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Interview de Jidma

Interview de Jidma

A l’occasion de la sortie de son projet Mr. Fuego, le jeune rappeur de Carcassonne Jidma, accompagné par son Manager, nous a accordé une interview. On y parle de son rapport à la culture Hip-Hop, de ses larges influences et de la manière dont il a conçu un projet différent de ce qu’il a fait auparavant.

CUL7URE : On te reçoit pour la sortie de ton nouveau projet Mister Fuego, t’as rien sorti depuis cinq ans, ça fait quoi de ressortir un projet ? 

Jidma : Ça fait du bien! J’ai mis beaucoup de temps à le travailler car je voulais vraiment faire évoluer ma musique : Arriver au niveau que je voulais atteindre, c’est surtout ça qui m’a pris beaucoup de temps. 

7C : Entre Carcazoo et Mr.Fuego, il y a une grosse évolution voire révolution, les projets n’ont rien à voir donc comment t’as opéré pour ce changement de musicalité? 

J : Au départ, je devais partir sur une suite de Carcazoo, genre une suite logique. J’ai enregistré pratiquement 40 morceaux et à la fin, c’est pas que je les aimais pas mais… J’ai préféré tout jeter et recommencer. J’ai fait une Némir *rires*. J’ai tout jeté, j’me suis remis au boulot et ça a donné ce projet; que j’ai bossé en un an et demi ou deux ans. 

7C : Musicalement, ça change pas mal mais paradoxalement sur Carcazoo, c’était très lumineux et ici, le projet est plus sombre, parfois même triste. C’est Paris qui a obscurci ta musique ? 

J : Au moment où j’ai fait Carcazoo, j’étais dans mon quartier, je faisais quelques conneries et je voulais faire tout le contraire de ce que je vivais. Je voulais ramener un peu de lumière et du coup j’ai fait ce projet. Une fois à Paris, tout ce bagage, ma vie, mes origines marocaines, etc… C’est remonté d’un coup et j’me le suis mangé, quoi. 

7C : Ça se ressent d’ailleurs, notamment sur le morceau “Chill, Sex and Sun” sur Carcazoo que j’arrive à mettre en lien avec “Périmètre” sur Mr. Fuego. Dans les deux titres, tu parles de ton environnement, à Carcassonne, c’était plus “chill” musicalement et sur Périmètre, y’a quelque chose de très pesant. 

J : J’aurais pas vu le lien comme ça, mais peut-être inconsciemment. Je trouve que Périmètre est plus street, vraiment sombre par rapport à CSS, où la prod amène ce côté chill alors que sur Périmètre, il y est pas; même textuellement. 

7C : Justement, les deux morceaux sont musicalement très différents mais thématiquement ils se ressemblent (ton environnement, ce que tu vis, etc…). En quelque sorte, Périmètre est représentatif de l’assombrissement de ta musique…

J : Ah ouais, je vois ce que tu veux dire, c’est le pont entre l’un et l’autre. 

7C : On est d’accord là-dessus, y’a pas mal de tristesse et un sentiment de solitude qui ressort sur le projet mais toujours sur des mélodies douces et rythmées. Comment tu penses ton écriture sur ce type de prod sachant que ça dénote (positivement)

J : Si t’as écouté Carcazoo, j’étais déjà un peu assez sombre et triste. J’ai toujours été comme ça, du sombre sur du sombre, ça m’inspire pas. J’aime bien ramener quelque chose de sombre sur quelque chose de plus lumineux. T’es là, tu t’ambiances mais le morceau n’est pas vraiment ambiançant sur le fond, du coup tu sais pas quoi faire *rires* 

7C : On sent quand même dans ton écriture aussi que t’es quelqu’un de réservé. Mais on a aussi l’impression que rien ne te fait peur, c’est quoi la limite de ce que tu t’autorises à dire, à raconter en chanson? 

J : J’irai pas jusqu’à dire que j’ai peur de rien, j’ai peur de Dieu, quand même. En fait, au moment où j’enregistre, j’suis seul du coup, j’ai pas de barrière, de limites, de réserve que je peux avoir avec les gens. 

