HERBERT, démonstration introspective
Dans un milieu où nous sommes submergés par les sorties chaque vendredi, il est peu commun que nos rappeurs préférés s’absentent plus de 2 ans sans sortir ne serait-ce qu’un single. Pourtant, le label de Carson, Top Dawg Entertainment, a quasiment fait une spécialité de sortir les albums de leurs artistes avec de nombreuses années d’écart. Par exemple, 5 ans séparent le dernier album, Mr. Morale & the Big Steppers de Kendrick Lamar et DAMN, et le schéma se répète pour SZA, la deuxième star du label entre Ctrl et SOS. Ce qui s’explique notamment par le fait que ces artistes ont la chance d’être parmi les artistes les plus populaires au monde, ils seront donc attendus quoi qu’il arrive. Bien qu’il le mérite grâce à son talent, ce n’est pas exactement le cas de l’artiste dont nous allons parler aujourd’hui. Ab-Soul a sorti le 16 décembre dernier son cinquième album, 6 ans après son dernier : Herbert.
Le rappeur a d’abord fait son retour en avril 2022 avec le titre Hollandaise. Il s’agit de son premier titre en solo depuis son dernier album Do What Thou Wilt et comme le titre l’indique, il s’agit évidemment d’une ode à la plante verte. Le titre, dans sa version initiale, ne retient honnêtement pas notre attention et nous pouvons presque parler d’un retour raté pour le MC californien. Nous n’entendrons pas parler de lui jusqu’au mois de septembre où il publie Moonshooter qu’on retrouve sur l’album, encore une fois sous une version différente. C’est le troisième extrait ainsi que son clip qui retiennent particulièrement notre attention. Do Better en collaboration avec le chanteur de TDE, Zacari, nous explique en partie la raison pour laquelle le MC de Carson était aussi peu présent en 6 ans. En effet, le clip reproduit la tentative de suicide intenté par Ab-Soul. Nous pouvons voir le rappeur sauter du haut d’un bâtiment, chose qui s’est réellement passé d’après son interview avec Charlamagne tha God. Il explique dans ce dernier que c’est l’arrêt de la consommation de certaines drogues et la consommation de vapoteuse d’une certaine marque qui l’ont poussé à commettre cet acte. Il sort un dernier extrait, Gang’Nem avec Fre$h, avant de sortir son nouvel album, nommé après son vrai nom. À quelques semaines de la sortie, une photo sur laquelle l’on voit Ab-Soul et JAY Z ensemble, nous laisse penser que la légende de Brooklyn serait sur l’album de Soulo.
Avec les différents éléments nous ayant été présentés avant la sortie de l’album, tout portait à croire que nous allions écouter un des albums les plus introspectifs de ces dernières années. C’est exactement ce qui passe rien qu’avec l’introduction de l’album, Message In a Bottle, qui commence avec la grand-mère de l’artiste qui récite un extrait de la Bible. S’ensuit une prod plutôt mélodique où le rappeur nous montre qu’en 6 ans, il n’a rien perdu de son niveau de rap. Il est répété tout au long du morceau “Don’t push me, I’m close to the edge”, ici une référence à la fois au morceau The Message de Grandmaster Flash & The Furious Five mais également à sa situation. Nous apprenons aussi sur le morceau que l’une des raisons de son inactivité sont liées aux décès de Mac Miller, avec qui il était très proche, mais aussi celui de son meilleur ami, Doe Burger, décédé fin 2021.
