ta musique, donc j’imagine que tu dois être moins proche de lui qu’avec d’autres artistes.

S : C’est moins mon cercle très intime, c’est sûr. Ensuite, pareil, c’est quelqu’un avec qui je m’entends bien, que j’écoute énormément, que je respecte énormément, donc c’est quand même un truc naturel, tu vois. J’ai essayé de pas avoir de trucs artificiels et puis de toute façon quand j’essaye, soit je suis pas content du track, soit je suis pas content de comment il s’est fait. Pour moi, un chouette morceau, c’est aussi un chouette souvenir aussi, il faut avoir passé un moment chouette. Au-delà du fait que je l’ai fait pour les gens et pour qu’il soit bien, il y a aussi un truc de satisfaction personnelle, j’aime bien quand je réécoute un album à moi, d’avoir des souvenirs avec l’album qui sont chouettes. Donc du coup, toutes les fois où j’ai essayé de faire des feats un peu artificiels, soit le morceau me plaisait pas, parce que c’était trop à distance ou alors qu’on avait pas réussi à capturer le truc, soit j’avais pas de souvenirs avec le morceau, donc pas d’affect avec le morceau, donc pas envie de le défendre. Donc au final, il finit toujours par faire que les feats qu’il y a sur mes projets, c’est toujours des feats de cœur. Après, ça peut être avec des gens plus ou moins proches, c’est à dire que je peux faire un feat avec Shien, avec qui je suis absolument tous les jours et un feat avec Isha, que je vois trois fois par an. Mais ce qui compte, c’est qu’on ait passé un bon moment, qu’on ait eu envie de le faire, qu’on ait pris du plaisir. Avec Isha, c’était le cas, donc c’est pour ça qu’il est sur l’album. C’est moi qui l’ai contacté, j’avais très envie de faire un morceau avec lui parce que je suis ultra fan de ce qu’il fait et on s’était déjà rencontré quelques fois, du coup il a accepté. Il a été super dispo dans le processus de création, on s’est capté en studio, on a fait le truc, on a écrit le morceau. C’est un morceau qu’on a fait tard dans le projet et du coup c’était spontané, c’était naturel, le morceau lui plaisait, le morceau me plaisait. C’est pas beaucoup plus compliqué que ça pour moi.

7C : Quand je pense à Isha, j’ai cette image de rappeur technique. Est-ce que tu as ressenti une sorte d’émulation ?

S : Si, mais comme avec tout le monde. Après, avec Isha j’avais la pression parce qu’en plus on avait pas forcément énormément de temps. Je savais qu’on allait se capter et qu’on allait faire le truc, mais tu vois, il est à Bruxelles, je suis à Paris, déjà rien que ça, ça limite les allers-retours qu’on pouvait faire sur le track. Du coup j’avais un peu la pression, mais moi j’ai la pression tout le temps quand je fais des morceaux avec les gens, c’est pas en fonction du fait de comment ils sont connus ou pas, tu vois. J’avais beaucoup de pression quand je faisais le feat avec Isha, j’avais beaucoup de pression quand je faisais le morceau avec Damlif, le morceau avec Shien, Zinée pareil, parce que je fais des morceaux avec des gens que j’apprécie, donc qui m’impressionnent, et donc il y a toujours un truc de savoir si tu vas être à la hauteur. Donc j’ai toujours la pression quand je fais des morceaux avec des gens, mais j’ai pas la pression d’être au-dessus de la personne, j’ai la pression que le morceau soit chouette. Donc les morceaux que je fais, tu regardes les feats que je fais, c’est rarement la compét’, déjà parce que je pense que je suis pas un très bon challenger et en plus parce que ça m’intéresse moins. Donc c’est une pression, mais c’est plutôt une pression pour faire un bel objet, pour faire une belle chanson, que une pression pour “gagner”. Je veux dire, si je fais un morceau avec quelqu’un pour gagner, je le fais pas avec Isha. J’ai fait un morceau avec Isha pour qu’on passe un beau moment, pour faire une belle chanson, tu vois, parce que je sais qu’il est capable d’écrire de belles choses, moi aussi, et que je me dis qu’une fois l’égo emboîté, ça peut être joli. Mais je suis pas très compétitif dans la musique, ça m’intéresse moins et surtout, je connais tellement de gens qui sont très fort à ça autour de moi, j’en ai tellement eu, des challengers de compétition, des Caballero, des Alpha… Donc en fait j’ai jamais trop essayé de faire ça, parce que si t’es dans une pièce avec Caba, Alpha et Népal, est-ce que vraiment ça vaut le coup d’essayer de faire la compét’ ? Tu te mets arbitre, c’est mieux. Donc j’ai jamais eu trop ce truc là, j’ai toujours fait mon truc un peu à côté de ça et en même temps je respecte grave les gens qui font ça. Je trouve ça très stylé, je trouve qu’il y a le côté sportif du rap, c’est un truc chanmé, c’est juste moins mon truc à moi, ça m’intéresse moins.

