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Le revers des Youtubeurs rap : autopsie d’un fléau

Le revers des Youtubeurs rap : autopsie d’un fléau

Mister V, Squeezie, Seb La Frite, Pierre Croce, vous ne les écoutez sûrement pas mais pourtant on se retrouve quasi forcés de parler d’eux à chaque fois qu’ils sortent un projet qui se rapproche de près ou de loin à du rap. Même le fait de prendre du temps pour déconstruire cette malédiction est déjà une peine assez lourde. Cependant, mettons de côté les problèmes de logique et abordons directement le coeur du problème : Les Youtubeurs qui rappent.

Jurisprudence Mister V

Bien qu’il ait eu la chance d’être Grenoblois, il a fallu que Mister V fasse le choix de se lancer dans la musique avec un album de rap. Dès le départ via sa chaîne Youtube, il va très vite désamorcer les potentielles critiques sur sa crédibilité et sa « légitimité ». En mettant en avant le fait qu’il ait beaucoup utilisé la musique au service de l’humour ainsi que son côté passionné et « sincère dans la démarche », il avait presque bâti un mur imparable. Du coup, sans surprise quand le projet Double V sort, il a été certifié disque d’or en une semaine (Rappel : Il a presque 6 millions d’abonnés, juste sur Youtube). Indépendamment de la qualité musicale de ses projets, il y a un vrai déséquilibre qui persiste. En effet, même s’il semble appliqué, il a déjà un cheat code que beaucoup de rappeurs ne peuvent mobiliser : une large communauté solide et fidèle (ou influençable).

Comme un malheur n’arrive jamais seul, il a fallu que d’autres créateurs suivent la même tendance. En ayant vu Mister V sortir indemne de ce ce vortex, d’autres Youtubeurs vont naturellement se dire « Pourquoi pas moi? ». Là où Mister V avait au moins la décence de s’intéresser un minimum au genre avant de se lancer, nombre d’entre eux ne vont même pas se poser la question. Entre opportunisme et cahier des charges car c’est la musique qui marche le mieux, beaucoup vont se coller à cette tendance.

Apocalypse Youtubienne

Outre la fameuse gentrification du rap, ayant notamment amené un nouveau public au sein du rap, on va ici souligner un autre aspect. Tout d’abord, on fait face à des gens qui se foutent totalement de la culture dans son ensemble et qui font le choix d’utiliser le rap car c’est une musique populaire, et donc rentable. Ces derniers n’hésitent pas à jouer cette carte du divertissement ; quitte à parfois devenir de sous-parodies crispantes, c’est leur droit. De l’autre côté, force est de constater que même si le niveau de nos rappeurs n’est pas toujours transcendant, certains Youtubeurs ne parviennent même pas à feindre l’effort d’essayer d’être bon ou d’avoir un niveau acceptable.

Ici, la volonté n’est pas de se placer en tant que gardien du temple en distribuant des autorisations de rapper ou non car le débat n’est pas forcément sur la légitimité mais c’est plutôt une remise en question sur le résultat final.
La frontière entre musique et divertissement est assez fine et a priori peu d’argument justifie davantage la présence de Lorenzo par rapport à celle d’un Seb La Frite dans la sphère musicale. Des rappeurs finissent sur Youtube et des anciens Youtubeurs parviennent tout de même à offrir de la musique intéressante. On peut notamment citer Joji (ex-Filthy Frank) qui s’en sort très bien musicalement après avoir été plutôt chaotique sur Youtube. Au final, on remarque aussi que les éternels débats sur la fameuse « street crédibilité » (qui donnait le droit de poser) ont fini par disparaître peu à peu mais les voix qu’on entend le plus sur le sujet sont d’ailleurs rarement les concernés. En y réfléchissant, c’est même assez paradoxal de reprocher à ces créateurs de contenus de vouloir faire encore plus d’argent via ce médium alors que tout le monde répète depuis plus de dix ans que « tout le monde a le droit de rapper ». Leur arrivée n’est qu’une conséquence de ces dires.

Et si c’était un peu de notre faute ?

Et si la réponse était plus compliquée que de remettre uniquement la faute sur le public. On connaît l’économie des médias rap où l’argent coule à flot et où la rigueur ainsi que la déontologie journalistique est de mise. On sait tous qu’un un tweet sur un album de Mister V ou sur La Cerise sur le Ghetto de la Mafia K’1 Fry n’aura pas le même impact. En tant que média, on a tous une responsabilité sur les artistes que l’on relaie et sur les conséquences qui en découlent ; et certains semblent l’oublier. Par exemple, quand Le Règlement (disons les termes) va relayer des artistes explicitement de droite voire d’autres avec des propos problématiques notamment en ce qui concerne les minorités ou les violences policières, y’a clairement soucis. Entre ceux qui s’interrogent s’ils doivent partager des rappeurs en inadéquation avec leurs valeurs et ceux qui offrent des tribunes à des rappeurs nuls et ouvertement racistes sans vraiment les contredire (tout en invoquant a posteriori le pseudo argument de la liberté d’expression), il va falloir se poser des vraies questions. De véritables interrogations sur notre rôle mais aussi sur notre pertinence et sur la conséquence de nos choix en tant que média.

Par rapport aux youtubeurs qui se lancent dans le rap, c’est d’ailleurs compliqué de s’indigner face aux comportements de certains mange-morts sans pour autant leur donner une exposition supplémentaire. Et même si certains de nos rappeurs collaborent avec eux, on finit tout de même par leur donner une attention qui n’est pas forcément nécessaire.

Avant qu’on devienne à la mode, t’écoutais Tokio Hotel.

Isha – Durag

En 2021, c’est facile de faire du rap. Du coup, c’est logique que tout le monde finisse par en faire. Maintenant qu’est-ce qu’on fait ? On se contente de se réjouir car certaines personnes s’épanouissent avec de la musique ou on continue de les vanner à chaque fois qu’ils utiliseront nos codes ? Malgré des exceptions, la plupart d’entre eux reproduisent soit ce qui se fait déjà dans le rap soit se contentent de faire moins bien. Quand on prend l’exemple d’un Seb La Frite, Prime ou d’un Mister V, leur musique, en soi, est correcte mais ils ne proposent qu’une copie de codes existants. Cependant, puisqu’on attend pas d’eux qu’ils renouvellent le genre ou qu’ils soient meilleurs que des artistes confirmés, on peut se demander si c’est réellement pertinent de voir des Youtubeurs singer des tendances, aussi gentils soient-ils dans la vie réelle.

En essayant d’être plus positif ou naïf, on peut potentiellement supposer (ou plutôt espérer) qu’il y ait un certain effet de ruissellement quand on voit des collaborations avec des rappeurs comme Némir ou Rowjay, par exemple. Quelques oreilles curieuses peuvent potentiellement aller jusqu’à découvrir des nouveaux artistes et ainsi finir par les enrichir eux aussi. De plus, si écouter de la musique de Youtubeur vous rend heureux, que grand bien vous fasse. D’autant plus que dans la plupart des cas, ils le font de leur côté et uniquement pour « leur communauté ». Enfin, j’ai écrit beaucoup de mots alors qu’il aurait suffit de repartager cet enchaînement magnifique de tweets :