0
Disiz la Peste – Disizilla

Disiz la Peste – Disizilla

Un peu plus d’un an après le surprenant Pacifique ; Disiz, redevenu Disiz la Peste (mais qu’on continuera de nommer Disiz par soucis de commodité) sort le tout aussi inattendu Disizilla. Alors entre sonorités agressives et métalliques aux premiers abords, que vaut cet album ?

Parlons d’abord du contexte dans lequel cet album s’est vu naître ; dans l’interview qu’il a accordé dans l’émission La Sauce sur OKLM il explique qu’il se trouvait dans une période compliquée de sa vie et qu’il s’y trouve d’ailleurs encore. Une période pour laquelle peu d’échappatoires semblaient s’offrir à lui, il parle de finir à Fleury, de potentiellement taper dans des substances végétales psycho-stimulantes ou bien écrire. On est content pour lui il s’est penché sur la création de ce projet qui s’annonce dès lors plus brutale, plus direct et sans détours.

Sur cet album Disiz est un Kaiju ; créature monstrueuse de la mythologie Japonaise, à la manière de Godzilla le rappeur annonce la couleur dès le premier morceau. L’instru est plus que surprenante, étrange même et fait totalement le lien avec le nom du son. C’est très simple à la première écoute j’ai cru que c’était ma platine vinyle qui fonctionnait difficilement. Il n’en est rien, Disiz surprend l’auditeur dès le début et cela semble servir à marquer une rupture nette avec ce qu’il a pu faire auparavant. Ce morceau il faut le voir comme le monstre Disizilla qui sort de l’eau et s’approche des terres du Rap Français. L’ambiance inquiétante du titre amène un Disiz déterminé à montrer de quoi il peut être capable.

Mais cela le place également face à ses démons, des rappels à ses anciens succès parcourent le projet et dans ce titre on a la référence évidente à l’énorme titre qu’est J’pète les plombs. Il semble résigné, prêt à perdre ce qu’il a construit et en veut à la Terre entière. La manière dont le titre est composé entre l’instrumentale, les effets de voix et le texte lui-même donne la sensation d’un Disiz vociférant ce qu’il a à dire. C’est résolument plus brut que ce qu’il a pu proposer ces dernières années et ce premier titre ouvre le bal à merveille.

Disizilla arrive sur Terre et s’en prend aux populations, Disiz kick, ce titre aurait pu se nommer Bête de Bombe 7 et cela aurait été plus que cohérent. Le titre marche dans ce qu’il propose, on retrouve une instru plus conventionnelle et le côté kickage amené par l’artiste nous ramène à des bases rassurantes. Cela aide alors à entrer dans le projet après le surprenant Kaiju.

Les morceaux s’enchaîne avec une fois de plus des instrus qui fonctionnent mais qui peuvent surprendre voir même dérouter l’auditeur. Le fait est que c’est efficace Disiz étonne par l’utilisation de petit « Skurt skurt » qui pour autant ne le décrédibilise pas, condamné à rester jeune dans sa tête et renouveler sa musique on ne peut que remarquer l’aisance avec laquelle il s’actualise.

Le titre Terre Promise permet quant à lui de souffler un peu plus, l’aspect mélodieux revient de manière inattendue et libère l’esprit et les oreilles. Chaque rappeur rêve de payer la villa parfaite à sa mère, Disiz lui vise la Terre promise pour la sienne. Un morceau définitivement touchant, l’aspect enfantin des paroles ajoute à la profondeur du titre dans lequel l’artiste s’adresse directement à sa mère. Ce n’est pas la première fois du projet qu’il s’adresse ou parle de l’un de ses parents, et quand je parlais de profondeurs dans les lignes du dessus c’est simplement car on comprend l’enfance compliquée qu’il a pu vivre. La comprendre est un bien grand mot mais la complexité de la relation qu’il a pu avoir avec sa mère traverse les oreilles et nous offre un titre très personnel. Dans l’interview pour La Sauce ; encore elle, il explique avoir grandit avec une mère dépressive, l’absence de son père a aussi joué énormément dans la complexité de son enfance et le lien étroit qu’il a pu entretenir avec celle qui l’a mis au monde malgré les difficultés citées.


Quand t’as trop d’problèmes à gérer, seul ton fils t’esquive

Arrête la voiture / Elle attend son fils – Disiz La peste

C’est un titre qui évoque selon moi le double morceau Arrête la voiture / Elle attend son fils sur Rap Machine et qui ajoute à la compréhension de ce titre. Il y a ici le rapport à l’adolescence, à l’enfance, à un vécu. Dans celui-ci il raconte un passage par les conneries d’un jeune de quartier et raconte en parallèle ce qui se passe dans la tête de sa mère qui l’attend tard le soir.

3 ans plus tard, avec le titre Terre promise on comprend donc mieux les problèmes dont il parlait. Disiz se place dans la peau du jeune garçon qu’il a pu être, l’innocence et l’insouciance qu’on lui prête lorsque il parle de « trop d’choses grises », du « regard dans le vide » de sa mère et surtout ce rapport aux larmes qui coulent sur ses jouent donnent alors lieu à ce titre à l’obscurité lumineuse très marquée.