Bitch, I’m a vet, show some fuckin’ respect
– MESSAGE IN A BOTTLE
I’m sensitive, I just lost my best friend
L’album enchaîne sur l’un de mes morceaux préférés de l’album : No Report Card. La prod semble être une mélodie jouée en reverse avec des drums typiques du boom bap. Le rappeur fait ce qu’il sait mieux faire, c’est-à-dire kicker ! Nous ne pouvons que témoigner et féliciter la technique du rappeur, surtout sur le premier couplet où le rappeur fait tout un pattern sur le légendaire rappeur du Bronx : KRS-One. Pour ceux qui savent, il fait également une de ses spécialités sur le refrain, l’auto-référence avec un clin d’oeil à son couplet dans Unnecessary avec Childish Gambino et ScHoolboy Q. Les deux morceaux qui suivent étaient tous deux des extraits sortis auparavant, mais dans des versions différentes. Par exemple, si Hollandaise n’avait pas totalement retenu l’attention des auditeurs, dans l’album, le morceau contient un changement d’instru avec une instru très jazzy qui donne une seconde vie au morceau. Quant à Moonshooter, le morceau contient maintenant un couplet du rappeur de Brooklyn, Joey Bada$$. Le titre est très soulful avec une voix en fond tout du long et le contrepied est qu’il s’agit d’une véritable ode à la motivation. Les deux rappeurs, et surtout Ab-Soul, nous expliquent que malgré les nombreuses défaites et chutes dans la vie, il faut continuer d’avancer et qu’il ne faut surtout pas manquer d’ambitions. Le couplet de Joey suit la même direction que ceux de Soulo et permet de faire taire ses détracteurs qui prétendent une baisse lyricale après la sortie de 2000.
Listen kids, best to shoot for the moon ’cause if you miss
– Moonshooter
You’ll still be amongst those stars stelliferous
Nous avons une baisse de régime dans la partie centrale de l’album avec des tentatives de morceaux plus accessibles comme FOMF, The Wild Side ou Art of Seduction. Bien que nous ayons le retour de Punch, actuel président de TDE, au micro. Notre attention revient réellement avec Bucket mais davantage avec Go Off en featuring avec Russ et Big Sean. C’est la première collaboration entre Big Sean et un artiste de TDE depuis Holy Key avec Kendrick, soit un morceau qui ne s’est pas très bien passé pour le rappeur de Detroit. 7 ans plus tard et un step up en termes d’écriture, Big Sean ressort avec contestablement le meilleur couplet du titre et fait même une référence à K.Dot dessus.
L’album reprend sa trame introspective notamment avec le morceau éponyme : Herbert. Dans ce dernier, Ab-Soul évoque sa foi, ses addictions, sa dépression et le syndrome de Stevens-Johnson dont il est atteint depuis ses 10 ans, qui lui cause la perte de sa vue. Il s’agit là sûrement de l’un des morceaux les plus personnels et importants de sa carrière depuis The Book of Soul. Nous retrouvons son ex-collègue de label, Kendrick Lamar, sur le refrain et James Blake sur l’interlude du morceau. Le morceau suivant présente des éléments de Gospel et à la vue du titre cela a totalement du sens. Church on the Move est un morceau qui ressemble beaucoup à ce qu’aurait pu faire Chance The Rapper il y a quelques années mais si le morceau semble retenir l’attention des auditeurs, c’est parce que Ab-Soul semble clasher Kid Cudi sur le premier couplet. Le rappeur de TDE n’attendra pas longtemps avant de démentir publiquement ces accusations.
L’album continue avec le magnifique It Be Like That featuring SiR, artiste R&B du label. Le morceau est divisé en deux parties, bien qu’avec la même prod. Nous pouvons comprendre que la première partie s’agit de celle où le rappeur était en dépression profonde et que tout paraissait lui échapper, la deuxième et celle de la guérison sur laquelle tout revient à la normale. Finalement, l’album se termine avec le morceau le plus rap de l’album : Gotta Rap. Comme s’il n’était pas déjà clair que le rappeur de Carson était un surdoué de la discipline, il va s’associer au producteur légendaire DJ Premier sur ce titre. Il s’agit d’une véritable leçon de rap avec une prod bien entendu boom bap et jazzy, mais aussi avec des scratchs de KRS-One. Le morceau est dans l’ADN new-yorkais à souhait, ironique pour un rappeur californien.
6 ans d’attente, c’est ce qu’il a fallu pour que nous puissions entendre à nouveau le génie de Carson et l’attente a été totalement justifiée. Introspection saupoudrée de rap old school et de motivation, Ab-Soul nous a montré que le rap est clairement secondaire quand rien ne va dans le reste. Il nous a délivré possiblement son meilleur album depuis son classique Control System en 2012, mais aussi l’une des meilleures sorties du label californien à ce jour.