Faire des featurings avec des rappeurs US, c’est toujours pertinent ?
On estime généralement que MC Solaar et Guru (de GangStarr) formèrent à l’époque l’une des premières collaborations entre rappeurs français et rappeurs américains. L’alliance des deux langues sous la bannière du hip-hop donnait corps à un merveilleux cocktail énergique et efficace. Ce premier morceau a notamment permis de renforcer l’idée que « l’esprit hip-hop » n’a pas de frontière. Le morceau a bien marché et par la suite, il y eut énormément de featurings du même type par la suite. Fuzati et MF Doom, NTM et Nas, Young Thug et Dosseh voire plus récemment Lil Wayne et Maître Gims.
Par le passé, nous avions déjà écrit un article où l’on évoquait nos collaborations préférées entre les rappeurs US et les rappeurs français. (lien ci-dessous). Cependant, cette fois, on va aussi tenter de savoir si ce genre de featurings est encore pertinent aujourd’hui.
C’est évident que beaucoup de rappeurs français ont grandi en écoutant ces rappeurs US et en écoutent toujours. Étant donné que le rap est né aux Etats-Unis, c’est assez logique que certains de nos rappeurs français aient pu commencer le rap grâce à eux. Qui peut chiffrer le nombre de rappeurs qui ont eu le poster de “Get Rich Or Die Tryin’” dans leur chambre d’enfant? Ou le nombre de rappeurs qui ont posé sur la Face B de Shook One’s?. De manière générale, vouloir collaborer avec eux et ainsi pouvoir les ramener sur leur projet (en lâchant souvent un gros billet), c’est souvent une chance, un rêve de gosse, voire une sorte de fantasme inavoué.
Au milieu des années 2000, on pouvait encore dire que le rap français avait « dix ans de retard » sur le rap américain. Avec les trois têtes d’affiches de l’époque (Booba, Rohff, La Fouine, ndlr), il y avait quasi constamment un regard par rapport à ce qui se faisait Outre-Atlantique. Malgré quelques exceptions, dans l’ensemble, l’ombre de l’Oncle Sam s’étendait jusqu’à l’Hexagone.
L’exemple parfait reste évidemment le Duc de Boulogne. On a beaucoup reproché à Booba de trop vouloir se « 50Centiser ». Après Panthéon, l’influence kainry était de plus en plus forte, que ce soit musicalement ou esthétiquement. La ressemblance était si forte que 50Cent l’a même invité afin de bosser ensemble sur un morceau que tout le monde a oublié :
A cette époque, on avait parfois le sentiment que les rappeurs français regardaient d’abord ce qui se faisait outre atlantique avant même de rapper. Cependant, avec le temps, le rap français s’est détaché de ce côté “pâle copie du rap us”. Sans s’en affranchir totalement, il est parvenu à créer sa “French Touch”. Ainsi, avoir le privilège d’inviter un artiste américain de renom sur son projet signifie trois choses :
La première raison est la plus simple, c’est que c’est stylé. Quand Jazzy Bazz parvient à ramener Freddie Gibbs ou quand les Psy4 ramenaient (le regretté) Nate Dogg sur leur projet, c’est une fierté incontestable pour les artistes. C’est un peu comme quand on ramène chez soi la plus belle meuf de la soirée.
Ensuite, quand les collaborations avec un grand artiste kainry fonctionnent bien (cf Kaaris feat Future), c’est aussi une façon de se rassurer en tant qu’artiste. Disons que ça confirme une position et sur le CV de rappeur ça rajoute forcément de la crédibilité. On imagine bien les rappeurs en parler pour savoir qui a ramené le plus gros feat.
Enfin, il y a aussi forcément l’exposition. Pas simplement du public habituel du rappeur mais plutôt des curieux voire des fans hardcore des artistes us qui veulent aller voir ce que peut faire leur artiste avec des artistes d’un autre pays.
Seulement, l’expérience ne tourne pas toujours comme on le souhaite. Tout le monde se souvient du moment très gênant où Gradur avait invité Chief Keef. Le rappeur de Chicago s’était clairement foutu de la gueule de Gradur dans son couplet Bang Bang, soulignant qu’il prenait un cachet de 10 000 balles pour 8 mesures. Du coup, il est clairement passé pour un con mais c’est vrai qu’en y repensant, c’est audacieux et marrant quand même.
Outre ce genre d’épisodes assez rare, on remarque finalement autre chose. En 2018, le public français passe souvent à côté de ce genre de collaborations. Elles sont sympas mais par exemple, La Fouine a collaboré notamment avec The Game (la collaboration était intéressante) et La Fouine a même réussi à faire rapper The Game en Français. Il a aussi featé avec DJ Khaled ou avec T-pain. Cependant, avec du recul, on en parle pas tant que ça. En revanche, on parlera beaucoup plus d’une collaboration Franco-Française (cf Reste En chien ou Paname Boss). Ses fameuses collaborations où on veut à tout prix savoir « qui est le plus chaud? » ou « qui a posé le meilleur couplet? » (cf le Booba feat Lino sur Temps Mort 2.0). Peu importe, si c’est des feats « amicaux », on veut du sang.
Quand on y pense, les collaborations Wu-Tang/IAM, Akon/Booba, etc… sont souvent réussies et très efficaces. En revanche, dans la majorité des cas, ça n’a que peu d’intere et c’est avant tout un plaisir pour l’égo de l’artiste. Implicitement, c’est souvent une façon de se rassurer et de se dire qu’on a été accepté/validé par un artiste plus “grand” que soi.
De manière générale, ça veut surtout dire que notre rap français peut rivaliser et ça, c’est beau.