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Varnish La Piscine, le cinéaste

Varnish La Piscine, le cinéaste

Alors que l’année 2020 touche à sa fin, je me suis demandé quels étaient les albums qui m’ont le plus marqués durant ces derniers mois, et METRONOME POLE DANCE TWIST AMAZONE est sans aucun doute l’un des plus mémorables, selon moi. De par son aspect singulier, il représente l’essence même du génie créatif de Varnish La Piscine, qui nous livre une musique riche, décomplexée et surtout libre de toutes contraintes artistiques. Car oui, le suisse fait de la musique comme il l’entend, en étant à l’origine de l’entièreté du processus créatif, c’est un véritable touche-à-tout.

Pour mieux comprendre qui il est, revenons quelques années en arrière. Varnish n’est encore qu’une jeune pousse, dont la musique n’est pas encore le hobby principal. Un beau jour, alors âgé de 12 ans, il entend sa sœur écouter un certain Pharrell Williams. Pour Jephté, de son vrai nom, c’est le déclic. Totalement transcendé par l’artiste, il commence à produire ses premiers morceaux, en ne perdant pas de vue l’homme qui deviendra son idole. Des Neptunes en passant par N.E.R.D, Varnish dévore la discographie du producteur de Virginia Beach, afin de la digérer par la suite, jusqu’à qu’elle ne fasse plus qu’un avec lui.

Quelques années plus tard, il rencontre l’équipe de la SuperWak Clique, un collectif genevois réunissant entre autres Di-Meh, Slimka, Dewolph, Mairo et Makala. C’est avec ce dernier qu’il va former une véritable synergie, ils vont alors devenir les frères de la piscine, une fusion de deux êtres complémentaires, au point de devenir une seule entité. Lorsqu’il compose, Varnish prend le nom de Pink Flamingo, l’un de ses nombreux alter egos, qui varient en fonction du rôle qu’il exerce. Polyvalent de nature, le romand développe de nombreux centres d’intérêt en dehors de la musique, dont le cinéma.

Le cinéaste

En 2016, il sort son premier projet solo, du nom de Escape (F+R Prelude), un véritable film auditif. Accompagné de son comparse Rico TK, Varnish nous narre l’histoire de Fred Koriban, le personnage qu’il incarne. Après un accident, l’homme se retrouve sur un lit d’hôpital et perd totalement la mémoire. Avec la présence de Chaha Adams, l’infirmière “qui trucide ses patients”, l’hôpital se change en scène de crime, et Fred tente de s’échapper de cet endroit chaotique. Reflétant les différentes péripéties et rebondissements vécus par le personnage, les ambiances vacillent entre les pistes, si bien que l’on passe d’un morceau aux agréables notes de synthétiseurs à un autre totalement agressif, où les basses sont distordues. On sent que Varnish est encore dans l’expérimentation et s’essaie à de nouvelles sonorités et qu’il doit encore travailler pour pouvoir maîtriser ce genre complexe.

Trois ans plus tard, il revient avec l’excellent Le Regard Qui Tue, un film policier prenant place à Monaco, le “tropique francophone, comme dirait De Gaulle”. Sous ses faux airs de film de série B, on retrouve néanmoins un casting digne des grandes productions hollywoodiennes, avec Varnish, Rico TK et Bonnie Banane, dans les rôles principales. Bonnie joue le rôle de Gabrielle Solstice, une femme qui possède l’étrange faculté de pouvoir tuer n’importe qui, d’un simple regard. Sidney Franko, incarné par Varnish, traque sans relâche celle “au regard qui te détruit”, il en va même jusqu’à la suivre dans l’au-delà. Cette folle histoire est ponctuée par des interventions de Rico aka Angel de Jesus, journaliste pointilleux, qui renforce l’aspect narratif.

Avec ce projet, Varnish s’améliore et gomme les quelques défauts de son opus précédent, et nous amène dans un univers prenant, où l’on retrouve une Bonnie Banane grandiose et un Rico débordant de charisme. Du sound design en passant par les ambiances vocales, tout est fait pour que l’on plonge pleinement dans ce film, qui crée l’illusion de réellement en être un.

Après deux films audio, la suite logique serait donc d’évoluer en réalisant un film, afin de créer le cinéma auquel Varnish tend depuis le départ. On arrive à présent en Mars 2020, et c’est désormais chose faite. En effet, avec l’aide de Rhony Sutriesno à la réalisation, le premier film estampillé Colors Pictures voit le jour : Les Contes du Cockatoo. Dans ce film où absurde et surréalisme se croisent, Varnish nous amène dans son univers, tout droit sorti de son dernier rêve, littéralement. En effet, pour le quotidien suisse Le Temps, il nous explique qu’alors qu’il se trouvait dans un TGV et étant stressé, il décida de faire une sieste. En se réveillant, il avait tout le scénario du film en tête, tout simplement. 

Ce moyen métrage retrace l’histoire de “quatre personnages ordinaires, à qui il arrive des choses extraordinaires”. Varnish nous prend par le bras et nous guide dans son antre de folie et d’extravagance, où les sorcières et les hommes aux masques de papier aluminium cohabitent. Avec cette œuvre, il a enfin pu mettre en image ce qu’il nous laissait imaginer dans ses projets passés. Cette réalisation lui aura aussi permis de s’accommoder de plusieurs rôles à la fois, comme il le fait dans la vraie vie, lorsqu’il passe de beatmaker à interprète. Au début serveur, puis journaliste, en passant par maître de cérémonie, Varnish se métamorphose et devient le propre acteur de son film.

En réalisant ce film, il n’en oublie pas pour autant l’aspect musical. Une semaine après la diffusion de ses contes, il sort la bande originale du film. Dans cette dernière, on retrouve Varnish plus en forme que jamais, il maîtrise à présent de bout en bout son art. Les productions sont des véritables symphonies et les interventions de ses collègues sont de très bonnes augures, venant consolider la colonne vertébrale du projet. Il nous présente son monde onirique, où il n’a qu’à enfiler une paire de Cortez pour “s’envoler dans les airs”, et ainsi rejoindre le sommet du Mauna Loa, afin de “l’admirer exploser”.


Dans la musique de Varnish, on ne comprend pas tout, d’où le titre exubérant de son dernier album, mais cela donne un aspect mystique à son univers, parfois crypté. On éprouve du plaisir à se laisser emporter par les mélodies et les accords de ses morceaux, c’est une trève chimérique qui s’éloigne de notre réalité, une sorte de monde parallèle, dont il est le seigneur, le seul capable de décréter un “ordre suprême”. Varnish, c’est un concentré de talent brut, construit d’influences multiples, une sorte de mosaïque culturelle, à la fois lisse et tranchante. En tout cas, ce qui est sûr, c’est que Varnish n’a pas finit de nous surprendre, tant son terrain de jeu est vaste et mouvementé.

C’est vrai, qu’j’pourrais faire un effort, toujours à l’Ouest
Mais j’me sens mieux quand j’ai pas b’soin trop t’expliquer
C’est vrai, j’pourrais faire un effort, ouh yeah
Mais je suis mon satellite téléguidé

Varnish La Piscine – ILLUSION SUR MAUNA LOA