TRINITY : Dans la matrice sentimentale de Laylow
« Bienvenue dans le programme Trinity » : c’est ce qu’on entend dès qu’on lance le premier album de Laylow. Dès le départ, on sait déjà qu’on va être plongé dans un univers bionique, en plein dans la matrice de l’artiste et clairement inspiré du film Matrix. Entre homme futuriste et humain débordant de sentiments qu’il tente d’éradiquer, Laylow nous propose un album concept plutôt bien construit.
Dans la matrice sentimentale de Laylow
Trinity est une sorte de film musical : on est transporté dans un univers mi-réaliste mi-futuriste, qui reste ancré dans la réalité. Des interludes qui rappellent fortement l’univers du jeu vidéo sont également là pour guider l’écoute et aider à mieux comprendre cet album. Fidèle à lui-même, Laylow est toujours dans un délire d’homme bionique, mais cette fois, tout passe par le cerveau et non plus par l’aspect physique.
Un peu comme tout humain relativement conscient de ce qui l’entoure, Laylow a toujours l’air rongé par une profonde mélancolie mais la rage est également son moteur. Et, plutôt que de se bousiller la santé avec drogues et alcools en tout genre, quoi de mieux que de créer un « logiciel de stimulation émotionnelle » ? En gros, il préfère vivre dans sa tête avec une nana à la voix robotique qui le met dans différentes conditions en fonction de ce qu’il a envie de ressentir. On peut se dire que c’est carrément la solution pour enfin ne plus être blessé par les relations humaines, mais pas si sûr que de s’enfermer dans sa tête avec une voix qu’on est le seul à entendre soit la meilleure idée.
Quand on suit Laylow depuis au moins Raw-Z, on comprend bien qu’il tend à avoir un cœur de pierre pour ne plus avoir mal à chaque relation. Mais ce côté « bad boy » n’a l’air d’être qu’une couche protectrice qui cache qu’il éprouve « trop » de sentiments à son goût ; ce qui est reste pourtant naturel pour un humain. S’il a créé le logiciel Trinity, c’est clairement pour se débarrasser des charges émotionnelles humaines et potentiellement éviter de payer un psy. Mais en se penchant un peu plus sur l’album, il semble assez clair que Laylow recherche de l’amour et pas seulement celui de ses amis comme il en parle si souvent. Ses propres interrogations le rongent, il n’essaye pas vraiment d’y répondre mais plutôt de les effacer de son esprit.
Donc, comme de nombreuses personnes, il souhaite fuir la réalité, la douloureuse vie terrestre et ses nombreux inconvénients via une sorte de jeu vidéo guidé par une intelligence artificielle qui le charme peu à peu. D’ailleurs, on comprend assez vite que pour que Trinity fonctionne correctement, Laylow doit la nourrir. La nourrir de quoi ? D’amour, tout simplement. Plus Laylow penche vers des sentiments amoureux à l’égard de Trinity, mieux le logiciel fonctionne ; c’est ce qu’on découvre avec le morceau PLUG en feat avec Jok’air. Étonnant pour quelqu’un qui semble vouloir fuir l’amour à tout prix. Alors, oui l’amour c’est super sympa, les papillons dans le ventre, les yeux qui brillent tout ça, mais ce qui anime le plus notre rappeur toulousain, c’est la colère.
Laylow se construit dans celle-ci, habillée par des cris autotunés difficilement perceptibles, comme dans Akanizer. La rage, dans laquelle il se noie, devient donc plus facile à assumer que l’amour. Ici, il n’a alors pas la sensation de devoir attendre de l’autre un sentiment réciproque. Cette manière d’exprimer cette rage est intéressante car elle permet de créer des morceaux percutants. En effet, une des forces de Laylow est que sa musique est toujours en adéquation avec une émotion forte.