Mention spéciale aux titres N*q**r la Fac qui est plus léger, et surtout très motivant ainsi que le joli morceau Owi, traitant d’amour et pouvant rappeler le titre Khadija (plus joli morceau d’amour de l’histoire de ce foutu Rap Français).

On ne peut parler de ce projet sans mentionner le titre qui clôture l’album ; Ulysse. En featuring avec sa fille au refrain, le morceau est très doux et le contraste avec le début du projet est très marqué. La force de ce morceau et l’insouciance et l’aspect enfantin. Le parallèle avec Terre Promise peut se faire, dans ce dernier Disiz s’adressait à sa mère ; dans Ulysse sa fille s’adresse au père qu’il est et celui-ci lui répond. A la manière de Booba sur le titre Petite Fille sur l’album Trône il y a bientôt un an, c’est touchant d’entendre l’homme et le père derrière le rappeur. Le rapport de protection qui s’installe entre un père et sa fille est mis en avant au travers du personnage clé du dessin animé Ulysse 31.

Disiz parle de se perdre en chemin, sur le chemin du succès ? Sa fille lui répond de ne pas s’inquiéter et dit savoir qu’il finira par revenir. Il est intéressant de voir que ce morceau se place à la fin d’un projet où la dualité demeure, la dualité avec le Kaiju, le monstre en l’artiste. C’est comme si après s’être perdu sur le chemin de la recherche d’identité le rappeur se retrouvait.

Entre rage et peut être recherche d’identité, et surtout douceur, cette fameuse dualité évoque l’évolution du monstre dont il est question ici.

On parle de dualité alors revenons sur un titre très court mais qui permet de souligner l’idée, le morceau Dialogue entre monstres. Deux personnalité qui ; on le comprend, sont au sein d’un même individu échangent et explique ne plus en avoir rien à faire des gens, de leur avis, de leur regard. On a cette impression du monstre en Disiz qui échange avec le côté le plus apaisé de l’artiste, celui qu’on a l’habitude de voir depuis quelques temps. Cette remise en question semble être le fil conducteur de l’album sans jamais être assumé ou explicite pour autant.

C’est volontairement que je ne parle pas de très joli Tout partira car entre celui-ci et Ulysse il a fallu faire un choix tant il y a à en dire, mais surtout car ce morceau parlera à ma place, il est clairement à écouter, mélancolique, il a la capacité d’attrister l’auditeur. Merveilleusement bien écrit, bien rappé aussi évidemment. C’est clairement l’un des titres les plus réussis de ce projet.

Parlons featuring. Sofiane est le premier featuring sur le titre Enfant des rues, il est décidemment partout et surtout là où on ne l’attend pas. La connexion marche bien et est efficace, les deux mc’s se mélangent bien et lorsque le rappeur originaire du 93 débarque et se met à rapper comme il le fait si bien l’instru s’accélère de manière cohérente.

Le morceau avec Niska est quant à lui un franc succès, le titre Cercle rouge fait écho à Carré bleu sur Pacifique, ça kick, ca débite. J’ai pas grand chose de plus à dire sur les featuring car je ne suis pas spécialement fan. Ça fonctionne et c’est tout ce qu’on demande mais pour autant Disiz peut faire un album totalement seul et l’absence de featuring ne sera pas nuisible au projet. Après c’est très subjectif et je le répète mais les feats sont réussis, je me contenterai de les écouter occasionnellement et ça m’ira très bien.

Thématique très présente sur ce projet ; son appartenance à une famille, l’absence de père et une relation particulière avec sa mère. Un contexte familial compliqué mêlé au vécu du jeune banlieusard qu’il était et qu’il reste quelque part au fond de lui-même. On sent bien que sur ce projet aucun tabou n’a été amorcé, l’artiste se confie bien plus facilement qu’auparavant.

On retrouve aussi énormément la notion d’altérité, cette altérité qui fait parti de soi, celle qui alimente le monstre en chacun de nous. C’est intéressant, on ressent l’artiste qui se pose face à lui-même, face à celui qu’il intériorise depuis longtemps. Dans un album très personnel donc cela peut sembler paradoxal mais il est relativement facile d’investir les paroles de Disiz et de s’y retrouver.

On a longtemps dit que son détour par le monde du Rock avec l’album Dans le ventre du crocodile sous le nom de Peter Punk avait marqué sa musique sur la trilogie Lucide notamment et si un projet doit imager cet argument c’est probablement celui-ci. Dire que Disizilla est un album Rock serait mentir mais il est indéniable que la fusion entre Rap et Rock est ; à mes yeux, plus que jamais présente ici.

Vous l’avez compris c’est un album que j’ai beaucoup aimé, dans l’équipe on n’est pas tous d’accord mais c’est ce qui ressort le plus. J’ai simplement une chose à redire sur le projet, je m’attendais à ce qu’il soit bien plus dans l’ambiance des premiers morceaux. Les 5 premiers titres paraissent presque en totale opposition au reste du projet. Ayant beaucoup aimé les titres comme Kaiju ou encore Hendek, j’aurai aimé écouter un album avec cette couleur dans sa majorité, pour autant ça reste réussit.

Des morceaux forts donc, des prises de risques, et surtout, ce qui devient de plus en plus important pour moi en 2018 avec cette prolifération de rappeur, une musicalité propre et très bien amenée !