7C : T’en dis donc plus dans tes textes..

Manager de Jidma : Moi, qui le connais, l’humour, c’est son échappatoire. Des fois, il peut être super sérieux et des fois..

J : J’suis un sacré personnage. 

7C : Y’a une phase assez sympa dans le projet et qui le montre justement, tu dis “Fuck la mère à Travis, à Quavo”. C’est un rejet du rap US ou c’était juste de l’égotrip ?

J : C’est de l’egotrip mais aussi toute la jeunesse dans le rap Français, quand je les entends, j’entends Travis ou j’entends Migos. Pour moi, c’est même plus de l’inspiration ou de l’influence à ce niveau là, c’est du plagiat. C’est plus pour ça que je le dis. Moi, j’ai pas besoin de ces exemples là, je sors des références comme Véronique Sanson, j’suis vraiment décalé par rapport aux autres. 

7C : Mais tu les écoutes quand même ?

J : Après, bien sûr j’en écoute, ça reste de l’egotrip, c’est pas méchant, c’est juste un petit tacle comme ça. 

7C : Pour revenir sur l’écriture, tu t’es amélioré. Carcazoo était cool ; parfois il sonne un peu moins “mature” avec du recul. En exagérant, à part avec l’accent, on a presque l’impression d’entendre deux artistes différents. Tu le perçois comment ?

J : J’ai pris le temps de digérer tout ce qui s’est passé dans ma vie, je me suis marié, j’ai quitté ma ville, j’ai eu des problèmes de justice… Quand je me prends un truc direct, j’arrive pas à le digérer sur le moment. Tout ce que j’ai vécu auparavant, c’est ressorti naturellement, et c’est ce qui s’est passé avec cet album. Contrairement à Carcazoo où c’était mon premier projet d’un petit jeune de quartier, c’était vraiment ma première expérience alors que là, c’est… Ma première carte de visite et j’en suis vraiment fier.

7C : Tu regrettes Carcazoo ?

J : Je le regrette pas car ça m’a amené jusqu’ici mais avec du recul, je le réécoute plus. 

7C : On sent aussi que t’es plus libre sur le projet , tu pars plus dans le chant, tu te lâches vraiment…

J : Et c’est la première fois, c’est ma première expérience dans ce délire.

7C : Pour finir avec Carcazoo, ça nous a fait un peu penser aux mecs de l’Entourage..

J : Je comprends, en vrai, j’ai écouté mais j’ai surtout survolé à cette époque. En fait, moi, c’était plus mon rythme de vie qui était chill. En étant un mec de quartier, je m’habillais vachement avec des codes différents, je m’habillais en Carhartt, en délire comme ça, j’suis pas du tout dans le délire survets, au départ. Dans la musique, c’est pareil, j’aime beaucoup la musique chill,  je suis grave détaché, ça revenait trop redondant à mes oreilles. J’ai changé un peu, ça a fait partie de ma vie, ça le fait plus. Même ici, à Paris, c’est dur de chiller. Paris-plage, les gars je les connais pas. On va pas chiller à Paris-Plage.

7C : Globalement, du coup, c’est quoi tes influences, ce qui a fait ta culture rap, etc…

J : Ce qui m’a donné envie de rapper, c’est l’album de la FF : Marginale Musique. C’est pas le meilleur mais j’me le suis pris à 13 ans. Juste après, Y’a eu Entre Ciment et Belle Étoile de Keny Arkana, j’me l’suis pris aussi. Après, j’ai écouté du Fabe, du Oxmo, Lunatic du coup j’ai baigné dans le rap assez tôt. Après si on doit parler aujourd’hui de ce que j’écoute aujourd’hui, j’écoute du Maes, du 13 Block, du Hamza. J’écoute beaucoup de Français en ce moment, du Chaâbi marocain, de la variété, y’a pas longtemps, je réécoutais même l’album de Renan Luce, pour te dire à quel point j’ai vraiment aucune barrière. J’aime la musique tant que ça a de la musicalité et que ça sonne à mes oreilles : Roulons. 

