La Marche Bleue : rétrospective d’une troupe de danse à la rencontre du hip hop
Donnez-moi de l’amour le meilleur de l’enfant qui est en vous
Pierre l’Amour
Léo Walk, danseur, chorégraphe et artiste tout court, a créé un spectacle nommé Première Ride, qui revient sur le difficile passage de l’enfance à l’âge adulte, avec tout ce qu’il contient de désillusions. Danseur hip hop à la base ayant fait ses débuts en capoeira, Léo Walk s’entoure depuis lors de danseur.euses issu.es de milieux complètement différents : du classique au contemporain, en passant par l’électro et finalement au hip hop, les tableaux qu’on peut admirer pendant le show Première Ride ressemblent à un patchwork d’humains et d’énergies. Un assemblage détonnant et touchant, qui nous prend aux tripes. Dans une interview pour La Boite Noire, il indique que son spectacle est un assemblage de musiques qui l’animent, avec lesquelles il se réveille et se rendort des jours durant. Car pour lui “la musique est ce qui l’inspire, avant même la danse”.
La musique, au-delà d’être un exutoire, est à la fois un précepteur et un réceptacle. Elle nous apprend la poésie des mots, des sons, des gestes, et ce, de l’enfance jusqu’à l’âge adulte. De l’époque où une musique pouvait nous accompagner des semaines sans jamais nous lasser, accompagnée de son clip en 480p, jusqu’à l’adolescence où elle nous transperçait les oreilles en sortant d’écouteurs grésillant branchés au mp3. La musique transmet son message et reçoit le nôtre. Et pour communiquer avec elle, rien de plus charnel que la danse, comme le montre Léo Walk et tous.tes les danseur.euses de La Marche Bleue. Ainsi, à quel point la musique et la danse peuvent-elles être proches ? Comment La Marche Bleue réussit-elle la prouesse d’une mixité musicale et dansante au sein de théâtres, de mixtape, de concerts ? Comment un mouvement de danse aussi éclectique que la Walkance peut-il s’illustrer dans le monde hip hop ?
Rétrospective d’un parcours hors du commun, mêlant passion du hip hop, amour du rap mais surtout, volonté de partage.
Léo Walk, La Marche Bleue : une promenade au sein de la pluralité des arts
Léo Handtschoewercker est à l’origine d’un mouvement qui va bien au-delà de la danse. Surnommé Léo Walk depuis ses 15 ans par le prodige de la danse hip-hop, Thony Maskot, il fondera autour de ce mot toute une création corporelle nommée La Walkance. Il s’agit d’une danse instinctive laissant entrevoir de longs mouvements amples et souples, du début de la tête jusqu’au bout des doigts. C’est une expression du corps qui passe par l’inattendu et l’incertain, sublimée par la narration corporelle d’un récit (auto)biographique et biographé.
Très jeune, il est fasciné par le hip hop, et tout d’abord par la musique avant la danse. Dans le podcast Tous Danseurs créé et animé par Dorothée de Cabissole, Léo Walk se remémore ses premières interactions avec le monde hip-hop : “Je me rappelle que ma première cassette, c’était un pote à moi, Imad, qui m’avait fait une playlist de rap et […] je dansais dessus”.
Des années plus tard, à seulement 23 ans, Léo Walk crée sa troupe nommée La Marche Bleue. Un groupe d’amis avant tout devenant finalement une vraie famille totalement éclectique. Chacun a sa particularité, son art de prédilection, son style de danse. Pourtant, tous se sont retrouvés à interpréter les tableaux imaginés par le fondateur de la Walkance, tout en y ajoutant leur touche, comme le précise Léo dans une interview pour Brut en 2020. Ainsi, il nous entraîne dans une ride de l’enfance à l’âge adulte, animée par des mouvements instinctifs, bruts, à la rencontre de souvenirs communs partagés sur les rythmes des chansons directement sorties de la playlist de Léo Walk, comme il le confie à la RTBF (radio-télévision belge de la communauté française) :
“C’est ma playlist, ce sont les musiques que j’écoute au quotidien. Ce sont des musiques qui me suivent depuis toujours. Après je travaille de manière cinématographique. La musique m’inspire la danse. Quand j’écoute des musiques, je vois des images et des émotions. Je vois pratiquement des choses de l’ordre de la vidéo que je retranscris avec mes danseurs ensuite.”
