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Le Boom Trap ou la reconnaissance des sous-genres du Rap

PARTIE 1 : BOOM TRAP ? AH OUAIS ?


Récemment, Mehdi Maïzi déclarait dans une émission Nofun :

Je ne sais pas si c’est un terme consacré mais quelqu’un parlait de Boom Trap (…) vous l’avez déjà entendu ce terme ? (…) c’est pas du Boom Bap, c’est des mecs qui ont un peu les codes du Boom Bap mais qui en font sur de la Trap (…) c’est pas de la Trap au sens où Niska va en faire, mais c’est pas du Boom Bap au sens où GangStarr en faisait.

Face à autant de pertinence, il était important pour la culture de développer ses propos dans un article et si ça permet de faire grimper la hype autour de ce grand monsieur c’est encore mieux.

Qu’est-ce que le Boom Bap ? Musicalement parlant, on retrouve quatre éléments importants : une basse, un kick, un snare, et des hi-hats. Le terme provient d’une onomatopée qui représente le « Boom » du kick qui répond au « Bap » du snare. Le tout évoluant sur des rythmes fixés entre 85 et
92 BPM.

Avec les années de pratique, les meilleurs artisans de ce mouvement ont laissé des mécanismes d’écriture remarquables pour leurs héritiers. On les appelle les rappeurs « techniques ». Ils utilisent une écriture très imagée, des rimes multi-syllabiques et des flows variés pour parler de thèmes profonds et parfois choquants. Quoi de mieux pour illustrer ces propos que cette phase de Ill dans le classique des X-Men ; Retour Aux Pyramides :

Mon rap choque comme une nonne qui fume le crack à Vincennes, Tatouée, sapée très sexe, bafouée pour 20 cents

X-Men – Retour aux Pyramides

Qu’en est-il de la Trap ? Comme l’explique Driver dans son émission Roule Avec Driver : « le terme est aujourd’hui utilisé plutôt comme une façon de faire des instrus, alors que « Trap » en vérité, c’est l’endroit où tu prépares et vends la drogue (…) on l’appelle le piège , les Traps Houses (…) et faire de la Trap c’est parler de cette vente de drogue sur de la musique ».

Cette façon de faire des instrus dont parle Driver possède, elle aussi, ses caractéristiques particulières. Les producteurs usent à foison du kick de la boite à rythme TR-808 (qui donne cet effet de grosse basse vrombissante) et emploient également de façon beaucoup plus accélérée les Hi-Hats (en triolet ou double croche). Enfin le BPM est généralement plus lent puisque situé entre 60 et 75.

Ici, le « trappeur » utilise généralement un flow ternaire assez reconnaissable. Les instrus sont plus lentes. Elles laissent davantage d’espace et de liberté pour varier l’interprétation et ne requièrent pas d’être « technique » pour faire un morceau efficace.

On a souvent comparé les deux. Le premier, étant en perte de vitesse et le second en pleine gloire. L’un devenant alternatif, l’autre mainstream. Là où les uns critiquaient l’absence de renouvellement musical, les autres regrettaient le manque de technique et de variations de thèmes/flows des interprètes. C’est donc entre ces deux mouvements très importants qu’émerge doucement un troisième courant, dont fait allusion Mehdi Maïzi, et qui pourrait bien mettre tout le monde d’accord : le Boom Trap.

Il est la dernière évolution pokémon du genre. Il est l’un des symboles d’une musique qui évolue en puisant dans ses racines et dans la créativité de nouvelles sonorités pour en sortir le jus le plus savoureux. La richesse des rimes des rappeurs des années 90 se retrouve transposée sur la fraîcheur
de nouvelles mélodies.

Comme pionniers de cette école, on peut citer notamment Pusha T, Freedie Gibs, Caballero, Jean Jass et Alpha Wann en tête de liste. Ce n’est pas si étonnant lorsque l’on regarde leur parcours et les influences qu’ils donnent en interview.

Ils ont tous excellé sur des morceaux Boom Bap pour se faire connaître. D’ailleurs certains leurs reprochaient de faire « de la technique pour de la technique » ce qui pouvait devenir ennuyant. Les années passant, ils ont constamment progressé dans leur style tout en glissant vers l’usage d’instru Trap soit par simple envie de se renouveler soit pour s’inscrire dans la tendance. Toujours est-il que le but reste de marquer leur époque comme leurs ainés avant eux et que pour y arriver il était impensable d’abandonner le savoir-faire du kickage en règle. Il a donc fallu s’adapter à ces rythmes plus lents en trouvant de nouveaux flows et de nouvelles mélodies. Il fallait sentir un équilibre, ré-inventer la technique, créer une nouvelle formule !

Ce constat se confirme avec la technicité déployée par Caballero sur le son Sur Mon Nom :

Pas assez de flow, pas assez de swag, Pas assez de mmh…, bref, pas assez de moi-même

Tu peux être blanc, vendre des kilos, t’auras moins de soucis que si tu t’appelais Mohamed

C’est la naissance d’un nouvel hybride musical auquel nous assistons et le fait qu’on ait pu entendre des collaborations entre artistes Français et Américains confirme cette tendance. Le Boom Trap c’est Végéto en fait, la fusion de deux supers genre Saiyans du rap pour devenir une toute nouvelle transformation. (Vous avez compris : si Métro Boomin étaiy Sangoku, Lino serait Végéta et Beerus serait Zed).

Et cette évolution est encore loin de s’essouffler, surtout depuis l’apparition sur le devant de la scène de nouveaux mitrailleurs champions du genre comme Freeze Corleone, Osirus Jack ou Veerus. A eux seuls ils confirment cette émancipation du Boom Bap puisqu’ils ont percé en s’affranchissant complètement de l’idée de faire des morceaux estampillés 90’s tout en développant une technique acérée. Ainsi, de la même manière qu’Alpha Wann a pu être influencé par Dany Dan, la flamme se transmet de micro en micro, de genre en genre, décennie après décennie.

