Rap & musique classique
Pourrait-on trouver un lien entre Mozart et Dinos ? Ou encore entre Bach et Booba ? Non, il ne s’agit pas d’un cross-featuring comme l’on peut voir dans Rap Jeu, mais de la continuité entre le rap et la musique classique. Ces deux styles présentent un réel lien qui, même historiquement, est particulièrement présent dans cette culture.
La première référence que l’on a est liée avec les samples de morceaux classiques dans le rap tels que I can de NAS (sample de la Lettre à Elise de Beethoven), NTM qui rappe sur le 4ème Prélude de Chopin sur That’s my people et enfin No Life d’ Orelsan (sample de L’hiver de Vivaldi). La facilité de sampler des morceaux classiques s’explique en particulier par le fait qu’il s’agit généralement de morceaux libres de droit, soit des morceaux tombés dans le domaine public, légalement 70 ans après la mort de l’auteur. Cette régulation s’est développée au fur et à mesure du développement et de l’utilisation de ces samples. En effet, ces derniers se sont propagés dans les années 80, au fur et à mesure les maisons de disques ont commencé à pénaliser les artistes qui samplaient des morceaux en les accusant de piller le catalogue classique. Les esthétiques musicales entre le rap et le classique sont relativement différentes, il y a donc un réel travail autour de cette alliance musicale puisque les codes diffèrent énormément.
C’est en introduisant des éléments peu communs au rap et en créant une harmonie entre ces deux styles que l’on peut fusionner deux esthétiques très éloignées de prime abord. Cette harmonie peut se trouver dans la construction des morceaux : développer dans un premier temps les codes classiques puis une partie plus kickée ou encore enlever ou ajouter certains instruments. Par exemple, sur la version Hip Hop Symphonique du morceau Goutte d’eau de Ninho, on trouve un ajout rythmique en live avec des batteries, un flow différent, la présence de chœurs qui remplacent le backeur que l’on peut voir sur scène et plus de temps laissé pour les instruments comme des solos de guitare électrique (des codes du classique qui se retrouvent généralement avec le soliste).
Les esthétiques entre les différents styles de musique sont aussi appréhendées de façon relativement fermées en France. Lorsque Booba apparaissait sur Here en featuring avec Christine and the Queens, les réactions étaient assez orientées autour de la critique d’un tel feat mélangeant des univers trop différents. Cependant, la catégorisation que l’on trouve sur la production des artistes selon leurs styles ne se définit pas uniquement sur un unique genre mais au contraire, sur toutes les possibilités artistiques qui peuvent en être inspirées ainsi que tous les codes musicaux des multiples univers. Le rap présente ainsi un réel passé avec la musique classique mais nous pouvons également voir que ce lien a perduré dans le temps, si ce n’est qu’il s’est amplifié.
Et ça, on le retrouve notamment avec la musique de Sofiane Pamart : en arrivant à allier sa formation initiale classique avec le rap, il prouve une fois de plus que cette combinaison est possible, mais surtout qu’elle fonctionne. Il est présent sur de nombreux projets où l’on reconnaît facilement sa patte artistique comme sur plusieurs morceaux avec Laylow (UNE HISTOIRE ÉTRANGE dans L’étrange histoire de Mr.Anderson) ou encore avec Josman (Vaccin sur le projet M.A.N (Black Roses & Lost Feelings)). Ses concerts traduisent parfaitement de la fédération entre la musique classique et les musiques actuelles où l’on peut voir un public combinant à la fois les jeunes générations et les personnes plus âgées.
Cet alliage en France se traduit également avec le Hip Hop Symphonique. Présenté par l’Orchestre Philharmonique de Radio France, Mouv’ et l’Adami, l’évènement existe depuis maintenant 7 ans. Les différents artistes présents sur les éditions proposent une réinterprétation de leurs morceaux avec l’orchestre qui les accompagne. L’auditeur peut ainsi avoir une nouvelle perception du morceau : il y a beaucoup plus d’instruments, la présence de chœurs… On pourra tous penser à la version symphonique de Otto de SCH où le morceau est abordé sous un angle différent qui peut ainsi jouer sur les émotions du public. Les morceaux de rap appréhendés d’un point de vue classique permettent aussi à l’auditeur de se poser sur l’écriture des textes, la formulation et les rimes choisies. Aussi contradictoire que l’on puisse s’imaginer au premier abord, la musique classique met en avant les principes d’écriture du rap, soit les fondements de ce style. En plus d’une mise en avant, le Hip Hop Symphonique présenté sur des médias dits classiques (France TV, Canal +) expose la possibilité d’adaptation du rap face aux différents styles de musique ; celle-ci est particulièrement liée au fait que le rap est inspiré d’énormément de genres. Au-delà du point de vue fédérateur que peut avoir cet évènement, il va sans dire que cela appuie une certaine forme de légitimité du rap face aux courants musicaux déjà installés en France, qu’elle soit nécessaire ou non n’est ici pas le débat.
Nous en venons ainsi au principe de légitimation du rap, même si ce genre s’est suffisamment développé en France pour être aujourd’hui reconnu comme le style le plus écouté sur le territoire – plus de 50% du top 200 français en 2021 correspond à des artistes rap selon le SNEP – il n’en est pas moins peu reconnu d’un point de vue institutionnel. On peut ainsi tous se rappeler des victoires de la musique cette année et du discours de SCH comme porte-parole face à la non reconnaissance des artistes rap aujourd’hui. Ainsi, l’ouverture vers le classique peut pousser certains artistes à toucher à cette reconnaissance globale et se confronter directement à un public qui peut sembler sceptique au premier abord. Cette ouverture permet dans un certain sens une confirmation de la place des artistes sur la scène française où les morceaux laissent plus place à la critique, l’ouverture artistique permet l’accroche d’un nouveau public non conquis jusqu’alors. Cette appropriation met en avant le rap et la reconnaissance publique qu’il mérite.