Couplé à la Walkance, les différentes pratiques artistiques des danseur.euses venu.es d’écoles différentes inspirent le spectacle et fait de ce dernier un lieu d’écoute et de transmission à travers les gestes, les corps, mais aussi les arts. Plusieurs des artistes qui dansent sur scène s’illustrent également dans d’autres arts : Enfant Précoce dans la peinture ou encore Pierre l’Amour dans la poésie. La Marche Bleue est un groupe d’amis, une famille qui met sous son nom des humains talentueux et acharnés aux parcours atypiques, pour les rassembler sous le vaste étendard de l’art et créer une œuvre pluridisciplinaire riche en émotions.
Léo Walk, une genèse stylistique et esthétique
Cependant, faisons d’abord un saut dans le passé. Bien avant la création de La Marche Bleue, Léo Walk, en plus d’être danseur et chorégraphe, a aussi imaginé une ligne de vêtements aujourd’hui disponible un peu partout dans les boutiques de streetwear. Il fonde la marque Walk In Paris en 2013 avec son ami Gary Neveu. Ces deux passionnés de style se sont très vite mis à penser, dès le début de leur amitié, à créer une marque de vêtements qui leur ressemble. Ce fut chose faite avec les articles de Walk In Paris, transpirant le hip hop, se rangeant rapidement auprès des marques les plus portées par les rappeurs. Des lignes sobres mais colorées, pouvant un peu faire penser aux créations de Tyler, The Creator avec Golf wang sur certains points. Ainsi, la marque décolle en 2016 lorsque l’artiste Skepta porte un de leur hoodie sur une photo, après qu’ils aient réussi à lui en faire passer en loge, comme ils le confient à Surlmag en 2017. Plus tard, Sopico portera aussi un sweat Walk In Paris lors de son interprétation de Le Hasard ou la Chance sur Colors en 2017. En outre, le terreau était déjà bien fertile avant même la création de la troupe ou bien même de la mixtape Walk Tape Vol.1, qu’ils créeront quelques années plus tard, début 2022.
De La Marche Bleue à la Walk Tape Vol.1
Ne passant pas inaperçu dans le monde culturel, la troupe n’échappe pas aux viseurs des acteurs du hip-hop et plus spécifiquement du rap. Léo Walk entreprend alors de créer une Tape à l’image de son univers : totalement éclectique et foncièrement attachée au hip-hop. Sur cette mixtape, on retrouve notamment les artistes Sopico, Laylow, Prince Waly, Enchantée Julia, Némir, Chilla, Gracy Hopkins, Nelick ou encore Slimka, pour la partie plus hip-hop. De l’autre côté, le projet se compose de titres intrigants comme le featuring entre Ichon et l’actrice Axelle Laffont sur Axelleration, titre quasiment éponyme qui se penche sur les relations avec de grands écarts d’âge. Mais on peut également penser au morceau qui clôture la mixtape, Ailleurs, qui réunit le déluré Slimka et le roi de la pop française ultra-coloré, Julien Granel.
En outre, c’est un casting de haute voltige et prestigieux qui est allé se frotter aux compositions de Crayon, Sofiane Pamart, Tristan Salvati ou encore Twenty9. Et ça s’entend. Planantes et invitant au voyage, les prods du projet sont toujours un lieu de rencontre entre les arts, passant par la Lo-Fi en allant jusqu’au rap pour rencontrer rapidement l’électro et même faire un crochet par la poésie, grâce aux magistrales interventions de Pierre l’Amour en introduction et en interlude. La Walk Tape est bien plus qu’un projet musical : c’est un lieu de rencontre. Elle est une playlist faite pour danser et nous transporter dans nos Premières Rides, nos premières expériences.
