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Le rap face à la censure

Le rap face à la censure

LMF de Freeze Corleone était assurément l’une des sorties rap les plus attendues de 2020. Il n’aura pas fallu attendre longtemps avant que la LICRA appelle à censurer l’album de l’artiste, suivi par les hautes sphères de la politique française. Un peu plus récemment, c’est Nibiru d’Osirus Jack qui a disparu des plateformes de streaming. Force est de constater qu’en 2020 le rap reste l’art le plus sujet à la censure et à la polémique. Tentons de comprendre pourquoi. 

Rien de nouveau

Freeze Corleone est loin d’être le premier rappeur à avoir fait face à cette censure. Si certains artistes se font censurer ou retirer des plateformes de streaming, d’autres se voient même bannis des salles de concerts ou des festivals. On se souvient notamment de l’affaire Médine où l’artiste s’était vu refuser le Bataclan suite à la polémique suscitée par le son Don’t laik mais également celle de Black M qui s’était vu refuser une performance à Verdun à cause du site identitaire Français de Souche qui déclarait qu’il “n’avait pas sa place” à cet événement commémoratif. Par le passé, des groupes comme Sniper et NTM s’étaient également attirés les foudres de la classe politique tout comme Monsieur R ou ministère A.M.E.R. D’autres rappeurs ont été les cibles d’associations féministes dont notamment Orelsan, et plus récemment Damso. Alors nous nous devons de se poser la question.

Pourquoi le rap ?

Si le rap en 2020 s’est fortement diversifié au niveau des styles et des thèmes abordés dans les textes, etc… Il a tout de même conservé son aspect contestataire. Né dans le ghetto du South Bronx, le rap a au fil des années été un vecteur de dénonciation d’oppressions sociales subies par ses résidents de ghettos américains. Avec le temps, cette esprit de “dénonciation” s’est également déployé en France aux travers d’artistes comme La Rumeur, Ideal J voire Youssoupha et bien d’autres encore. 

Si le rap est le plus sujet à la censure, c’est tout simplement parce qu’il donne la parole à ceux que l’on délaisse, ceux qui subissent les inégalités sociales. Bien que d’autres arts puissent également servir de tribune, le rap reste le moyen d’expression le plus accessible. Les jeunes issus de classes favorisées auront plus facilement la possibilité de prendre des cours de théâtre, de solfège tandis qu’un type beat, un stylo et une feuille suffiront à n’importe quel jeune, même exclu dans le but de s’exprimer. De par cette configuration des choses, le rap comporte son lot de frustration, de ras-le-bol, de violence qui n’est tout simplement que le miroir de la société et de la réalité que peut connaître chaque rappeur. En ligne de mire, les politiciens et la police qui n’est en fait qu’un des rares liens directs entre eux et l’Etat. 

Détourner le problème 

Appeler à censurer les rappeurs est une excellente manière de détourner le problème et d’éviter de parler de l’origine du mal. Comme dit précédemment, le rap est le miroir de la société, c’est pourquoi il ne suffit pas de se demander si le rap est sexiste. Il est plutôt préférable de se demander ce qu’il faudrait mettre en oeuvre concrètement pour que lui et la société ne le le soient plus. Le sexisme est systémique, la rap n’y échappe donc pas, mais semble être trop souvent relayé comme coupable principal.

Au niveau de la politique, Kery James résumait très bien la situation dans Racailles, chanson dans laquelle il replace les politiciens dans la position que certains d’entre eux attribuent aux gens de cités. Détourner le problème pour cacher les vrais. Les rappeurs sont donc les meilleurs coupables dans tous les domaines, que ce soit au niveau de la violence, des émeutes, du sexisme, …

Racisme et mépris de classe 

Le rap choque, mais surtout, il dérange. Il dérange la classe politique et les gens qui vivent dans une toute autre réalité. Intervient cette notion de liberté d’expression où les rappeurs ne semblent pas être logés à la même enseigne que d’autres. Il est aisé de comprendre pourquoi les rappeurs sont les plus sujets à la censure quand ceux-ci sont considérés comme “de la simple racaille”. Par le jeu des médias généralistes qui se jouent sans cesse des clichés véhiculés parfois par une minorité de rappeurs, on enlève à ceux-ci une capacité de second degré ou de recul, voire même d’intelligence comme si les rappeurs n’étaient ni conscients, ni maîtres de leurs dires. Par exemple, on enlève à Orelsan la possibilité d’avoir pu mettre en scène un personnage dans l’écriture d’un récit. La séparation entre l’homme et l’artiste est une question que l’on ne se pose que très rarement lorsqu’un rappeur est pointé du doigt pour certains textes. 

Pour illustrer mon propos, prenons l’exemple d’un freestyle Panam Hall starz qu’avait rappé Médine lors du confinement dans lequel il disait :



La Marseillaise même en Gospel ça me fait dégueuler.