7C : Tu le dis d’ailleurs dans Cha-Cha-Cha..

J : Ouais, ça fait plus de dix ans que je fais du rap, j’ai commencé à l’âge de 13 ans, c’était pas trop sérieux mais moi, c’est à partir de Carcazoo, que j’ai commencé le rap, que ça devenait carré. Avec du recul même si ça sonne plus trop à mes oreilles, c’était mon premier projet sérieux. 

7C : T’avais même Eazy Dew sur le projet.

J : Ouais, il est encore sur ce projet avec le titre Beyoncé et il sera même sur le prochain projet.

7C : Ça marche bien, ça fonctionne même super bien. Ce morceau, il rentre très vite en tête, quand tu l’écoutes en voiture, t’es à deux doigts de te prendre un platane. Mais pour revenir sur Cha-Cha-Cha, tu chantes même plus que tu ne rappes, ça s’est passé comment pour le faire ?

J : Moi, je vais d’abord te poser une question, est-ce que t’as déjà entendu un son comme ça dans le rap Français, fait et posé de cette manière juste avec du piano-voix sans basses, sans caisses, ni rien ? 

7C : Dans cette vibe, je crois pas. Pas à ma connaissance.

J : Y’en a peut-être dans la variété mais pour moi, mais dans le rap, y’en a pas et c’était une volonté de ma part de sortir un peu des sentiers battus. Je voulais ramener quelque chose et que personne n’avait jamais ramené. Tu peux perdre le public et te casser la gueule, tu sais pas si le morceau va être bon.

M : C’était un morceau vachement improvisé en plus. 

J : Si tu veux que je t’explique, en gros, j’avais une maquette avec Cha-Cha-Cha et le morceau, c’était vraiment du Cha-Cha-Cha. Je fais écouter ça à Sébastien au studio. Je lui fais écouter, je tourne la tête, je vois qu’il est déjà en cabine sur le piano, je le pose en one shot et il se fait comme ça. On a pas pu récupérer les pistes du coup, j’ai du reposer mais ça a été direct. 

7C : D’ailleurs, Sebastien Damiani est présent sur tout le projet, qu’est-ce qui vous a poussé à travailler ensemble? 

J : Elle s’est faite par Abdel, mon producteur et le gérant de Trabendo Music, qui est là. Il me l’a fait rencontrer, c’est un mec qui est super cool. Il sort du classique, Son premier pas dans le rap, il me semble que c’est sur l’album d’IAM. En tout cas, je l’ai découvert sur ça. 

M : Arts Martiens et Je suis en vie d’AKH, exact. Je partais au Maroc, je déballais les CD, j’écoute et j’me suis dit “Comment des mecs de 50 piges peuvent encore faire du rap aujourd’hui et que ça sonne aussi bien?”. J’ai découvert des putains de prods, les placements de voix, etc… Quand t’écoutes la composition, j’ai compris en fait qu’elle a été taillée, confectionnée spécialement pour eux. C’est ce qu’on voulait, un truc de costumier, quoi. 

J : Du sur-mesure. 

M : Du coup, j’ai vu ça et j’me suis dit “s’il fait ça pour IAM, je vais lui demander des prods”. et ma connexion s’est faite avec Jidma parallèlement. Quand on rentre au studio, je lui dis pas de qui, je lui dis juste “J’ai des gars qui m’ont filé des prods”. En fait, c’était Faf Larage  qui faisait des beats et Sébastien qui composait. Y’a pas de samples, la composition, les partitions, c’est tout lui qui a fait. Après, on les a mis en contact, on a fait trois morceaux, on a choisi et le reste, c’est Jidma, Faf et Seb qui les ont confectionné. 

J : C‘est moi qui ai donné la direction de l’album. Je leur ai donné à peu près mes goûts et où je voulais aller et en fonction de ça, ils se sont adaptés. 