7C : Ça ne t’a jamais intéressé ou alors c’est seulement maintenant que c’est le cas ?

S : Non, ça m’a jamais trop intéressé. Ça veut pas dire que ça m’intéresse pas de faire des couplets techniques, ou alors d’être impressionnant, ça veut dire que si je dois le faire, c’est pour des raisons qui sont propres à moi. Je fais rarement un morceau pour impressionner les gens. Des fois il y a des morceaux impressionnants, mais c’est rarement mon objectif. En plus je pense qu’en vrai je serais capable, c’est juste que ça m’intéresse moins, c’est moins dans ce que j’écoute.

7C : A travers l’album, il y avait beaucoup de phases qui rentraient en contradiction avec d’autres, notamment dans Spectre, le premier titre du projet, où tu dis “pour moi choisir mon camp c’est un enfer”. Comment fais-tu, tout en ayant cette difficulté à prendre des choix, pour arriver à mener à bien un projet qui a une direction artistique ?

S : Tu veux dire : “est-ce que c’est dur de trancher ?”. C’est le job. On est que ça les artistes, prendre des décisions pour aller dans une direction ou une autre, pour moi il s’agit que de ça. Contextuellement, de pourquoi je le dis dans Spectre ce truc là, “choisir son camp c’est un enfer”, je parle du fait que la ville ça me casse les couilles, mais que je suis pas sûr d’être capable de vivre ailleurs que dans un environnement urbain, et donc j’explique que pour moi c’est très compliqué de trancher entre une volonté d’apaisement et en même temps, le fait que moi j’ai grandi dans la frénésie parisienne et que si tu me poses quatre jours à la campagne et que j’ai pas un truc très précis à faire, je peux très vite être très angoissé. Mais en même temps, j’ai bien conscience qu’à un moment, c’est peut-être plus cohérent de retourner vers des modes de vie plus simples et moins complètement étranges comme ceux de la ville, mais en même temps, comme je connais que ça et que j’ai grandi dans ça, c’est de ça dont je parle. Ensuite, en art, c’est le boulot, quoi. Pour moi, le truc qui fait de toi un artiste, c’est ta capacité à décider si ça ou ça c’est mieux, sinon en fait, tu fais pas, tu sors pas de trucs, tu prends pas de décisions, tu fais des chansons dans ton coin, tu les sors jamais, tu les montrent pas, parce que t’as jamais choisi laquelle était bien à montrer aux gens. Donc pour moi, ça fait partie du boulot, c’est quasiment un des premier trucs, savoir choisir et savoir décider ce qui est bon à donner ou pas, ça fait complètement partie du geste. Donc oui, j’ai très souvent à trancher, très souvent à prendre des décisions, encore plus quand je fais un projet avec d’autres gens, parce qu’il y a toujours un moment où quand t’es en train de faire ton album avec plein de gens, les gens se retournent pour te dire : “Bah gros, c’est toi qui dis au bout d’un moment, nous on peut te donner notre avis, mais c’est toi qui dis.” Et quand t’es tout seul, tu tranches tout seul, quoi. Donc ça pour moi, ça fait partie du boulot, je l’ai toujours fait, je sais pas si je le fais bien, mais en tout cas je le fais.

7C : Dans les textes de l’album, tu parles beaucoup de couleurs. Est-ce qu’elles ont une signification particulière pour toi ?

