Les zins de Jul
Quand il est arrivé de sa planète, Jul n’est pas venu les mains vides. L’ovni a rapporté un style unique, une personnalité musicale. Des artistes sont nés de ça. « Des enfants de Jul. » Le terme peut être péjoratif donc on lui préférera « cousins » ou, comme disent les sudistes, « zins ». Des jeunes qui voient un membre plus vieux de la famille, aperçu par intermittence à Noël et aux baptêmes, et le choisissent en exemple.
Une chose est sûre, il y a bien un lien du sang. Gips, L’allemand et Mehdi YZ sont les dignes représentants de la musique de Jul. Ils ont repris ses codes, puis se les ont réappropriés jusqu’à développer leur propre univers. Maintenant aux réunions de famille, ils peuvent taper la discute sans rougir avec leur grand cousin.
Gips, « le cousin marrant«
Un planète rap mythique. Gips est apparu fin 2019 au Vélodrome un soir de semaine spéciale Jul en scandant : « J’ai des problèmes et je me dis putain zeubi », le tout accompagné d’une danse de l’épaule, la spéciale de Cyril Hanouna en mieux. On aurait pu croire à un épiphénomène, porté par la grâce de Fred Musa, mais non, Gips a très bien enchaîné après ça. Beaucoup de singles (Flash, L’aziza, Khabat, etc.) et un album gratuit, sur le même modèle que son ainé. Du rap sur des prods « à la Jul », du côté ambiançant, très disco. Le Marseillais a décidé d’accompagner Gips et l’a signé sur son label Rien 100 Rien.
Au départ, la connexion est loin d’être évidente entre les deux artistes, pour des raisons géographiques. 1 000 kilomètres les séparent puisque Gips est originaire de Tourcoing, à l’autre bout de la France. On pourrait pourtant croire qu’il est issu du même endroit que Jul, tant tout dans sa musique, et même dans son apparence, rappelle la cité phocéenne. Il faut croire que les Marseillais aimeraient bien que le rappeur soit de chez eux : « On me dit « t’es de Marseille, t’as les mèches. » » « On me dit « Gips t’es fort, dommage t’es pas d’ici. » » Souvent dans les storys de Babyboys, le manager de Jul qui l’a repéré en premier, Gips traîne du côté de la bonne mère, et réalise un vrai Bienvenue chez les chtis à l’envers.
Il apparaît même sur la pochette de C’est pas des lol, preuve de sa rapide intégration auprès de Jul. Présent aussis sur l’album ainsi que sur Loin du monde et Album gratuit Vol. 6, Gips possède une caractéristique qui a fait briller Jul par le passé : la totale décomplexion. Il a hérité de son grand cousin sa propension à ne pas se soucier des avis extérieurs. Gips fait de la musique comme il le sent et s’amuse, sans calcul. A l’image d’un Alpha Wann en freestyle, les rimes du Ch’ti sont souvent surprenantes, impossibles à prévoir. Ses références semblent sans fin, un champ lexical ultra large, de Chokella (des céréales au goût douteux) à Voloco (une appli pour de l’autotune approximative) en passant par des joueurs de foot de seconde zone. Johan Micoud, Antoine Kombouaré ou Andy Delort, loin des grands noms que l’on entend souvent dans le rap français. Il utilise même parfois le passé simple ou du langage soutenu : « Je ne sais guère », donnant lieu à de grands moments. Parfois, il namedrope de parfaits inconnus comme Anthony ou encore Farid le mécano. Un immersion dans sa vie, qui lui confère une certaine sympathie.
Gips vient de la ville de Darmanin, mais il raconte un quotidien bien éloigné du premier flic de France. Des potes, pour certains absents : « Je vois plus trop les gens que j’aime, au tieks avec le petit Larbi » (Près du métro), puisque le thème de la traitrise, récurent chez Jul, et assez présent avec Gips. Des passe-temps : « au kawa (café, NDLR) je suis bien mais il manque un flipper » (L’aziza), l’occasion de passer un messager au tenancier du café de son quartier. Ou encore des petits soucis du quotidien digne d’une discussion autour d’une soupe en maison de retraite : « J’ai des calculs. Je bois pas assez d’eau, j’ai mal au reins » (Hella).
Gips n’est pas qu’un rappeur détendu enchaînant les phases marrantes. Sur Près du métro, on sent chez lui un vrai potentiel pour faire sortir ses émotions sur la prod. Le morceau rappelle même le classique J’oublie tout par moment. Ajouté à sa folie et sa bonne humeur communicative, Gips est ce genre d’artiste rafraichissant. Le tout laisse entrevoir un très bel avenir pour celui qu’on devrait entendre dans toutes les boites de France quand elles rouvriront (encore un peu de temps pour faire percer Putain zeubi).
L’allemand, « le cousin à fleur de peau«
Comme Gips, L’allemand ne vient pas de Marseille. Originaire de Lyon, il est pourtant dans la droite lignée de Jul. Presque le même en version Rhône-Alpes, s’il n’avait pas déjà toute une personnalité. D’abord, il représente son département dans presque tous les morceaux (« le sixnueve »), fier de son quartier, Les Minguettes, autant que Jul lançait des « La puenta » à tout va. Cette identité va jusqu’à sa manière de parler. Il possède un léger accent lyonnais, les « a » transformé en « o ». Et surtout, il a pris chez Jul son côté ultra sincère, alors forcément il livre ce qu’il a sur le cœur, des sentiments propres à lui.
