L’importance du Personnage
On m’a souvent dit dans ce métier: Protège-toi, cache-toi derrière un personnage ! Faut qu’il y ait une distance entre toi et le public…
Disiz – Prélude à la Rébellion des Cœurs.
C’est avec cette citation sympa que je vais donc introduire la notion de personnage. Quand je parle de « personnage », c’est essentiellement en référence à un aka, à une personne tierce derrière laquelle un artiste peut se mettre pour faire parler sa musique. La citation est d’ailleurs intéressante car on retrouve l’idée de « se cacher derrière un personnage ». À l’ancienne, c’était inutile voire risible d’avoir un « personnage ». C’était même plutôt honteux puisque ça supposait le fait de ne pas assumer ses écrits. Mais nous allons voir que c’est un peu plus compliqué que ça en a l’air.
En effet, les plus anciens diront que la seule chose dont un rappeur avait besoin, c’était de savoir rapper. Pendant longtemps, savoir aligner des bonnes rimes sur une bonne instru était nécessaire pour parvenir à bien fonctionner dans le monde du rap. Avec un « bon message” et un niveau acceptable, on pouvait facilement se faire une place sur la scène rapologique française. Cependant, on est au 21ème siècle, à l’heure où les technologies n’ont jamais été aussi présentes et où des rappeurs aux cheveux roses peuvent prétendre au titre de “Roi de New-York”. (Bien après Biggie, 50 Cent ou Jay Z)
Pour l’Industrie musicale, le fait que le statut de rappeur soit plus simple à acquérir a notamment permis de la relancer. D’ailleurs, le terme d’industrie n’est pas anodin. Le rap, à l’instar du rock ou de la pop au cours du 20e siècle, a aussi fini par devenir une industrie. Ça signifie que d’une part le rap a atteint toutes les sphères de la population puisqu’on le classe à la même échelle que d’autres genres musicaux. D’autre part, ça veut aussi dire que l’importance de la musique ne devient plus l’unique critère de sélection à partir du moment où on entre dans une industrie.
Le rap français et beaucoup de rappeurs français ont souffert d’une crise du disque majeur. Cependant, lorsque le streaming et Youtube sont revenus sur le devant de la scène, le second souffle du rap est réapparu, à tel point qu’on parle de Nouvel Age d’Or. Avec Youtube, les clips sont aussi mis de plus en avant, et les rappeurs sont de plus en plus à l’affiche sur les plateformes de streaming. Même sans connaître les noms ou les morceaux, l’auditeur peut déjà identifier qui est qui. De plus, avec Youtube, le fait que la musique soit autant exposée a fait que l’importance du clip vidéo est devenue au cœur de la musique. L’image était déjà assez importante avec l’arrivée de MTV cependant tout le monde n’avait pas la chaîne. Aujourd’hui, tout le monde dispose d’un appareil pour visionner le potentiel clip (téléphone, ordinateurs, etc..). L’avantage est que le rap a pu encore plus se propager grâce au clip vidéo.
Personnellement, en 2008 quand j’ai vu pour la première fois le clip de Stan (en version longue) sur Youtube, j’étais scotché. Je me souviens être resté bouche bée devant l’écran pendant plusieurs secondes face au film que je venais de voir. Du coup, l’idée de faire des clips et d’imager sa musique reste quelque chose d’ultra positif et peut marquer dix fois plus les esprits qu’avec un simple mp3.
Cependant, 10 ans plus tard, force est de constater que le nombre de nouveaux rappeurs a clairement décuplé. Aujourd’hui, le rap est même devenu la musique la plus écoutée de France, ce qui veut aussi dire que les artistes doivent apprendre à se démarquer. Et c’est là que le personnage apparaît. Le nombre d’artistes qui jouissent d’un aka ou qui jouent quelqu’un pour attirer l’attention ne se compte plus. C’est pas un nouveau phénomène en soi, Biggie (grâce à Puff Daddy) amplifiait son côté Pimp, Eminem avait son Slim Shady, etc… En soi, c’est un peu les premiers gros rappeurs à séparer leur personnages d’eux-mêmes. C’est d’ailleurs astucieux et c’est très utilisé dans le monde de la littérature pour « faire parler un personnage et lui faire dire ce que l’on veut » mais après ça empêche pas de se manger des procès » (s/o Flaubert.)
C’est clair que c’est beaucoup plus difficile de se démarquer aujourd’hui pour les artistes sans devenir gênant ou burlesque. Cependant, à trop utiliser un personnage, les artistes finissent souvent par tomber dans la case “clown triste”, comme Sinik avec Autodestruction, ou Eminem avec Beautiful, voire plus récemment à Soprano avec Clown, il en existe des centaines de morceaux du même genre car quand on choisit un personnage, c’est pour si longtemps.
Ce qui fait que parfois, les artistes sont clownesques car ils arrivent pas à attirer l’attention avec leur musique. Par exemple, 6ix9ine, lorsqu’il était plus jeune avait une apparence relativement « normale ». Si aujourd’hui, maintenant qu’il ressemble plus à un Bugs Bunny sous ecstasy, on peut supposer que c’est aussi dû à un manque d’attention (qu’aurait pu avoir sa musique) . Enfin bref, se comporter comme un attardé (ou une balance) n’est pas forcément l’unique solution mais en soi, on a pareil en France. Si on prend par exemple le cas de Lorenzo, même si c’est un horrible rappeur, il arrive à faire des gros scores de ventes en utilisant notamment une attitude faussement subversive et provocante.
On peut aussi faire un petit parallèle avec Vald. On sait que c’est un bon rappeur mais il s’est assez vite perdu dans son “personnage”. Quand il traînait avec DJ Weedim et la bande du Patapouf Gang, il a commencé à exacerber un côté loufoque et décalé qu’il avait pas au départ mais qui excite les foules. *Spider Zed’s voice* Et ça marche! Sauf qu’encore aujourd’hui, il est bloqué dans ce personnage et ça l’oblige à se forcer à rire en interview et à feindre une attitude plus folle que ce qu’il est mais puisque ça plaît et que ça lui rapporte des sous, c’est cool pour lui. Surtout que comme beaucoup de rappeurs, avoir un personnage permet de créer une différenciation entre l’artiste et eux-mêmes. On imagine un Gims redevenir lui-même quand il dépose ses lunettes de soleil tel un Clark Kent quand il rentre chez lui.
Pour conclure, le but dans le rap reste de marquer son époque, de « Laisser une Empreinte » et donc de ne pas se faire oublier. Que ce soit en se teignant les cheveux, en portant un horrible bob ou en postant des photos montages sur Insta, au final, l’essentiel c’est de marquer son temps. Beaucoup d’artistes ont été oubliés sans jouer de personnages donc au final, ça dépend bien des artistes.