Tupac : des planches au grand écran
2022 est l’année du vingtième anniversaire d’un hood-movie, classique du genre, nommé Juice. Assez célèbre pour avoir marqué toute une génération, à l’instar de Menace II Society ou encore Les Princes de la ville, il l’est avant tout pour la prestation assez époustouflante de l’un des personnages principaux, Bishop, interprété par un rappeur encore plus stupéfiant : Tupac Amaru Shakur. Considéré comme l’un des plus grands rappeurs de tous les temps, devenu un véritable mythe ; pour sa discographie, sa philosophie ou encore sa part d’ombre, le fondateur de la mouvance T.H.U.G Life avait une corde à son arc qui suscitait légèrement moins d’intérêt aux yeux de tous mais toute aussi importante aux siens : la dramaturgie. Cette chronique est donc l’occasion rêvée de célébrer l’amour que le rappeur avait pour cet art en revenant sur sa rencontre avec le théâtre ainsi que ses rôles majeurs au cinéma.
Une appétence juvénile pour l’Art de la scène
1983, Harlem. Le jeune Tupac a 12 ans et décide d’intégrer un groupe de théâtre : le 127th Street Repertory Ensemble. Il y découvre les sensations de jeu sur les planches avec la pièce Un raisin au soleil de Lorraine Hansberry en y incarnant Travis Younger, le jeune fils d’une famille pauvre de Chicago au sein de laquelle un chèque d’assurance-vie de 10 000 dollars va amener de nombreux dilemmes moraux. Cette pièce est devenue majeure puisqu’elle fut la première œuvre d’une auteure noire produite à Broadway, montrant une représentation plus juste et actuelle des Afro-américains à la société américaine des années 60. Pour l’anecdote, cette véritable pièce-maîtresse du tournant de la culture afro-américaine est notamment l’œuvre favorite de nombreuses célébrités comme Denzel Washington, Spike Lee voire même du couple Obama.
Suite à ça, trois années s’écoulent et la famille Shakur s’installe à Baltimore. Fort de sa première expérience au théâtre, Pac rejoint les bancs de la Baltimore School for the Arts pour y étudier la poésie, la musique ainsi que le théâtre en jouant notamment des pièces de Shakespeare. La danse est également enseignée et lui permettra de jouer le Roi des Souris du fameux ballet Casse-Noisette. Cette éducation assez diversifiée lui permet de découvrir différents pans de l’art et c’est durant cette formation qu’il va se lier d’amitié avec Jada Pinkett, développer son amour pour l’écriture et commencer à rédiger ses premiers poèmes que l’on peut retrouver dans le recueil The Rose That Grew From Concrete. Il va également s’intéresser à la musique d’un peu plus près en participant à des battles de rap, accompagné par un beatboxer : son ami Dana Smith aka Mouse Man. À noter que la future star planétaire est considérée comme le meilleur rappeur de son lycée et est très populaire grâce à ses talents de rap mais également pour son humour. Inutile de préciser qu’il était déjà un grand orateur et qu’il marqua de nombreux professeurs au cours de ses différents déménagements de Baltimore à Marin City en terminant évidemment par Oakland en Californie. Il y rencontra Leila Steinberg, sa professeure de poésie et sa future manager (il débutait alors avec le groupe Strictly Dope) qui lui présenta Atron Gregory, manager de son futur groupe Digital Underground qui avait déjà une certaine renommée. C’est à ce moment que le cordon ombilical entre Tupac, alors âgé de 17 ans, et l’école est coupé.
Je sens que j’ai toujours été un acteur et jouer a été mon premier amour. Je voulais être acteur, mais à cause de la pauvreté et de circonstances qui m’ont stoppées, j’ai été pauvre, SDF, etc… Je n’ai jamais eu la chance d’étudier tranquillement avec de bons professeurs et d’apprendre mon métier.
– Interview sur le plateaude Gridlock’d
Don Makaveli, l’élévation de ce véritable prince du 7ème Art
C’est conjointement que 2pac va faire ses premiers pas dans la musique et sur grand écran. Quelques mois après son arrivée au sein du groupe Digital Underground, il a en effet eu l’opportunité, avec le reste de son crew, d’apparaître dans un film ainsi que dans la bande originale, via le morceau Same Song. C’est donc dans la comédie Nothing But Trouble, avec Demi Moore, qu’il arrive au cinéma en jouant son propre rôle même s’il n’est pas encore identifié individuellement à l’époque.
Deux années plus tard, il rencontre son public avec la sortie du film Juice d’Ernest Dickerson, qui s’est régulièrement occupé de la photographie des œuvres de Spike Lee. Une rencontre fortuite puisqu’il accompagnait simplement l’un de ses amis à l’audition mais a séduit le réalisateur et la directrice de casting. Dans Juice, le rappeur s’approprie le premier rôle, celui d’un psychotique nommé Bishop, et donne la réplique à Omar Epps dans la peau d’un talentueux DJ surnommé Q. Considérée comme sa meilleure prestation et souvent mentionnée lorsque l’on cite les rappeurs sur grand écran, il a réellement crevé ce dernier, portant le film sur ses épaules. Entre amitié, trahison et quête identitaire, ce film relate les destins croisés de deux jeunes de quartier ayant choisi des voies différentes, vertueuse pour Q qui veut s’extirper du ghetto à travers le Djing et vicieuse du côté de Bishop qui est prêt à tout pour se faire respecter. De plus, les aventures de Bishop et sa bande sont rythmées par Naughty by Nature, EPMD, Eric B. & Rakim, Cypress Hill ou encore Too $hort, soit une bande audio à la hauteur du visuel. Toutefois, ce long-métrage a eu un impact non-négligeable sur le traitement des rappeurs dans l’inconscient collectif du public de l’époque, perdurant certains stéréotypes dont la filiation rappeur-voyou.
