Le rap se gentrifie ?
Dans un article précédent, j’évoquais les difficultés que rencontre le rap dans la sphère grand public. En effet, même si le rap s’est intégré plus ou moins rapidement dans la culture populaire, il est aussi beaucoup décrié. Mais depuis quelques années, les médias s’intéressent de plus en plus au rap : on a vu Orelsan et Damso gagner des Victoires de la Musique, Vald passer chez Ardisson. Aujourd’hui, nous allons tenter de comprendre et d’analyser comment la perception du rap a évolué, et comment il s’est embourgeoisé au fil du temps.
Tout d’abord, on constate que le rap va de pair avec la notion de gentrification car c’est une culture urbaine, or la gentrification désigne l’appropriation d’un quartier pauvre par des bourgeois, faisant ainsi varier le profil socioéconomique du quartier, allant parfois jusqu’à l’éviction des habitants présent avant ce phénomène de gentrification. Or, le rap est originellement un phénomène de banlieue, une culture quasi exclusivement urbaine. Appliquée au rap, la gentrification se traduit par un embourgeoisement des rappeurs, venant de plus en plus de milieux artistiques ou favorisés, économiquement ou culturellement, on peut citer Romeo Elvis et son racisme qui a des parents musiciens, un atout non négligeable.
Le rap touche un public de plus en plus large, et le genre en lui-même s’est diversifié, à tel point qu’il semble désormais compliqué de définir le rap. Ce public n’est désormais plus composé uniquement de connaisseurs, mais on constate également que le rap touche plus que jamais les milieux populaires, contrairement à ce qu’on pourrait penser en parlant de gentrification du rap. Cette idée reçue provient encore une fois de l’image que donnent les médias du rap : s’ils ne le formulent évidemment pas ainsi, on a une opposition entre rappeurs bourgeois et non-bourgeois, et si les médias peuvent rajouter du mépris de classe par dessus c’est encore mieux. Cette opposition se traduit par l’éternel débat du « rap de blanc », puis du « rap de iencli » qui désigne un peu tout et n’importe quoi. Sans surprise, on constate que les blancs, bien que minoritaires dans le rap (au moins en tant que rappeurs) sont bien plus mis en avant dans les médias.
Mais on constate encore une méconnaissance des médias vis-à-vis du rap : l’exemple typique est la comparaison systématique des rappeurs blancs avec Eminem alors que ceux ci n’ont souvent aucun lien sinon leur couleur de peau. Les nouveaux types de mé(r)dias comme Konbini ont également un double traitement du rap, qu’on peut développer selon deux idées : « c’est hype donc on écrit des articles dessus et on fait des vidéos golri » mais également un traitement très intellectualisant et souvent très gênant du rap : les vidéos « philo ou ghetto » en est un très bon exemple. La première catégorie, rien que par son titre fait l’amalgame entre rap et ghetto, un comble pour un média qui met principalement en avant des rappeurs assumant pleinement leur origine sociale « favorisée ». Mais surtout, cette vidéo tisse des liens forcés entre rap et philosophie, alors que je pense qu’il suffit d’écouter un morceau bien choisi (et non les puristes, pas forcément un texte de Kery James) pour comprendre que le rap développe ses idées tout seul et qu’on a pas besoin de l’intellectualiser autant.
Si on parle d’intellectualisation du rap, il faut parler de l’intellectualisation par les rappeurs eux-mêmes. Attention, je ne dis pas que cette intellectualisation est mauvaise en soi, mais elle conduit parfois à des excès qui cassent la nature et l’intérêt du rap : on a droit à des albums toujours plus calculés ainsi que des morceaux qui se mélangent de plus en plus avec d’autres genres. Cette évolution n’est pas problématique, c’est juste qu’on tend vers un rap plus lisse, plus uniforme qui s’accommode de la culture dominante, ce qui réduit son caractère subversif, son originalité, et donc sa raison d’exister.
En conclusion, si la gentrification du rap était inévitable cependant elle a aussi permis beaucoup de choses. Ce renouveau du rap a permis justement un nouvel attrait envers cet art. La multiplication de rappeurs blancs (et/ou « ienclis ») a attiré un nouveau public, qui n’écoutait pas forcément de rap à la base. De plus, cette masse a permis de refaire tourner les machines, l’argent provoqué grâce à leur présence depuis le début des années 2010 est colossal. Cependant, même s’il y a plus de signatures en maisons de disques et que l’enrichissement des rappeurs est croissant, une des conséquences majeures reste la perte de l’essence de « l’esprit hip-hop » puisqu’ils ne viennent plus forcément de cette culture.