Cette phrase avait engendré énormément de réactions de la part de membres du RN. Médine avait ensuite répondu en signalant que cette phrase avait déjà été chantée par un certain Renaud dans Où est-ce que j’ai mis mon flingue? Preuve ici que les textes ne sont pas interprétés de la même manière lorsqu’il est cité par un rappeur. Ce mépris est également perceptible lorsqu’on regarde les nommés aux Victoires de la musique. Non seulement les rappeurs choisis le sont pour l’acceptabilité de leurs textes mais il subsiste un problème de blancheur au sein des potentiels lauréats. Même si Damso fût l’un des derniers gagnants, les Victoires de la musique semble rester sans valeur pour la majorité des rappeurs exclus du paysage médiatique.

Le piège des médias généralistes

A chaque affaire correspond sa polémique relayée par une bonne partie des médias généralistes. Au fil des années, nous nous sommes tous rendus compte de l’absence de journalistes spécialisé dans le hip-hop sur les plateaux télés qui abordaient ce genre de

polémique. Et la raison est toute simple. Les affaires de censure portent sur des sujets qui demandent du développement et de la réflexion, ce que les plateaux télé ne proposent que très rarement aux intervenants rap. Le temps accordé est très court, la parole coupée, le journaliste rap se trouvera très vite dans une position de faiblesse dans laquelle il aura l’air de n’avoir aucun argument valable. De plus, il sera questionné et attaqué par des chroniqueurs n’ayant aucune connaissance de la culture. De par ce mécanisme, on donnera l’impression aux rappeurs de n’avoir aucune excuse. Le choix des journalistes hip-hop de ne pas se rendre sur ces plateaux télé est assez légitime même si malheureusement de par ce choix, on n’invite plus que des intervenants totalement à côté de la plaque pour défendre la cause, et ainsi la desservir. Il s’agit ici également d’une forme de censure par laquelle on enlève toute défense possible aux principaux concernés dans le tribunal médiatique. La présence de Nick Conrad sur le plateau de Pascal Praud en est un exemple probant. 

Une arme à double tranchant 

Le plus dommageable pour un rappeur faisant face à la censure, c’est de se retrouver dans une case dans laquelle il n’appartient même pas. En effet, Freeze Corleone est maintenant considéré comme antisémite tout comme Orelsan et Damso furent considérés comme des artistes misogynes. De par ces faux procès, on retire bien souvent à ces artistes la perspective de se faire connaitre du grand public même si la notoriété n’est pas un but en soi pour une partie d’entre eux. Malgré tout cela, on se rend compte néanmoins que ces rappeurs gagnent tout de même en notoriété. Si Freeze Corleone fait énormément parler de lui de façon injustement négative, ses ventes elles n’auront jamais été aussi bonnes. De plus, tout comme Médine, certains autres rappeurs se jouent de ces polémiques pour renvoyer la balle de façon magistrale. On se souvient d’Eminem qui suite aux accusations d’homophobie avait ensuite performé avec Elton John, icône gay, au Grammy awards adressant ensuite un doigt d’honneur à toute l’assistance. En fait, on se rend compte qu’une grande partie des gros rappeurs de l’histoire se sont très souvent retrouvés au cœur des polémiques. On pourrait même parler de passage obligé, ce qui confirmerait l’idée que le rap et la polémique soient indissociables. 

La polémique, indicateur de la bonne santé du rap ?

Cette question mérite un intérêt particulier. Que deviendrait le rap sans sa dose de polémiques et sans ses rappeurs engagés ? Probablement de la pop ou de la variété toute simple. Le fait que le rap soit devenu la musique la plus populaire a ouvert de nouvelles perspectives à certains artistes. Aujourd’hui, les rappeurs s’adoucissent, passent sur NRJ et participent aux émissions de TF1 et s’invitent dans le quotidien des familles. On ne peut certes pas en vouloir à cette poignée d’artistes sauf quand ceux-ci deviennent les chouchous des médias au détriment d’autres rappeurs passés sous silence. Actuellement, on constate que de par ce procédé, les médias trace une démarcation entre ce qui est pour eux le rap acceptable ou non. On se rend compte également que pour être diffusé en radio le rappeur doit passer par une édulcoration de ses textes même s’il est certes compréhensible que certains sons ne soient pas compatibles à l’écoute du grand public car ceux-ci peuvent parfois être vulgaires ou violents.

Ceci nous pousse donc à nous poser une autre question : le rap a-t-il réellement besoin de passer en radio ? Car le fait de passer certains rappeurs sous silence, comme notamment dans les cérémonies tels que les Victoires de la musique est également une forme de censure. Personnellement, je dirais que le rap a suffisamment de médias spécialisés en la matière aptes à recevoir des rappeurs où les questions ne seront ni stupides, ni remplies de condescendance inspirées par le cliché.


On pourrait donc dire que le rap se doit d’être dans la polémique pour exister et garder son A.D.N. La censure permet bien souvent aux rappeurs de gagner encore plus en popularité bien que la carrière de certains d’entre eux ait été mise à l’arrêt. Force est de constater que de toute manière, malgré les polémiques et les censures, le rap s’en sort souvent vainqueur. 

 Ils ont fait du Hip-Hop de la variété, ils ont joué les clashs pour nous diviser
Tant que ça fait de l’audience, on peut s’allumer
Quand un rappeur se fera buter, ils organiseront un concert au nom de la paix. 

Kery JamesRacailles