Le Rap Français dans la bouche de la Pop
Une cover (ou reprise en Français) est une nouvelle version d’un morceau réalisée par un autre interprète. Ce dernier apporte un regard neuf en l’intégrant à son univers artistique pour lui donner une seconde vie et renouer parfois tellement avec le succès qu’on finit par en oublier l’original. C’est une pratique qui a toujours fait vibrer le paysage musical notamment dans la Soul pour devenir presque une tradition. Nombreux sont les artistes Français qui ont repris des morceaux emblématiques des Américains pour en faire leur propre cover et percer en France (L’inverse est aussi vrai : s/o Claude François).
Ainsi les covers sont réalisées essentiellement lorsqu’un morceau est déjà bien connu du grand public et donc fait partie de la culture populaire.
En ce qui concerne le rap, le légendaire label Bad Boy Records était rompu à cette pratique. Juicy est notamment une reprise du single Juicy Fruit du groupe Mtume. Je vous vois bader devant vos écran mais oui le plus gros succès de Notorious BIG est en fait une cover !
En ce moment, on voit beaucoup fleurir des covers de morceaux de rap Français réalisées par des amateurs, par des rappeurs eux même mais aussi par une frange d’artistes qui évoluent dans un genre différent. Pour les premiers, c’est Internet qui a rendu visible au plus grand nombre cette pratique qui devait déjà exister. Pour les seconds, il faut lire l’article d’Aurélien Chappuis qui étudie déjà très bien la question. C’est donc plutôt la dernière catégorie à laquelle cet article souhaite s’intéresser. A savoir : tous ceux qui d’ordinaire n’auraient jamais été faire une bise à Fred dans Planète Rap et décident aujourd’hui de réaliser des covers de rap Français.
On voit Angèle reprendre Mc Solaar sur Radio Nova, un guitariste transformer en accords le flow de PNL, les représentants de la France à l’Eurovision réaliser une cover de Egérie, le groupe Deluxe rendre hommage brillamment à Nemir…
C’est pour l’instant peut-être un petit mouvement mais il mérite qu’on y prête une oreille attentive parce qu’il est probablement lié à un changement de mentalité qui s’amorce tranquillement.
Pour en comprendre la saveur, il faut revenir un petit peu dans le temps. Back in 2009 : les chanteuses du groupe Brigitte sont invitées à faire un concert lors de la clôture d’un festival de films et cherchent alors une chanson pour faire sensation auprès du public. Elle choisissent alors de réaliser une cover de Ma Benz et surprennent leur audience en s’affranchissant des codes pré-établis de l’époque. Car oui, dans les années 90/2000 le rap n’avait pas encore l’image qu’il a aujourd’hui auprès du grand public. Ainsi peu d’artistes confirmés ce serait risqués à reprendre un morceau de rap par peur de froisser une partie de leur public ou bien par manque d’intérêt pour cette musique.
Il suffit de regarder le passage de Fabe à Taratata pour se convaincre de l’ambiance qui devait régner. Le rap était considéré comme une sous-culture, caricaturé, peu compris, mal jugé, facile à faire, stigmatisé. Pour beaucoup son soi-disant manque de musicalité ou “d’intérêt sur le plan harmonique” ne méritait pas qu’on prête attention aux oeuvres qu’il produisait et encore moins d’accorder du temps pour valoriser l’une d’elle et en faire une reprise.
Aujourd’hui, la tendance semble s’inverser. De plus en plus d’artistes trouvent légitime et passionnant de reprendre un morceau de rap et c’est le signe de quelque chose d’important. Ce n’est pas simplement une conséquence directe de la réussite de cette musique dans les charts depuis l’explosion des scores grâce au streaming. Ce n’est ni une histoire de “Si ça marche, je vais en faire aussi” car elle a toujours plus ou moins eu un succès commercial. C’est plus profond que ça.
C’est surtout le signe que cette musique commence doucement mais sûrement à être intégrée, absorbée et surtout assumée par une toute nouvelle génération de musiciens. Ils ont tellement pris de plaisir à analyser les textes et la technicité de certains flows qu’ils finissent par créer de nouvelles versions pour se les approprier. Les rappeurs et ces derniers entretiennent de plus en plus de liens, peut-être parce qu’ils ont tous grandi avec cette musique. On peut dire que le temps a bien fait son affaire.
Mais dans ce cas est-ce que c’est le rap qui devient de la variété ? ou la variété qui devient du rap ? La réponse est un peu entre les deux…
Le rap est une musique qui possède une identité très forte et notamment dans la rédaction des textes. Elle a pour ADN de décrire de manière très spontanée un univers fermement ancré dans la réalité et n’a pas peur d’user de la vulgarité pour le sublimer. C’est précisément cette singularité qui lui permet de se différencier de la variété. Il suffit d’écouter les L.E.J. scander « La grosse moula » pour comprendre que la puissance lyricale du rap continue tout de même d’exister dans la bouche d’un autre interprète et qu’elle ne se retrouve pas diluée pour autant.
Ce qui est sûr c’est qu’on peut maintenant se réjouir de ses heureuses affiliations qui prouvent que le rap est en train de franchir un nouveau palier dans son histoire. Il est dans son essence devenu la musique populaire. Il fait de plus en plus l’unanimité et est parvenu après toutes ses années à gagner le respect qu’il méritait.
Les esprits conservateurs diront que certains n’ont pas nécessairement la légitimité pour le faire, que le rap doit rester aux rappeurs et que cela inclut les reprises. Pourtant, il suffit de regarder la réaction satisfaite des principaux intéressés et donc des véritables auteurs pour comprendre que c’est un débat sans intérêt. La musique, c’est comme pour tout, il suffit de la faire bien. D’ailleurs, à ce jeux des covers mêmes les rappeurs ne sont pas forcément les meilleurs (On te voit Black M).
C’est toujours préférable d’écouter un artiste qui adapte un morceau et le façonne selon sa personnalité plutôt qu’un gars qui va copier un style et le dénaturer. Autrement dit vaux mieux une cover rock bien réalisée d’un excellent morceau de rap qu’un énième couplet en carton pâte qui pompe le flow de Nekfeu sur une prod très douteuse. Ceci étant dit, on pourrait aussi chercher à critiquer l’intérêt réel à réaliser des covers.
Est-ce que c’est indice d’un manque de créativité des artistes? ou au contraire un moyen de faire revivre une chanson ? Est-ce le signe que le rap s’est aseptisé et tourne en rond ? Ou le moyen de lui faire intégrer un nouvel univers jusque là inaccessible ? Est-ce que parce qu’on a plus rien à inventer ?
Bref, appropriation culturelle ou transfiguration artistique, à chacun de se faire une idée… Mais que celui qui n’a jamais danser sur A Mi Manera des Gipsy King me jette la première pierre. Donc : allez-y les artistes ! Jetez vous à corps perdu dans le vivier foisonnant du rap Français et faites vous kiffez.
Ensuite ce sera à nous de prier pour que l’on ait pas une “Rap Academy” ou des albums “MC Bidule rap Kery James” ? comme on a eu des “Florent Pagny chante Brel” ? L’avenir nous le dira… l’idée reste de ne pas trop se complaire dans la nostalgie et de toujours essayer d’apporter quelque chose de nouveau à CUL7URE ! pas vrai ?