Une preuve que la technique n’est pas en reste chez Freeze Corleone dans l’intro du Projet Blue Beam :

Tu sais qu’j’ai les manuels, petit. Maîtrise les boîtes auto comme les manuelles, petit.

Tu rappes encore, t’as presque l’âge d’Emmanuel Petit

Ainsi là où les X-men, Lunatic et Ärsenik sont des duos emblématiques du Boom Bap, est-ce que l’on va retenir Nekfeu/Alpha wann, Caballero/Jean Jass et Freeze Corleone/Osirus Jack comme les dignes gardiens du Boom Trap ?

De toute façon, comme le dit Alpha Wann dans le Pistolet Rose Freestyle :

Caméra d’luxe ou 5D,

Boom Bap ou Trap musique,

Nous, on s’en fout.

Faut flinguer comme le chasseur qui traque une cible

PARTIE 2 : BOOM TRAP OK OK. MAIS POURQUOI ?


Quelle est l’utilité de cette catégorisation ? Pourquoi écrire sur un sous-genre ? Est-ce mettre les artistes dans des cases pour entrer dans une logique marchande au risque de freiner leur création ? Pourquoi ne pas les laisser dans la grande famille du rap ?

L’idée ce n’est pas de créer des tiroirs pour mieux ranger les rappeurs et mieux vendre la musique. Si diviser un genre musical en sous-genre était une technique commerciale, l’industrie musicale se serait intéressée depuis longtemps à cette question vu la place colossale qu’a pris le rap dans les charts aujourd’hui.

Ce n’est donc pas sûr qu’il s’agisse d’un sujet motivé par l’appât du gain, tout du moins pas en premier lieu. Quand bien même ça l’était, on serait tous content de voir Alpha Wann vendre plus d’albums, non ?

A l’heure du streaming, on a aussi l’impression que les catégories de genre sont mises de côté au profit des playlists « mood » du style « Musique de soirée ». C’est aussi le cas pour le physique, dans certains magasins on ne trie déjà plus que par ordre alphabétique les disques et non plus par genre. Si les genres sont délaissés, en quoi y’aurait-il un avenir à vouloir identifier des sous genres ?

Il me semble surtout que la division en sous-genre d’un genre musical est un signe d’excellente santé du genre musical en question. La diversification est essentielle pour développer la culture, identifier un style, générer un point d’ancrage pour les artistes suivants, ouvrir des brèches de créativité, maintenir une vision de faire de la musique et attirer un nouveau public. C’est d’ailleurs pour cette raison que les playlists par genre continuent d’exister et existeront encore sur les plateformes de streaming.

En témoigne ce site qui regroupe toute l’arborification qu’a connu la musique depuis sa naissance. Son existence prouve que c’est une machine en marche qui n’est pas prête de s’arrêter et qu’il est surtout important d’effectuer ce travail de recensement.

C’est d’ailleurs ce qui pousse le Chroniqueur Sale a déclaré dans une de ses vidéos :

Ça fait bien longtemps que le rap n’est plus une musique de niche (…) Il a été amené à évoluer et il évoluera encore (…) Un courant musical, l’important c’est ce que tu en fait, donc quand ça devient aussi large et populaire ça fait comme le rock ! Et c’est quoi le rock ? c’est ACDC ? c’est Elvis Presley ? c’est Sepultura ou c’est Johnny ? Moi un mec qui me dit j’écoute du rock, j’suis pas plus avancé que ça – bah j’écoute du rap c’est pareil, ça veut plus rien dire.

Ce qui se passe avec le Boom Trap est d’ailleurs représentatif de ce qu’il s’est déjà produit auparavant avec le rock. Le Garage punk est par exemple un cas similaire puisqu’il est une fusion musicale du Garage rock des années 60 et du Punk rock moderne.

Ce ne serait pas vrai de dire que la création de sous-genre n’a jamais eu lieu dans le rap. On connaît notamment le cas de ceux qui faisaient une musique tellement différente des autres qu’ils ont créé un sous-genre à eux tout seul et je parle bien sûr de Jul, PNL et MHD. C’est juste qu’ils ne sont jamais identifiés, nommés et définis en tant que tel.

Ici, de la même manière que pour le Dirty South, le rap de Long Beach ou l’Emo rap porté notamment par XXX Tentacion et Lil Peep, on connaît désormais avec le Boom Trap un sous-genre qui s’est créé par l’action commune d’une flopée de rappeurs ayant du succès et gardant tous la même direction artistique. Et ça fait plaisir de pouvoir mettre un nom dessus !

La vérité, c’est qu’il faut mettre en valeur l’apparition de ces sous-genres, au moins pour que « les mass médias » parlent de cette culture sans utiliser des expressions comme « musique urbaine » ou encore « Néo rap ». Ca sera déjà ça de gagné ! On croise les doigts.

Le rap a toujours été une musique évolutive qui s’inspire énormément des nouveaux courants musicaux. Ce n’est pas impossible que les rappeurs finissent par délaisser les sonorités Trap pour s’orienter vers de nouvelles musicalités. On aurait ainsi une nouvelle opportunité pour observer la création d’un nouveau sous-genre qui continuerait de perfectionner et faire évoluer les techniques de rimes.

On aurait du Grunge-trap ? de l’Indie rap ? du Cloud rock ? du Boom « ???? » ? Ce qui est sûr c’est que si ça a été identifié pour le rock, il faudra le faire pour le rap parce que ce dernier a encore de très beaux jours devant lui.