7C : Ce trio se ressent bien et ça apporte une vraie couleur au projet mais même Eazy Dew, qui est sur Beyoncé. Y’en a d’autres des producteurs ? 

J : Y’a Le Cartel et y’a Lucci (Prod)

M : Le Cartel, on les connaît pas, c’est des mecs masqués, on sait pas qui ils sont mais ils m’ont abordé “On a des prods et on aime bien ton gars”, je te jure, ça m’a fait flipper. Ils m’ont même offert des prods et là je suis en train de voir et ils sont en train de placer pour pleins d’artistes même si on sait pas qui ils sont, c’est incroyable. 

7C : Ils le font pour la musique.

J : L’album était bouclé déjà en plus quand j’ai fait ce son (Super NES feat Lacraps, ndlr) . C’est arrivé comme un OVNI, je sais pas si t’as remarqué mais ce son a une qualité encore meilleure que les autres. Il arrive à la fin et aurait pu faire partie de la suite. 

7C : Lacraps, c’est arrivé parce que tu voulais qu’il soit sur le projet ou c’est arrivé par hasard ?

M : On bosse avec depuis quelques temps avec lui en booking. On lui a fait écouter Jidma et il a kiffé. On l’a rajouté deux semaines avant la sortie. 

7C : Ouais, le morceau est vraiment cool, la connexion avec Lacraps est super naturelle, il pourrait presque y avoir des passes-passes, ça se ferait super bien. Justement, on a interviewé Lacraps la semaine dernière et on avait abordé le fait d’être rappeur et auditeur fan de rap. On l’a évoqué un peu avant mais toi c’est quoi ton premier rapport avec le rap? 

J : Tous les matins, en me déposant à l’école élémentaire, ma tante, elle mettait du Supreme NTM dans la voiture à fond. J’pense que c’est la première fois où j’ai été confronté au rap. Après, j’ai pas écouté que ça, j’ai écouté les trucs que je t’ai dit toute à l’heure et la liste elle est super longue, ça peut aller de la Cliqua, Expression direkt, la Mafia K’1 Fry, je me suis bouffé tout le rap, en fait. Y’a encore des trucs comme Ménage à Trois, Carré Rouge que j’ai dû rater mais j’suis vraiment un amateur de rap avant d’être un rappeur, je suis vraiment un kiffeur de rap. 

7C : Sur ton twitter, on a vu que j’achetais des CD (Nekfeu, Dosseh, SCH, etc…) et c’est même cool que tu le montres, ton côté passionné. ça se fait pas trop…

J : En France, y’a ce côté, j’ai trop d’ego, je donne pas de force ou le blase de celui que j’écoute. Il est où l’esprit Hip-hop ? 

7C : Tu le regrettes ? 

J : Ouais enfin surtout “l’esprit partage”. On me l’a inculqué au quartier et ça a toujours été comme ça, je sais pas comment on en est arrivé là. C’est une mentalité bien Française mais je comprends pas. Les américains, ils ont aucun problème avec ça, ils peuvent s’embrouiller avec un mec et le lendemain le ramener à leur concert. Y’a du business mais… Vu que tout est business, c’est différent d’ici. Ça me gène mais bon, je suis pas le messie, je vais pas changer ou révolutionner le rap Français. 

7C : Je te demande ça sur l’esprit hip-hop car dans le titre Mr. Fuego, tu dis “Les années 90 me manquent tellement”, ça fait partie des choses qui ont pu te manquer ? 

J : Ouais, à cette époque, tu te posais pas de question, tu jouais au Pog, t’avais cette innocence que t’as plus maintenant. Aujourd’hui, t’as des responsabilités, faut travailler, c’est la vie, quoi. Les choses que tu faisais pas quand t’étais gamin. Toutes les heures que tu passais éveillé quand t’étais gamin, tu les passais à t’amuser. Ça me manque.

7C : Y’a un autre morceau qui ressort vraiment du projet, c’est le titre Comme t’as pas idée, vachement lumineux, c’était une volonté d’avoir un morceau un peu “hit de l’été” vers la fin du projet ou c’était plus la prod qui t’as amené à faire ça ?

