Ateyaba, l’avant-gardiste
Il va falloir s’y habituer, Joke a changé de nom, il faut désormais l’appeler Ateyaba. Ateyaba ou le nom de son premier album ; mais aussi celui de son grand-père, marque un changement majeur dans sa carrière, un tournant que nous avons hâte de découvrir mais il va avant cela falloir s’intéresser à l’emprunte Joke.
Arrivé dans le monde de la musique en 2009 avec un premier projet, Prêt pour l’argent, la musicalité bien variée de ce street album est ce qui marque le plus l’auditeur. Un morceau avec lequel il expose son talent est Marty and the Hit Factory, un morceau à la prod minimaliste mais qui reste en tête un long moment. Le plus frappant dans ce titre c’est simplement l’aisance avec laquelle l’artiste originaire de Montpellier rappe. Il kick de manière pure et dure et le fait avec une telle aisance le rendant aussitôt très insolent. C’est cette insolence qui sera le premier élément marquant et propre à l’artiste. Ce tuto ; digne des plus grandes heures du YouTube francophone, sur la naissance d’un hit n’est pas sans rappeler (dans l’idée) le fameux Comment faire un tube de Damso sorti 6 ans plus tard.
J’ai la recette pour fourrer le succès
Ateyaba – Marty & The Hit Factory
On le comprend, Joke sait ce qu’il fait. Avec ce premier projet on arrive à saisir ce que Joke souhaite proposer et où il souhaite mener sa carrière. De Roue de bicyclette à Six pieds sous terre, la recette de Joke commence à prendre forme et il est temps de passer aux fourneaux et de marquer son arrivé dans la cours des grands. Passons outre l’expérimental et surtout trop court Prêt pour l’argent 1.5 ;dans lequel le featuring avec Action Bronson et Metek (Batmobile) et le morceau Luther Burger brillent de sonorités différentes et de maîtrise absolue. Intéressons nous donc au premier EP marquant et l’amenant surtout auprès d’un plus grand public ; Kyoto.
Porté par des morceaux comme Triumph et MTP Anthem,on retrouve un découpeur d’instru et un rimeur très talentueux. Il est fort et à son arrivée il a secoué plusieurs têtes. La prod de Triumph est celle qui surprend le plus dans ce projet, très rapide et laissant peu de place à la nonchalance insolente de l’artiste on a alors affaire à un morceau on ne peut plus kické. La forme ne desservant pas le fond, chaque rime est une réponse minutieuse à la phase précédente. Référence Rap avec 20Syl et référence cinématographique avec Nino Brown, on retrouve encore quelques phases en lien avec l’univers de Batman dans un égotrip excellemment bien mené. C’est un morceau qui ; par l’instru agressive, rappelle le titre Paris j’arrive de Metek avec Joke lui-même mais aussi Hi Fi qui apparaissait dans le clip et la première version du morceau, version introuvable donc on se contentera des couplets de Metek et Joke.
Sur le projet Kyoto on retrouve encore l’artiste dans sa phase de construction, les ébauches de ce qu’il proposera plus tard apparaissent. On ne peut passer à côté de la connexion la plus importante de ce début de carrière, celle avec Mac Tyer et Niro sur le titre Scorpion Remix, un banger au clip percutant. Ce qui évoque un bourdonnement au fond de nos oreilles reste finalement en boucle et le couplet de chacun des rappeurs se veut au dessus de celui des autres.
C’est un très bon projet qui laisse surtout se dessiner la suite bien plus prometteuse. Et effectivement, lorsque Tokyo sort l’année suivante on sent une réelle évolution musicale et dans l’univers proposé. Ce second EP porté par Tokyo Narita et Harajuku nous emmène assez logiquement au Japon, ce qui se ressent principalement dans l’esthétique. Là où sur le premier EP c’est l’aspect sombre et les couleurs fades qui ressortaient des clips, ici on a affaire à de vives couleurs. Plus lumineux donc mais aussi un poil plus maîtrisé dans son rapport au Rap. Les titres Jeune Prince avec Fashawn et 501 Lunettes Cartier avec Lino en sont un bel exemple.