Jul est un exemple pour L’allemand, il l’a déjà expliqué en interview. Il a hérité de ce grand cousin une faculté à faire des refrains plein de ferveur. De C’est chaud à C’est ça les rats au plus récent Ben’t ness, L’allemand, qui n’a de germanique que le blaze, connaît la formule pour rentrer dans les têtes. On pourrait même croire qu’il ambiance sans faire exprès. Sur J’pense le morceau n’a pas de refrain mais donne envie de fêter. L’heure du crime, sur une prod plus Jul-esque que Jul, ne peut laisser indifférent, tel un rayon de soleil au début du printemps.
Je suis pas le fils d’un millionnaire, mais j’aime papa et ses principes.
L’allemand – Nos rêves
L’allemand parle de sa famille, de sa mère souvent, avec qui il rentre parfois en Algérie. Elle qu’il rêve d’emmener loin, dans Mandella. Un titre avec un « l » de trop, une maladresse qui caractérise aussi Jul parfois, le prix de son hyper franchise. Le feat avec Da uzi, Plus d’amour, allait de soi et est une réussite.
Sur son dernier projet, On verra bien, il montre qu’il a des choses à dire, même après plusieurs années de rap. Comme Jul sur Dans sa bulle par exemple, L’allemand narre parfois le vécu des autres. Dans Comme son père celui d’une jeune fille à la recherche d’un homme pour elle et dans Le p’tit, c’est l’histoire d’un jeune prêt à tout pour briller et s’en sortir. C’est avec justesse qu’il lâche de petites observations qui donnent de l’épaisseur au personnage qu’il décrit : « Il voit l’Espagne comme le paradis. » On sent chez L’allemand une volonté de rapper les gens qui l’entourent, déjà entendue dans C’est ça les rats.
Mehdi YZ, « le cousin street«
Sans conteste le côté rue de Jul. Mehdi Yz vient du même quartier : Saint-Jean-du-désert. Dans un documentaire de Street Press, il explique qu’il voyait Jul rapper dans sa Clio quand lui et les autres se livraient à d’autres activités moins licites dehors. Il a vu de près l’ovni évoluer et muter pour devenir le plus gros vendeur de disque du rap français.
S’il n’a pas suivi sa discipline en studio, Mehdi Yz est à l’image des morceaux où Jul découpe, sans chanter, les nerfs à vifs. Arrah, le premier gros succès du Marseillais, représente bien sa musique. Un condensé de phase sur la vie de quartier et la vente de drogue. Il écrit ses textes accompagné d’un verre d’eau et d’une cigarette (sur Y’en a marre), un cocktail de nervosité. Du rap dans l’urgence.
Je suis venu manger un peu, j’ai les crocs ne m’en voulez pas.
Mehdi Yz – Je travaille dur
Je suis toujours en survet’, nique zeubi j’ai pas de smile.
Mehdi Yz est plus proche globalement de la scène rap marseillaise que simplement de Jul. Signé sur 13e art, le label de Naps, plusieurs de ses morceaux commencent par le fameux tag de L’adjoint, reconnaissable entre tous, autant que Katrina Squad pour Julien Beats. Son dernier projet, FPVS, en tire une cohérence intéressante. Agréable à écouter bien qu’un peu long, on sent un artiste pas encore totalement à son prime mais bien capable de fulgurances.
Les morceaux de Jul laissent entrevoir des moments de vie de quartier qu’il semble avoir observé de loin, sans doute depuis sa Clio, occupé à gratter des textes. Avec Mehdi Yz, c’est comme si on voyait la version de Jul, sorti de sa voiture et qui aurait délaissé le rap un temps.
Des collaborations ?
Les liens entre Jul et ces trois artistes ont donné lieu à des feats. Pour l’instant, aucun ne s’inscrit comme de très bons morceaux, selon nous. Comme si ces ressemblances, ces caractéristiques communes, empêchaient une véritable complémentarité.
Gips semble le plus susceptible de réaliser de belles choses avec Jul, son mentor. Il a réalisé de bonnes prestations sur les morceaux à plusieurs artistes des albums du J. Mais sur leur seul featuring à deux, Ferme ta gueule il a manqué une étincelle. Le morceau est bon mais sans plus, comme si Gips s’était bridé. On peut en tout cas espérer du mieux pour la suite.
L’allemand a déclaré plusieurs fois son admiration pour Jul, et a réalisé avec lui un morceau de qualité en 2019. Dans la ligne de son identité, Elle veut est saupoudré d’émotions. Il date de 2019, et depuis L’allemand s’est développé, une nouvelle collaboration pourrait avoir plus d’impact.
Mehdi Yz est aussi apparu sur plusieurs sons avec Jul mais a quitté le label D’or et de Platine. Difficile de connaître les liens entre les deux artistes. Il a affirmé ne pas avoir de soucis avec Jul. Un feat sur une prod rapide et oppressante pourrait donner lieu à un bon moment de rap.
Ces artistes sont la preuve que Jul a non seulement accompli de grandes choses personnellement, mais il a aussi porté avec lui toute une scène, et inspiré de nombreux rappeurs, y compris non-cités dans cet article. Ces trois là sont certainement ceux qui ont le mieux digéré l’influence de Jul.