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Freeze Corleone – Projet Blue Beam

Freeze Corleone – Projet Blue Beam

Projet Blue Beam… Un projet dont l’écoute du moindre track pourrait faire perdre l’intégralité des hassanets accumulés au sein d’une vie. Un projet dont l’équivalent le plus probable serait certainement un pass VIP en direction de l’antre d’Iblis. J’ai écouté Projet Blue Beam. Freeze Corleone m’a toujours fasciné mais cet album, à mon humble avis, a fait passer un cap à l’artiste. Une écriture parfaitement maîtrisée, un flow hypnotisant, des références aussi improbables que bienvenues : c’est l’univers dans lequel nous sommes plongés durant les 40 minutes qui composent ce Projet Blue Beam.

Un xan, deux xans, j’commence à marcher comme un mort vivant. J’sais qu’j’vais bruler mais tous les jours au réveil j’remercie l’Seigneur d’être encore vivant.

Freeze Corleone – Intro

Dès les premières phases de l’introduction, l’atmosphère est posée : un orage retentit, suivi de peu par la voix calme et sinistre de l’artiste récitant ce que vous venez de lire. Les drogues, un rapport ambiguë à la religion et la spiritualité, le tout dans une atmosphère horrifique et décrit avec une plume reconnaissable entre mille. Bien que cette recette soit utilisée depuis longtemps par l’artiste, c’est dans cet album que son potentiel arrive à son apogée. La plume de Freeze Corleone y est plus aiguisée que jamais ; on l’écoute enchaîner, au fil de l’album, des lignes toutes plus techniques les unes que les autres avec une sensation de facilité assez déconcertante. Sous son apparente simplicité, l’écriture de ce dernier est très complexe et regorge de détails et d’aspects à analyser.

Une des figures de style récurrentes chez Freeze Corleone, au point d’en être totalement ancrée à son identité, est la répétition des rimes. Prenons par exemple ces phases tirées de Jeremy Lin, à ce jour le seul extrait clippé du projet.

Chen zen, team no lacking, tous les jours fuck 12 négros. J’suis tout seul, j’découpe comme 12 négros. Furtif comme un glock 12 négro.

Freeze Corleone – Jeremy Lin

En utilisant trois fois la même rime, il parvient à faire passer trois idées différentes : sa haine de la police ; « Fuck 12 » étant une expression née aux États-Unis invitant la brigade des stupéfiants à aller se faire foutre (merci Genius). On y retrouve aussi son agressivité au micro et le fait de rester dans l’ombre, à l’abri des regards. Cependant, chez beaucoup d’autres artistes, le fait de répéter les mêmes mots en guise de rime revient à une mise en lumière des terribles lacunes d’écriture que peuvent avoir ces derniers.

Or, à l’écoute de Projet Blue Beam, on ne doute pas un seul instant des capacités lyricales de Freeze Corleone. Au contraire, j’estime que ce dernier a l’une des plumes les plus intéressantes du rap français et ses choix sont parfaitement maîtrisés, découlant du seul but de se forger une identité lyricale. Freeze Corleone sait rapper et n’aurait pas à rougir face à un Alpha Wann ; cet exemple n’est pas innocent car sur certains morceaux comme LRH je trouve à Freeze certaines ressemblances avec l’artiste de l’Entourage. Le morceau DMCV sorti en 2011 en est une preuve s’il en fallait une. Il a commencé par du rap sur des prods plus old school et c’est ce qui lui permet à présent d’avoir une telle maîtrise sur tous types d’instrumentales, tant au niveau du flow que des lyrics. Les prods d’ailleurs, parlons-en. On retrouve sur ce Projet Blue Beam les producteurs Moi, Flem, CashMoney AP, Tab, Congo Bill et Ocho. Les beats sont, je trouve, extrêmement bien choisis et correspondent parfaitement à son univers musical au point de venir le sublimer et y apporter une nouvelle dimension en donnant le sentiment d’être bloqué dans un cimetière entouré de seigneurs siths et de mages noirs. Cela achève ainsi d’offrir au projet une cohérence à toute épreuve et permet à l’auditeur de pleinement se plonger dans cette ambiance que l’artiste souhaite instaurer.

Cependant, si la forme est totalement contrôlée, le fond est également extrêmement intéressant puisque ses textes sont ponctués de références toujours plus surprenantes. En effet, entre deux punchlines nous décrivant sa consommation de drogues plus qu’excessive (« Si tu t’allumes comme nous tu peux finir comme Lil Peep »), Freeze Corleone lâche des phases alternant entre la dénonciation politique et la théorie du complot. Ainsi, nous pouvons passer de lignes telles que « J’suis dans le complot comme le maire de Angers » ou « Nique un sioniste comme BHL » qui sont des faits avérés à des allusions aux Reptiliens, d’obscures sectes satanistes et toutes autres sortes de conspirations plus que douteuses. Le titre du projet en faisant même partie puisque le « projet blue beam » serait un projet de la NASA qui vise à instaurer une nouvelle religion avec l’Antéchrist à sa tête. Cet aspect atteint son paroxysme dans le titre Sacrifice de masse, en collaboration avec Osirus Jack, dans lequel les deux rappeurs jouent sans cesse avec la fine frontière entre faits politiques vérifiables et complotisme. Cependant, ce ne sont pas les uniques références pour lesquelles Freeze Corleone excelle, ses textes sont des avalanches d’allusion à une culture plus ou moins populaire et accessible.

Là où beaucoup de rappeurs se contentent des classiques références à Scarface ou The Wire, on retrouve dans cet album des phases très inattendues comme « J’veux les fafs à Valve et Steam » ; bien que les jeux vidéo soient rentré dans la culture populaire, le rap nous a plutôt habitué à des références à Fifa ou Street Fighter. On a aussi « J’arrive Galsen comme Sandale-man » et c’est là l’une des grandes forces de cet artiste : avoir une recette et un univers propres à lui tout en restant imprévisible. Un autre aspect qu’il est intéressant de souligner est le fait que, contrairement à la majorité des projets rap sortants chaque année, celui-ci ne contient aucun titre introspectif dans lequel il se livre d’avantage. Cela va même plus loin : dans ce projet, je n’ai relevé qu’une seule ligne qui laisse transparaître une certaine mélancolie : « Et ça m’fait mal quand j’pense à des gens d’qui j’dois parler au passé ». Aux vues des stéréotypes liés au rap actuel, on pourrait s’attendre à le voir justifier sa consommation outrancière de drogues par un profond mal-être mais ce n’est absolument pas le cas. Il se contente de décrire avec un flegme glaçant ses prises d’opiacés sans le moindre regret exprimé, donnant ainsi à son personnage un côté mystique, comme si on lui avait ôté son humanité depuis bien longtemps.

C’est l’ultime aspect qui permet de donner à l’album toute sa cohérence. L’écoute de ces 40 minutes est un vrai plaisir et aucune fausse note, aucun réel défaut ne vient altérer cette expérience.

Vous l’aurez donc compris, cet album est pour moi une réussite totale : son court format permet à l’auditeur de ne pas s’ennuyer et de profiter de ce que Freeze Corleone a de meilleur à proposer. Projet Blue Beam est pour moi un des projets les plus intéressants de cette année 2018 et je ne saurais que conseiller vivement à tous les auditeurs de rap d’aller l’écouter sans attendre.

Nouvelle école, Freeze Corleone aka Proviseur Chen, ekip

Article rédigé par @Lil Yazar