J : Bah ce morceau encore une fois, c’est que j’achète beaucoup de CD, j’étais à la FNAC et je suis tombé sur l’album de Paradis (groupe de pop/ électro français, ndlr). L’album c’est Recto Verso, et franchement j’avais déjà écouté un ou deux titres, c’est pas mon style mais la musicalité du groupe ça m’a tué. J’ai acheté l’album, je suis avec Saknes dans la voiture en train de baroder sur Paname et là y’a le titre Instantané qui passait. La prod m’a mis une claque et je me suis dit en vrai c’est ça tu vois, faudrait que je fasse un son comme ça. Comme je t’ai dit, la musique dès que ça me parle, ça se fait naturellement. Je suis allé voir Sébastien Damiani et Faf Larage en leur faisant écouter le morceau. Je voulais pas reproduire le morceau mais plutôt que ça serve d’idée de base, un style un peu pop-funk et j’trouve que l’essai est concluant du coup. 

7C : Tu places beaucoup d’arabe dans tes couplets, c’est juste parce que tu le parles que t’en profites ou c’est parce que tu as grandis là-bas et que tu tiens à ce que ça soit présent ?

J : En fait, je suis arrivé en France à l’âge de cinq ans. À trois mois, ma mère m’a envoyé au Maroc car elle ne pouvait pas me garder. Du coup, j’ai été chez mes grands-parents. Quand je suis revenu en France, je savais pas parler un mot de Français. J’ai dû apprendre tard et rattraper ce que j’avais perdu. Ce truc, je l’ai en moi tu vois, j’y réfléchissais même pas. Il a fallu que je rejoigne l’équipe Trabendo avec que des marocains d’ailleurs, pour que ça revienne. Je me suis dis que depuis le début, c’était logique d’utiliser ces deux langues. Puis en France, la langue arabe elle est utilisée que pour des sons un peu zumba alors j’ai voulu l’utiliser sur du Rap. Avant même que le Rap Marocain arrive, je travaillais déjà dessus. C’est arrivé naturellement et ça s’est fait d’un coup. Sans parler de nationalisme ou quoi, j’en suis fier quand même. 

7C : Puis ça fait partie de toi surtout..

J : Ouais carrément, ça fait plaisir à ma mère et puis c’est cool d’utiliser cette richesse que j’ai depuis ma naissance. J’aurais peut-être dû le faire avant mais j’avais pas le recul nécessaire. 

M : Puis tu vois le groupe Shayfeen ? On a croisé leur manager tu vois, il a écouté ce que fait Jidma et il nous a dit que c’était la première fois qu’il entendant un rappeur français rapper aussi bien en arabe sans accent, sans rien. C’est fluide tu vois. A l’inverse, t’as des rappeurs marocains quand ils passent sur du français, c’est pas ouf. 

7C : On va continuer à parler du Maroc, avec le morceau Rouina en feat avec Saknes, vous parlez justement de cette appartenance à deux pays..

J : Justement, c’est plus Saknes qui revendique ça, moi je parle plus de la période où je reviens du Maroc, de la solitude aussi ; j’étais vraiment perdu. Je sais pas si t’as déjà coupé les moustaches d’un chat, fais-le, tu verras, il va se perdre, il saura plus se repérer. C’était pareil pour moi, je suis arrivé en France j’étais perdu, ça m’a vraiment marqué. Puis, j’ai mis beaucoup de temps à digérer ça. Du coup, j’en ai parlé. Lui, il parle plus du sentiment de se sentir exclu là-bas comme ici. Quand tu vas là-bas, t’as des mecs qui te disent que t’es un Français. Après, c’est le ressenti de tous les fils d’immigrés. Après tu me laisse plus de 3 mois au Maroc, je deviens fou, il faut aussi que je revienne en France. 

7C : T’y vas souvent ?