S : L’art pour moi, c’est une affaire de perception et la musique aussi c’est une affaire de couleurs. Tu peux mettre une couleur sur une chanson, sur une émotion, pour moi on joue presque avec les mêmes ingrédients que les peintres. Du bleu, du rouge, du vert, nous c’est des notes ou alors c’est des mots. Les couleurs finalement, c’est les mots ou les notes de nos yeux. Si la guirlande est bleue, si le manège il est vert, c’est comme ça que ta réalité s’exprime par rapport à toi et qu’elle te dit des choses, donc pour moi c’est la même chose. Du coup, les parallèles ils sont assez évidents et après, moi, de toute façon, je suis un mec des arts graphiques, dans le sens où je dessine un peu. Surtout, je lis énormément de bandes dessinées, donc c’est un truc qui est archi présent dans ma vie et donc du coup pour moi, les parallèles ils sont évidents. Et au Dojo, pendant très longtemps, sur un des stud’, on avait un cercle chromatique, qui te permet d’additionner les couleurs qui vont ensemble. Pendant très longtemps, on a pris vite le geste. Avec tous les gens du Dojo, pas tous mais certaines personnes, Sopico, M, moi, un peu Népal, on a pris l’habitude de se parler en termes de couleurs de morceaux. C’est à dire, tu vois, il faudrait essayer de faire un truc “bleu”, ça veut rien dire donc t’es obligé de t’accorder sur une espèce de langage commun avec ça, donc c’est un truc qui est présent depuis longtemps. Et puis tu vois, de toute façon, les affiliations couleurs-musique, on a rien inventé. Le plus gros label de jazz du monde, il s’appelle “Blue Note Records”, la note bleue dans le jazz c’est un truc particulier auquel on attribue la couleur bleue. En attribuant des couleurs aux sonorités, j’ai rien révolutionné du tout. Et du coup c’est un truc que j’utilise un peu dans ma musique.

7C : Le titre de l’album est Spectre, j’ai cru comprendre que ça faisait références à des radiations présentes dans la lumière. Est-ce pour ça que tu as choisi ce titre ou ça a une autre signification ?

S : Non, en fait je pense que c’est bien la première fois que j’ai choisi un titre pour une raison plutôt précise. Effectivement, comme on le disait en début d’interview, c’est un album où je parle de moi et je crois que c’est très vaniteux, quand tu fais un album personnel où tu parles de toi, de croire que ce que tu laisses à voir aux gens, c’est toi. Si tu fais un album où tu parles de toi et que tu dis : “Bah voilà, ça c’est moi, vous avez accès à moi”, c’est très vaniteux, c’est très prétentieux et en plus c’est faux. Tu laisses une trainée pâle de toi-même, tu laisses un espèce de halo de ce que t’es à un moment et qui en plus va être déformé par le temps, déformé par la perception des gens, donc au final c’est comme si t’as une photo, et puis à force de toutes les modifications qu’elle va subir, c’est plus qu’un truc très flou qui a vaguement la forme de ce que t’es. Donc c’est ça Spectre pour moi, c’est comme un spectre, comme une espèce de radiance de moi-même. Parce que j’ai pas la prétention d’avoir réussi à expliquer qui j’étais aux gens, certainement pas, je suis incapable de faire ça et en plus c’est représentatif de ce que je suis ou de qui je suis à la rigueur, au moment où je le fais, mais peut-être que dans 6 mois, ma vie sera différente et que je penserai des choses différentes, car je change beaucoup d’avis, comme tout le monde je pense. Donc c’est ça pour moi Spectre, c’est un espèce de geste d’humilité, j’ai pas fait un état des lieux de qui je suis, c’est juste une espèce d’approximation de ce que je suis à un moment T.

7C : Ça te permet aussi de te dissimuler et de ne pas trop en dévoiler sur toi.

S : Je sais pas, parce que j’ai l’impression de me dévoiler beaucoup dans l’album, mais je me dévoile beaucoup à un instant T. Si je dis : “je suis triste”, la façon et les raisons pour lesquelles je dis “je suis triste”, elles sont très différentes de la façon et les raisons dont la personne va les recevoir, c’est pas du tout la même chose. Moi quand je te dis “je suis triste”, il y a une raison derrière qui n’est sans doute pas la même que toi t’affectera à ça, et ça, multiplié par le nombres de gens qui m’écoutent, fait qu’il y a une entropie énorme entre ce que je veux dire et ce que les gens comprennent. C’est un peu ça que j’ai voulu mettre dans le nom de l’album, dire que voilà, moi je propose quelque chose qui va forcément être déformé, compris différemment, interprété… Toi tu vas avoir ta vision de l’album, qui sera peut-être pas la même vision que Jade, ou que moi, ou que untel qui l’a écouté à côté. À priori, autour de la table, on est tous d’accord que ton pull est rouge, mais comment toi tu vois le rouge et comment moi je vois le rouge, en fait j’en ai pas la moindre idée, si ça se trouve avec tes yeux je le verrais vert, c’est juste que les codes sociaux ont fait qu’on t’a dit que c’était rouge. C’est un peu pareil avec l’album, c’est à dire qu’on va essayer de s’accorder sur une valeur générale commune de ce que ça veut dire, mais en fait, ça résonnera en chacun de nous d’une certaine façon. Ça fait beaucoup pour un titre aussi court, mais c’est ça.