Finalement, le projet est à l’image du spectacle et indubitablement de la troupe. Lorsqu’on passe du morceau d’ISHA et Gracy Hopkins, Si tu savais, à Libre, un morceau planant avec Lonely Band, The Hop, Crayon, Lossapardo et Gracy Hopkins, on est pris dans ce tumulte d’univers qui oscillent entre force et douceur, entre crise et apaisement. C’est un parfait équilibre entre moments de fêtes – citons Chicha Ski Nautique de Laylow et ISHA – , et les moments plus introspectifs, comme dans le titre Sacrifices de Chilla et Némir, qui colle parfaitement à l’image si animale, authentique et imparfaite qu’est La Marche Bleue.
De la danse, à la musique, à la scène rap
En mars dernier, il était impossible de louper l’incroyable show de Laylow à l’Accor Hôtel Arena de Paris, sur deux dates affichant complet. Artiste figurant sur la Walk Tape vol.1, son univers digital et très stylisé a su marquer le monde du rap. Fin esthète, il accorde toujours beaucoup d’importance à l’image, à l’art et particulièrement aux mondes oniriques, aux choses immatérielles et impalpables qui nous entourent. Laylow a ça de particulier que son sens de l’harmonie réside dans l’étrange, dans les virages en épingles qui nous surprennent et nous poussent à nous dépasser. Et spoiler alert : son spectacle n’a pas dérogé à la règle, puisque le rappeur a fait appel à La Marche Bleue pour illustrer ses histoires, et nous en raconter d’autres.
Sur scène, l’entrée est des plus majestueuses. Le tableau imaginé par Léo Walk, chorégraphe du spectacle, tient le monde en haleine. Hortense de Gromard, une des danseuses de la troupe, est un Black Swan qui s’effondre au début du show, et qu’on retrouvera sur plusieurs solos de danse durant le spectacle. La danseuse a suivi une formation de danse classique, ayant fait l’école de l’Opéra de Paris. Cette dernière effectue son entrée en tant que cygne noir dans un costume rappelant celui de Natalie Portman dans le film culte. Laylow fait déjà une proposition étonnante à son public : le Lac des Cygnes est interprété sous les yeux du public, tant sur les musiques passées, que sur les tableaux joués. Le monde du classique introduit un concert de rap. Tout au long du show, la troupe danse et interprète les scènes imaginées par Léo et Laylow. Des moments de théâtre parfois plus que de danse, puisqu’au fond, il s’agit plus de transmettre un message que de créer une jolie chorégraphie. Le spectacle s’articule alors entre rap, chant, danse et théâtre, entre des mondes poétiques et sauvages, pour aller chercher l’émotion la plus pure chez chacun d’entre nous.
Finalement, qu’importe la musique, la danse, ou l’art qu’on pratique, tant que les messages peuvent se lire dans un même mouvement. Aujourd’hui, les mondes du hip-hop et de la danse (au sens large) brisent leurs frontières continuellement, en essayant d’enlever ces étiquettes qu’on colle statistiquement sur chaque rencontre hybride. A l’instar de la danse, l’espace de transcendance que l’on voit évoluer dans le hip hop touche tous les arts qui le composent, que ce soit par la pratique du rap, comme du graff ou encore de la danse. Pour cette dernière, il n’est plus question depuis de nombreuses années de séparer le break du smurf, du lockin’, de la house ou de la hype. De la même manière, aujourd’hui les différentes pratiques continuent de repousser les frontières qu’on croit immuables pour proposer des spectacles pluridisciplinaires et totalement bigarrés, laissant libre champ à un espace de création riche. Ce lieu se nourrit des savoirs de chacun.es dans tous les domaines, réussissant à faire coexister des mondes qui jusqu’alors, ne se frôlaient pas.