J : Là, c’est compliqué ; je suis interdit de quitter le territoire mais en vrai ouais. Je sais aussi que c’est ici ma base, ma famille, mes amis. Contrairement à nos parents qui pouvaient repartir, nous on peut pas. Ici, notre culture, elle est mélangée, on vit avec tout le monde et on a une culture différente de ce qu’elle peut être au Maroc. Le vécu d’un fils d’immigré quoi.

7C : C’est intéressant tout ça, fais-en un long solo.

J : Sûrement ouais, mais après Saknes il parle aussi beaucoup de cette situation, tu devrais écouter.

7C : Ce sera avec plaisir. Maintenant, parlons des visuels. Déjà, tu peux nous en dire plus sur cette pochette et cette imagerie mexicaine du coup ?

J : C’est le titre qui a donnée l’idée, puis j’ai grandi au Maroc, y’avait beaucoup de séries mexicaines à la télé, on a baigné dedans. Je suis un Maroxicain en vrai. 

7C : Justement pourquoi pas plus de rapports visuels au Maroc ?

J : J’en parle déjà beaucoup dans le projet tu vois, je trouve que ça sert à rien de trop en faire. Je pense que ça se ressent déjà, tu vois. Après ça fait trop nationaliste.

M : Puis c’est aussi avec l’équipe avec laquelle on bosse, en écoutant le projet c’est devenu naturel. Je pense qu’hispaniser le projet, c’était une bonne idée. Même dans le Rap tout le monde parle de plus en plus du Mexique, ça représente les cartels, plein de choses tu vois. Nous, on veut aller plus loin et lier ça à l’artistique. On s’est justement entouré de Bilel, le mec qui a bossé avec PNL pour le live, un dessinateur talentueux tu vois. 

7C : Même les versions physiques elles sont super bien travaillées. 

J : On prépare d’ailleurs des packs en édition limitéee avec des accessoires dedans qui tourne autour du délire Mexicain. Ça va arriver tu verras, c’est vraiment cool ce qu’on a fait, je trouve. 

7C : Pour revenir à la pochette, ça fait un rappel avec celle de Caracazoo aussi non ?

J : Sans faire exprès oui. Tu vois, j’ai du mal avec les photos mais finalement ouais y’a un lien. Mais de base ça devait pas être ça, ça devait être bien plus sombre mais on l’a pas gardé car c’est un projet assez lumineux quand même. 

7C : Ok, et justement au niveau des clips aussi, y’en a trois de sortis (au moment de l’interview), c’est plus ou moins les sons les plus doux du projet, c’est un hasard ou tu l’as voulu ?

J : C’est vraiment un hasard. Tu vois les prochains, ce sera sûrement Super NES et Rio je pense. 

M : D’ailleurs Cha-cha-cha, c’est Sébastien Damiani qui a un peu poussé la demande, donc on lui a laissé de la place. Sur ce clip, il a vraiment magnifié le son. Il a écrit un scénario, amené un réalisateur et il a poussé pour le faire tu vois. On a ramené nos idées, le bâtiment du clip aussi c’est là où on a passé notre jeunesse, on a ramené le piano. C’était vraiment cool. 

J : Y’a aussi une histoire, c’est la réalité du monde dans lequel je vivais et il représente aussi ce que j’aurai pu devenir en y restant. C’est une autre version de ma vie tu vois. 

M : C’est aussi un contre-pied avec tous les clips qu’on voit, on raconte la vraie histoire sans glorifier quoique ce soit. Celle où t’es embrigadé dans des vices, dans le mal, justement incarné par Sébastien Damiani. Il a un air un peu diabolique avec des animaux très significatifs .Du coup Jidma il circule dans le quartier sans vie à la fin tu vois. Le quartier est mort et Jidma va bientôt y passer aussi dans le clip.

J : C’est vraiment le meilleur clip que j’ai pu faire.

M : Puis on a aussi tout puisé dans le quartier, y’a des mamans qu’ont ramené du maquillage pour Damiani, un mec avec sa Mercedes on lui a dit de venir sur le clip aussi. Non c’était vraiment cool. 