Suite à cette première véritable expérience en tant que comédien, le rappeur s’essaie à l’exercice de la comédie romantique. Cette fois dirigé par John Singleton, le défunt réalisateur de Boyz N The Hood, il y interprète un facteur, Lucky, qui fait la rencontre de Justice, jouée par Janet Jackson. Les deux protagonistes veulent fuir une réalité trop pesante pour leurs épaules et rêvent d’ailleurs, de nouveaux horizons. Sur la route pour Oakland, ils vont être amenés à échanger leurs points de vue sur leurs démons et à la fin de ce “road-movie”, on comprend mieux le choix de leurs noms avec ce film qui interroge les concepts de justice et de chance dans notre société moderne Singleton réalise donc un portrait en diptyque d’une jeunesse désargentée, à travers un humour léger et des scènes plus virulentes. Malgré une performance en deça de Janet Jackson et des faiblesses scénaristiques de Singleton, Makaveli prouve qu’il est également bon dans ce registre en jouant de son charisme légendaire aux airs paradoxaux de Thug & Lover et en rajoutant des textures intéressantes dans ce film à l’intrigue relativement plate.
S’en sont suivis plusieurs long-métrages, Above the Rim et Bullet pour les citer. On ne peut que vous recommander chaudement le premier, qui se trouve au carrefour du sport drama et du hood movie. Il retrace l’histoire d’un jeune prodige du basket-ball en quête d’un modèle.
Deux directions vont s’offrir à lui : celle de Sherp, actuel vigil mais ancienne légende du basket ayant dû abandonner suite à une tragédie, et celle de Birdie, joué par 2Pac, dealer se complaisant dans la délinquance. Assez proche de ce qu’on a pu voir dans Juice, le rappeur y est bon sans être transcendant. A l’instar de ce dernier, la bande originale est du miel à écouter et nous remémore des classiques de Thug Life, Tha Dogg Pound ou encore Warren G. Au fur et à mesure de sa filmographie, il arrive à décrocher des rôles de plus en plus éloignés de sa personne et fait donc davantage appel à ses compétences de comédien. Étant un personnage public très engagé avec une forte personnalité et des revendications assez virulentes, il n’est pas évident pour les réalisateurs d’imaginer l’artiste dans autre chose que ce qu’il représente déjà à travers le monde.
Deux réalisateurs ont pourtant pris ce risque en le sortant de sa zone de confort et en lui donnant de vrais rôles de composition afin de puiser au maximum dans ses ressources. En 1997, quelques mois après les funestes événements de Flamingo Street, arrive Gridlock’d de Vondie Curtis-Hall. On y retrouve un Tupac diamétralement différent de ce qu’on a déjà pu voir. En quête de défi, il souhaitait se confronter à un vrai rôle de composition, très éloigné de sa personnalité. Il y joue Spoon, toujours collé à son acolyte Stretch, interprété par Tim Roth. Ces deux musiciens toxicomanes vivent complètement en marge de la société, froide et impassible. Ils décident de se rendre sur la route du salut et d’entamer une désintoxication suite au décès par overdose de leur meilleure amie. Entre comédie et drama, ce film est plutôt bien réussi et peut faire écho à La Haine dans son côté revendicatif même s’il est bien plus décalé que ce dernier. Le jeu d’acteur de Tupac y est très bon, il arrive à s’oublier et à faire passer Spoon devant Tupac avec brio.
Jim Kouf est le second réalisateur à lui proposer quelque chose de différent et va acter la dernière pierre de l’édifice cinématographique de Pac avec Gang Related, dont le tournage s’est terminé quelques jours avant la fusillade en drive-by. Œuvre intéressante quant au processus d’interprétation de Tupac qui doit jouer un policier corrompu. Il nous livre une large palette d’émotions à travers ce personnage qui, suite à un événement qui tourne mal, se remet totalement en question et entre dans un tourbillon de sentiments coupables, de paranoïa et de remords. Un personnage assez paradoxal, à son image, pour terminer cette collection de quelques films qui ont su marquer leur époque malgré l’amateurisme du regretté rappeur.
En seulement 5 ans, Tupac s’est constitué une belle filmographie assez diverse et variée. En commençant par des rôles classiques de rappeur à travers des hood movie ou des rôles assez proches, il arrive à démontrer ses talents d’acteur et à se diriger vers des projets plus surprenants, plus éloignés de ses qualités intrinsèques. Malheureusement, le Don Makaveli n’a pas pu développer ce pan de sa carrière comme il l’aurait souhaité plus jeune mais a tout de même laissé de belles marques dans l’industrie du septième art durant cette courte parenthèse en tant que comédien.
Pour finir ce volet cinématographique sur l’un des rappeurs les plus influents de l’Histoire du rap, qui de mieux que lui pour donner le mot final quant à sa vision de l’acting (et notamment les raisons pour lesquelles il se sentait légitime de s’impliquer dans le rôle donné par Jim Kouf) :