Columbine – Adieu Bientôt
Dans mon entourage plus ou moins proche se trouve une sympathique jeune femme qui a tout de même un défaut, elle est fan de Columbine. Après l’avoir longuement vanné sur ce point et avoir rejeté l’écoute de la musique, elle m’a saoulé (salut à toi si tu passes par là) et j’ai fini par craquer. J’ai alors lancé l’écoute du projet Adieu Bientôt sorti le 28 septembre dernier et bon je l’avoue, j’ai été agréablement surpris. Voyons donc ce que vaut l’album de ces jeunes rockstars du Rap Français.
On parle beaucoup ces derniers temps des nouvelles rockstars du Rap US, le terme rockstar transcendant donc le genre musical. Si là-bas ils ont des artistes comme les regrettés XXXTentation ou Lil Peep ; en France on trouve pas vraiment d’équivalents. Sauf erreur de ma part, à moins que l’on considère Swag Man comme une rockstar, le phénomène n’est pas encore réellement ancré ici.
Alors j’ai parlé de surprise et même d’agréable surprise. Clairement, j’étais rempli de préjugés avant de les écouter et force est de constater qu’ils ont rapidement été balayés. Mettons nous d’accord, la place dédiée au Rap est relativement faible. A part quelques morceaux, quelques couplets on a affaire à un projet tirant beaucoup plus vers de la pop-rock. Est-ce dérangeant ? Pas totalement. Il faut juste y être préparé ou en tout cas pas spécialement fermé sinon le projet passe clairement moins. Lujipeka excelle à chaque morceau et nous offre par ailleurs le meilleur solo du projet avec le titre Bart Simpson.
« Sur la gâchette j’ai Parkinson »
Bart Simpson
Ce qui est intéressant et qui est très bien illustré sur ce morceau, c’est qu’il ne sonne pas vraiment Rap, on a même droit à ce qui semble être un solo de guitare électrique à la fin. L’atmosphère musicale instaurée par la prod mais aussi par les effets de voix, les placements de Lujipeka en font un morceau qui s’écarte d’un Rap plus traditionnel. Cependant, dans les thématiques, on se retrouve totalement dans un univers qui nous est familier. On ressent une forme d’instabilité, comme si l’artiste se plaçait entre deux époques. Il grandit mais reste tout de même un enfant comme Bart Simpson, il explique même qu’il s’agit quelque part d’un lien avec Enfant Terrible, leur précédent projet. La phrase « Sur la gâchette j’ai Parkinson » ramène à cette idée d’instabilité, le coup peut partir à tout moment sans vraiment être contrôlé. Il dit aussi que le groupe est aimé pour ses parties sombres et il semble que c’est vraiment ce qui ressort dans ce que propose Columbine. Y’a un rapport à une jeunesse désœuvrée, isolée, dans le flou et l’obscurité.
Cela se remarque sur le titre Cache-Cache, une sorte d’hymne à ces grands enfants, désillusion et déception traversent ce titre. On mettra de côté le terrible « T’aimes pas Columbine mais Columbine est célèbre. » qui a donné lieu à beaucoup de plaisanteries au sein de l’équipe et on retiendra particulièrement les douces sonorités de ce morceau qui fut le premier extrait du projet. Les couplets des deux artistes se terminent par le fait qu’ils racontent ce qu’ils voient. Lujipeka personnifie un vécu à travers des personnages fictifs tandis que Foda C sort de chez lui pour se confronter au monde réel et pour voir les difficultés des gens. Il le dit « t’es comme tout le monde t’as ton daron qui est absent », comme si cela le mettait face à sa propre réalité mais il exprime surtout un phénomène existant, l’absence physique ou morale de père étant très répandue.
Autre titre particulièrement marquant il s’agit de La gloire ou l’asile, le titre est très parlant et on comprend que la réussite n’est pas une option. On peut jouer sur plusieurs compréhensions et niveaux de lecture ; en effet la gloire et l’asile (et par analogie, la folie) sont souvent étroitement liés. Savoir mesurer son niveau de célébrité amené par la musique et ne pas tomber dans une quête de starification pathologique peut sembler compliqué.
« J’ai joui mais j’en veux encore »
La gloire ou l’asile
A travers ce titre, les deux artistes font un retour sur leur carrière, leur succès, comment et pourquoi, mais surtout ce que cela amène dans leur vie quotidienne. Les doutes et les difficultés de cette vie d’artiste qui ; on le comprend, est à la fois addictive et effrayante pour les deux jeunes rappeurs.
L’adolescent est véritablement le personnage au cœur de ce projet. On sent les deux artistes sur le fil entre l’enfance et le passage à la vie d’adulte, la vie d’artiste est finalement une belle représentation de tout ceci. Ce qu’elle peut amener, ce dont les enfants peuvent rêver mais aussi les responsabilités que cela induit évidemment. C’est le morceau Teen Spirit qui s’occupe de refléter cette idée d’évolution, de changement et de passage à un âge proche d’une plus grande maturité.
Ils s’adressent au passage à leur public mais on peut aussi y voir une manière pour eux de parler aux plus jeunes versions d’eux-mêmes. Il y a le message qui explique qu’il faut faire ce dont on a envie, de ne pas écouter l’avis des autres et d’agir véritablement. On comprend dès lors la complexité du passage à l’âge adulte avec plusieurs fois l’idée de la peur et du refus de grandir. Le problème, c’est que grandir est un passage obligatoire et Chaman termine le deuxième couplet avec « J’ai vu ma mère suicidaire, monter sur le pont ». Fictif ou réel, cet élément permet de comprendre tristement que grandir n’a pas été un choix ou que rester en enfance a pu servir de moyen de se protéger de la vision de cette scène.
Au cœur de ce projet, on a alors affaire à une multitude de thématiques, la déception et le désespoir comme je l’ai déjà dit mais on retrouve énormément la relation avec les femmes. Le titre Topless de Foda C est un hymne à l’amour mais on retrouve aussi des questionnements, les désillusions amoureuses se mêlent aux relations à usage unique vécues par chacun. Je n’ai pas écouté les précédents projets et je n’en ai pas envie, assez paradoxalement je préfère préserver le coup de cœur que j’ai eu sur cet album. On arrive tout de même à distinguer une évolution certaine de la part des artistes. Musicalement du peu que j’ai entendu avant, l’évolution est présente et totalement logique mais cela semble aussi s’ancrer bien plus profondément et marquer leur vie personnelle.
L’idée du passage à l’âge adulte est finalement le fil conducteur du projet et finalement, tout ce dont j’ai parlé plus tôt s’articule autour de cette thématique.
Ce projet est finalement marquant plutôt par l’exploration d’univers musicaux très riches, autant dans l’interprétation que dans les sonorités. C’est indéniable que sur le projet l’aspect musical passe avant l’aspect textuel. On a des textes parfois plats, quelques fulgurances et de bonnes idées. C’est effectivement la musique qui prime, Ponko sur Indochine ou Seezy sur Cache-Cache et Adieu Bientôt signent ici d’excellentes prods qui côtoient celles de Foda C ou encore celles de Junior Alaprod. Le tout génère un projet réussi que l’on pourra écouter en toutes occasions.