J : Puis y’a même une scène forte que j’ai aimé c’est le dessin d’un mec à la craie avec les enfants qui font du vélo autour tu vois..

7C : C’est vraiment un beau clip. Et justement en parlant de l’équipe, tu parles beaucoup de Trabendo Music, tu peux nous en dire plus à propos de le label ? 

J : Bah en fait à la base j’ai rencontré Saknes dans ma ville, il accompagnait le groupe ZEP ; il était régisseur je crois. J’avais freestylé devant lui mais tu vois j’avais 13 ans j’étais pas vraiment bon, mais il m’a quand même dit de pas lâcher et on est restés un peu en contact sur les réseaux. Puis, d’un coup plus rien pendant longtemps jusqu’au jour où j’étais invité à une radio et il était là aussi. On parlait de plus en plus et il habitait à côté. Du coup, on traînait toujours ensemble pendant deux ans. Et du coup ça s’est fait comme ça, je me suis retrouvé dans la famille Trabendo Music par le biais de Saknes.

M : Mais nous on était pas prêt du tout en vrai, tout a été créé autour de Jidma justement. 

J : Ouais mais quand même, c’était déjà une famille, j’ai été adopté et après vous m’avez produit. Donc avant la musique c’est vraiment l’humain qui a parlé. Donc ouais, j’accorde réellement une grande importance au label. Je pourrais citer tout le monde mais c’est vraiment l’entité Trabendo Music. 

7C : Bien sûr, ça se sent. Tu parles aussi beaucoup de la rue et du quartier dans ta musique, donc évidemment ça a dû avoir une influence sur toi. Mais surtout, ça fait maintenant 5 ans que tu ne vis plus dans ton quartier d’origine, comment ça se fait que ça remonte comme ça maintenant ? Bien plus que sur Carcazoo à l’époque.

J : Sans me vanter, il y a eu une période où j’allais arrêter le Rap, j’étais dans des histoires assez sombres tu vois, j’ai fait beaucoup de conneries. Des choses que j’étais pas prêt à dire plus jeune ou à ce que ma mère tombe dessus. Que ma petite soeur fasse écouter à ma mère, non, je pouvais pas. Je voulais pas les décevoir mais maintenant j’ai le recul nécessaire, je suis marié, j’ai un travail. Je raconte juste le vécu et le bagage que j’ai eu à un moment.

7C : Comme t’es plus dedans t’arrives mieux à en parler parce que tu racontes du coup..

J : Ouais c’est ça, je le glorifie pas. A aucun moment je le glorifie. Je reviens dessus pour raconter ce qu’il s’est passé pour moi. Je veux pas faire la morale à celui qui m’écoute, je suis pas son père ; mais voilà pourquoi ça a une aussi grosse place dans ma vie. J’ai été amené à passer au tribunal tellement de fois tu vois, le juge c’était mon oncle à force. On a fait beaucoup de conneries mais Dieu merci, on est mieux. 

7C : Dernière question, c’est quoi la suite pour toi maintenant ? Tu poursuis le délire autour de ce projet ou tu veux tenter autre chose ? 

J : Pour commencer, on va essayer de pousser cet album le plus loin possible. Ce serait dommage de l’évincer aussi rapidement. Mais oui je suis déjà sur la suite, j’écris. On verra si ces nouveaux textes serviront ou pas. Mais on verra, on pense déjà à la scène aussi.

7C : Tu en as déjà fait ? 

J : J’en ai fait trois jusqu’ici, j’ai fait l’institut du Monde Arabe pour la Carte Blanche de Demi Portion, j’ai fais Biff Maker Party, la fête de la Musique. En vrai on va continuer, sur la fin d’année on va penser une grosse date.

7C : Parfait, de belles choses à venir alors, un dernier mot ? 

J : Merci à vous CUL7URE d’avoir pris le temps de venir m’interviewer, ça me fait plaisir que l’album vous ait plu, enfin j’espère qu’il vous a plu..

7C : On serait pas là sinon.. *rires*

J : Voilà, c’est ce que je me dis, respect et force à vous et à votre travail !