7C : À l’heure où l’on se parle, on est le 30 novembre, tu te produiras sur scène au Nouveau Casino le 3 décembre. Comment appréhendes-tu le fait de jouer des morceaux personnels devant un public ?

S : Ça va, je suis pas angoissé. En fait, on a fait une date avant la sortie de Spectre, où on jouait pas mal de morceaux de Spectre alors que les gens les connaissaient pas. En vrai ça s’est très bien passé, mais j’étais très angoissé de faire ça, très angoissé de jouer des morceaux que les gens ne connaissent pas et de me dire : “Putain, en fait les gens si ça se trouve, ils sont venus pour entendre Quart de Lune”. En fait, il y avait aussi des morceaux qui étaient déjà sortis, mais il y avait aussi beaucoup de morceaux de Spectre pour un set, c’était un peu risky de faire ça. Le seul problème c’est qu’en fait, pragmatiquement, on savait qu’il fallait qu’on prépare le set pour Spectre, parce qu’après on allait jouer que du Spectre, et qu’on avait pas assez de temps pour préparer un set juste pour cette date, donc on a mis des morceaux de Spectre dedans, et je me suis retrouvé à devoir les jouer avant la sortie de l’album. Il y avait que James Cole et Fumée qui étaient sortis, mais sur le set, j’en jouais peut-être dix. Là, à ce moment-là, c’était très particulier. Là, aujourd’hui l’album est sorti, on a ouvert les guichets suffisamment tard pour que les gens qui aient pris des places, soient, je pense, des gens qui ont aimé l’album. Donc non, l’appréhension elle est dans “est-ce que ça va être bien ? Est-ce que je vais réussir à être bon?”, mais c’est une semi-appréhension, c’est surtout beaucoup de plaisir de retourner sur scène. Après c’est comme tout, il y a un peu de trac, un peu d’angoisse, beaucoup de travail, mais je suis trop content, ça a été complet en une demi-heure.

7C : Il y a deux ans, pour Lune Noire, tu avais créé plusieurs formats en parallèle de l’album, comme une bande dessinée, un jeu-vidéo, une exposition. Est-ce que c’est quelque chose que tu as prévu de refaire pour Spectre ?

S : Non, parce que c’est moins pertinent, j’ai moins envie de faire une BD sur ma vie ou une exposition sur ma vie. C’est des trucs que je referais je pense, parce que c’est très possible que je refasse des albums de fiction comme Lune Noire, plus tard. En vrai on a fait plein d’autres trucs pour Spectre, il y a le Discord, il y a plein de trucs quand même où le truc s’est exprimé par d’autres moyens que juste l’album. Mais comme je te disais, moi sur ces trucs là, j’ai du mal à répéter des gestes. J’ai fait une expo pour Lune Noire, j’aime bien qu’elle soit un peu unique, si j’en refait une autre, c’est pas juste parce que l’expo Lune Noire a bien marché, si j’en refais une autre, c’est que j’ai quelque chose à mettre dedans. Donc je vais pas automatiser les process’, tu vois, me dire : “Ah bon, on a fait un jeu-vidéo c’était super bien, les gens ils étaient trop content, donc faut refaire un jeu-vidéo.” Par contre si il y a matière à faire un jeu-vidéo, j’aurais fait un jeu-vidéo. Si je raconte une histoire d’un enfant où il y a une guerre avec des humains, des robots et qu’il y a matière à faire un jeu vidéo, je le fais. Je vais pas faire un jeu-vidéo où tu me vois dans ma cuisine en train de me faire des pâtes. Donc du coup, pour Spectre, il y aura pas de trucs comme ça et il y aura sans doute d’autres choses plus proches de Lune Noire dans ce que je ferai plus tard.

7C : Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour la suite ?

S : Franchement, tout va bien. Continuer à faire de la musique, que ça plaise aux gens, que j’arrive à faire de la musique de qualité, passer des bons moments avec les gens que j’aime, un peu comme tout le monde.


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