Outre cette rage très marquée dans le projet, on y retrouve aussi un esprit stratégique pour conquérir le terrain musical. C’est d‘ailleurs parfaitement mis en exergue avec le titre Piranha Baby qui fait une allusion direct au film Piranhas de Giovannesi où un groupe de jeunes « mafieux » veulent occuper la place des anciens en développant un mode opératoire qui leur est propre. Laylow place aussi une référence aux très connus Peaky Blinders et aux Affranchis, reflet du mode de vie qu’il recherche ou qui l’attire du moins.
Pour en revenir à son étrange histoire « d’amour » avec son logiciel, on peut faire un parallèle avec le film Her de Spike Jonze où un homme se voit offrir une intelligence artificielle avec laquelle ils tombent tous deux amoureux. A la différence du film, ici Laylow est lui-même le créateur de son I.A. ; il y a du Laylow dans Trinity et inversement. Si Laylow doute, l’ego reste important chez lui. De cette manière pour aimer Trinity, il finit par aimer la part de lui-même qu’il lui a incorporé. Par ailleurs c’est justement ce qui finit par le perdre. Sans s’en rendre, compte au fur et à mesure du projet, Laylow tombe amoureux de la partie propre à Trinity. Ce n’est plus Laylow qui aime ce que Laylow a fait de Trinity ; mais plutôt une personnalité propre à cette dernière qui prend forme.
De plus, aux doutes qui le rongent s’ajoutent la méfiance et la paranoïa. C’est à cause de ces derniers que le fait de se réfugier au coeur de Trinity devient important pour lui; presque vital. De toute manière, douter des autres reviendrait à douter de lui.
D’ailleurs, le seul moment où Laylow se retrouve réellement confronté à la réalité du monde matériel c’est avec le morceau …De bâtard. Son obsession du temps et de l’échec se dégagent de ce titre plus que dans n’importe quel autre morceau de l’album. Un storytelling parfaitement exécuté, où le sound design participe grandement à la narration (bruits de portes, son du téléphone qui sonne, battements de coeurs et bien d’autres). Le choix de Laylow d’y interpréter tous les personnages d’une même famille peut laisser penser que dans une autre vie, ce storytelling aurait été le sien et non celui d’un SDF croisé au détour d’une rue. De plus, l’entrée de Wit se veut fracassante, avec une prod qui devient angoissante (bien qu’elle l’était déjà) et fait penser à une bombe à retardement. A la fin du morceau Laylow admet trouver cette histoire spéciale, et c’est là qu’on comprend à quel point il est enfermé dans Trinity : c’est une histoire qu’on pourrait qualifier de presque « banale », l’histoire de milliers de personnes en France, mais le rappeur est devenu totalement aveugle (comme dans le clip de Megatron où ses yeux disparaissent sous une couche de peau) et imperméable au monde qui l’entoure.
Pour en revenir au sound design et aux prods de l’album, Laylow y accorde une importance toute particulière. Il collabore sur tout l’album avec le beatmaker Dioscures où ils apportent ensemble une évolution très intéressante au style déjà bien défini de Laylow. De plus, le rappeur a produit six morceaux dans l’album sous le nom de Mr. Anderson, qui se trouve d’ailleurs être le vrai nom de famille de Neo dans Matrix.
Au final, le fait d’apparaître plus dur qu’il ne l’est afin de se protéger n’est finalement pas la meilleure solution. D’autant plus que le logiciel n’a pas vraiment eu l’effet voulu et Laylow se rend vite compte que c’est un échec. Il fait face à un Game Over, à une fin de partie contre lui-même et finit par devenir le Logiciel Triste. Il se retrouve alors infecté d’un virus qu’il s’est lui même transmis alors qu’il voulait l’éviter jusqu’à la fin : le virus du sentiment amoureux.
Trinity disparue, Laylow a ouvert les yeux sur ses nombreuses erreurs et ses torts. Bien qu’il se veut être un homme bionique, il n’en reste pas moins un homme avec les défauts qui vont avec. Trinity est la finalité mais aussi, et surtout, le commencement d’une nouvelle ère pour un Laylow prêt à accepter la part d’humanisme vivant dans la Matrice.