C’est finalement Ateyaba qui aura le plus d’impact. On parle beaucoup des enfants de Joke et c’est finalement avec ce premier album sorti en 2014 que la filiation va avoir lieu. Des sonorités peut être moins surprenante, après la japonisation on retrouve un aspect beaucoup plus US dans les musicalités adoptées et dans l’univers général du projet. Alors il a toujours eu un côté très américain dans sa musique, mais là où ses premiers projets se voulaient plus expérimentaux on a l’impression d’un retour à un Rap finalement plus conventionnel sur cet album. Toujours à proposer quelque chose d’intéressant, revenir à ce terrain plus commun l’amène sur un élément qu’il maîtrise peut être bien plus et c’est dès lors excellemment réalisé. Et pourtant il ne faut pas imaginer non plus un projet lisse et sans volonté de se démarquer. Sans parler d’innovations particulières il y a néanmoins de vraies idées au niveau des choix des prods, notamment celle de l’Outro Niamtougou avec ce saxophone très inspirant.
Très engagé dans les thématiques, ce premier album rempli son rôle et amène plus de profondeurs à la musique de l’artiste. Le rapport à sa couleur de peau et à ses origines reviennent souvent tout au long du projet. La revendication d’un dû de l’Etat Français envers les pays d’Afrique, le triste constat d’une position différente car constamment ramené à sa couleur de peau. On sent que ces thématiques lui tiennent à cœur et même dans un violent égotrip comme Anubis il place sa crotte de nez, se plaignant de ne pouvoir baiser Marianne. Il marque ici son envie de reconnaissance de la part de l’Etat Français et de vengeance aussi disons le.
Pourquoi qualifier Ateyaba d’avant-gardiste ? Déjà parce que c’est mon article et je fais ce que je veux, mais surtout parce que sur l’album du même nom il innove. A l’époque ; rappelons qu’il date de 2014, il pouvait être compliqué à digérer, bien que je sois à cette période un grand fan de Joke, je n’arrive pas à rentrer dedans immédiatement. Et c’est un avis qui semble être général, Ateyaba a visiblement été mal comprit. Prêt pour l’argent est très expérimental, Kyoto et Tokyo dans une certaine mesure le sont aussi puisque partant vers un univers relativement unique pour l’époque. Alors dans l’ensemble il y a ceux qui vont trouver Joke à côté de la plaque dans ce qu’il propose, et en 2018 ces même personnes vont commencer à comprendre vers où il nous a mené dans la construction de son univers. Et c’est une très bonne chose. Si a l’époque il a pu poser problème à l’écoute, en 2018 le projet semble vieillir merveilleusement bien et en ne le trouvant pas dépassé ; et en plus de ça totalement ancré dans ce qui se fait cette année, on saisit l’avance du jeune artiste de Montpellier.
Précisons également que chacune de ses apparitions sur un projet ou un morceau d’un de ses collègues est réussies. On pense assez logiquement au morceau Le coup du patron de Dosseh avec Gradur mais c’est également le cas pour le Jeune Freestyle aux côtés de Set&Match et Alpha Wann. Et enfin mention spécial au morceau My Business du tristement avorté projet de groupe 10Frenchmen, morceau sur lequel il est le seul à vraiment se démarquer ; avec Pink Tee avouons -le, parmi les 8 autres emcees.
Pour encore plus souligner son avance ; l’attente autour de son album UltraViolet qui ne cesse d’être repoussé est intéressante à observer. Même s’il se fait vanner sur les réseaux sociaux le public ne lâche pas l’artiste et continue d’attendre désespérément ce projet. Son retour en septembre avec le titre Rock With You a vivement fait réagir, et pour cause… Un clip grandiose mêlé à un titre sur lequel il parvient à surprendre et en continuant son exploration de musicalités variées.