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Le déclassement du rap

Le déclassement du rap

Ce n’est un secret pour personne, le rap a la côte auprès des auditeurs. Mais il n’en est pas de même pour son image vis à vis du grand public. Il suffit de faire un tour sur Twitter ou de regarder quelques émissions de télé que je ne citerai pas pour s’en rendre compte. Aujourd’hui, je vais essayer de donner quelques pistes qui expliquent ce fait.

La première raison, qui ne vient pas en tête forcément, c’est que le rap est encore un mouvement musical récent. Or, on constate que la plupart des arts sont méprisés par le grand public à leur débuts. On peut citer par exemple les comic books, qui à leurs débuts étaient accusés de pervertir la jeunesse (tiens donc) et qui au fil du temps ont acquis un respect relatif du grand public.

Mais surtout, il faut prendre en compte deux aspects importants du rap : il est né dans les banlieues, espace géographique soumis à la ségrégation et donc délaissés et il est en premier lieu pratiqué par des noirs. Or, ces deux facteurs créent instantanément un rejet : le rap est directement considéré comme une sous-culture à cause du racisme ambiant. Il est d’ailleurs intéressant de constater que le racisme est un thème important dans le rap, tout comme l’attachement (ou le dégoût) des rappeurs à leur quartiers. De par leur statut d’opprimés, le grand public accepte bien moins de choses venant du rap. Il suffit de constater le récent procès de Nick Conrad pour comprendre le racisme vis à vis du rap.

De manière plus générale, le rap se prend des critiques qui n’ont pas lieu d’être : on l’accuse d’être sexiste, mais l’est-il vraiment plus que le reste de la société ? On peut estimer que c’est surtout le caractère frontal du rap qui donne cette impression de sexisme. Mais on doit impérativement souligner le fait que Orelsan ou Damso ne sont pas les seuls sexistes dans la musique. Si vous réécoutez Halliday, Georges Brassens, il est sûr que vous y trouverez des exemples de paroles sexistes. Et si on accepte que ces artistes aient le droit : soit à un certain second degré, soit qu’ils restent impunis vis à vis de leurs actes dans le monde de la musique, voire en dehors, alors on doit l’accepter pour le rap. Sinon, on met de côté le rap sur des critères douteux et illégitimes. J’en profite pour rappeler que Médine a dû céder à la pression de l’extrême droite et annuler son concert au Bataclan pendant que Cantat peut se produire alors qu’il a battu sa femme de manière avérée.

Ensuite, il faut évoquer le caractère illégitime de la culture rapologique. En effet, le rap est considéré comme une sous-culture. Il est placé en opposition à la culture légitime (la culture favorisée par l’école) dans l’inconscient collectif. Cette distinction entre rap et culture légitime conduit une majorité d’individus à ne pas considérer le rap sérieusement comme un art notamment. Le mépris du rap devient souvent du mépris de classe d’ailleurs. Par un calcul simple tout d’abord : mépriser le rap revient à mépriser ses plus fidèles auditeurs, et qui sont les plus fidèles auditeurs du rap ? Il faut également déconstruire une critique du rap que l’on entend souvent : « le rap c’est facile à faire ». Pour commencer, je pense que cette affirmation est fausse dans la mesure où très peu de monde est capable de rapper comme Alpha Wann par exemple. De plus, certains morceaux d’autres styles de musiques sont loin d’être compliqués à jouer, et personne ne remet leur légitimité en cause. Il est également important de préciser que la musique n’est pas juste une histoire de complexité : ce n’est pas parce qu’un art est difficile d’accès qu’il en est meilleur. Enfin, je trouve que c’est une qualité d’être accessible : ce n’est pas parce que tout le monde peut faire du rap que le rap en devient moins bien. C’est une idée fausse et méprisante, car elle sous-entend que si la masse peut pratiquer quelque chose, ce quelque chose devient obligatoirement inintéressant.

Mais si on évoque le déclassement du rap, il est impossible de ne pas évoquer le traitement médiatique du rap. Tout d’abord, les rappeurs sont vus comme des bêtes de foire par les journalistes, et ont toujours le droit aux mêmes clichés du rappeur bling bling. Ils sont également vus comme débiles, on met en avant leurs fautes de langage pour délaisser tout le reste. De plus, ce sont les médias grand public qui façonnent l’image qu’ont les gens du rap. En effet, si quelqu’un ne s’intéresse pas au monde du rap, la seule perception qu’il en a est l’image qu’en font les grands médias. Or les grands médias ne s’intéressent au rap que pour le mépriser : soit en méprisant les artistes, soit en méprisant le rap. De toute manière, les médias ne s’intéressent au rap que pour les faits divers : on parle du rap pendant le procès d’Orelsan, on parle du rap pendant le combat Booba – Kaaris à Orly… Cette incompréhension des médias se traduit par quelque chose d’assez évident : Booba, probablement la plus grosse carrière de l’histoire du rap français, premier sur toutes les tendances et qui a fait beaucoup pour le rap notamment à travers OKLM Radio, n’est vu que comme un abruti décérébré par les médias.

Pour finir, j’aimerais parler d’un aspect oublié lorsqu’on parle du déclassement du rap : le propos du rap. Le rap, comme la plupart des arts, porte un message sur la société. Or, si ce message se porte contraire aux valeurs de notre société, il ne sera que peu relayé. Pour certains rappeurs, le message relayé est profondément anti-sociétal : la critique de la police, du racisme institutionnel par exemple. Ce sont autant de facteurs qui conduisent le rap à être délaissé, voire méprisé. Ainsi, pour revenir aux médias, les médias ne mettent en avant que les artistes les plus grand public, les moins controversés et les moins subversifs. Il suffit de regarder les Victoires de la Musique pour s’en convaincre. On attend toujours la nomination de La Rumeur pour son classique L’Ombre Sur La Mesure.

Ce déclassement du Rap est en fait étroitement lié à la société et de par les acteurs de ce mouvements la mise en lumière de ces problèmes les rend visibles. C’est malheureux mais si le Rap continu d’être mal vu c’est parce que les communautés desquelles en sont issus ses acteurs sont mal vus. Nombre d’affaires ; médiatisées ou non, mettant dans la position victimaire des personnes issues de l’immigration arabo – africaine continue d’être délaissées. On pense à l’affaire Adama Traoré ; qu’il repose en paix, aux regrettés Zyed et Bouna ou encore à la pauvre femme ayant appelé le SAMU et n’ayant pas pu recevoir les aides nécessaires. Le point commun de ces affaires est le milieu social, milieu social qui ne cesse d’être dénigré et si peu respecté, l’art qui en sort en est donc lui aussi victime.

Ne soyons pas de mauvaise foi, si certains éléments continuent de constituer un réel problème de perception pour les hautes sphères, il n’en demeure pas moins que l’accès pour le Rap à une certaine visibilité plus grande se fait peu à peu. Et puis s’ils ne parlent pas de nous, alors nous le ferons nous même ; s/o OKLM.