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Miel ou Mort, le goût du décès

Miel ou Mort, le goût du décès

Sorti ce vendredi 15 mai, Miel ou Mort de dasein foshan se présente comme un EP à l’univers finement ficelé et imagé. Mais plus encore, derrière les prods de nitro251 et les flows lents de dasein se cache un profond attrait à la mélancolie entraînant l’artiste et donc l’auditeur au cœur d’un projet où la mort semble (presque) savoureuse. Si les abeilles butinent les fleurs pour en extraire un miel doux et sucré, dasein foshan préfère prendre appui sur des bribes d’histoires rendant la mort alléchante.

Miel ou Mort, le goût du décès

Le projet n’est pas très long, c’est un EP 6 titres auquel s’ajoutent 3 interludes de 33 secondes chacune. Autant dire qu’il s’écoute aisément. Un aller-retour au tabac, une promenade dans le parc à côté pour faire pisser son chien. Voici alors que l’EP se conclut tandis que la magie de l’aléatoire nous transporte vers notre album favori de Bigflo & Oli. Changement d’ambiance radical.

Plus sérieusement, s’il se présente comme pris de passion pour des penseurs comme Schopenhauer ou encore Kierkegaard, on ne peut que s’attarder plus longuement sur le pseudo qu’il embrasse. C’est avec le philosophe Heidegger que le terme « Dasein » viendra à prendre plus de poids dans les pensées philosophiques. Le Dasein revient à l’être qui frôle la mort avec récurrence. Il a alors conscience de celle-ci et de son apparition inévitable mais il se caractérise également par une façon de vivre seul ; et surtout dans un monde qui lui est propre. A l’écoute de Miel ou Mort les liens se font alors avec une justesse précieuse et parfois même inquiétante.

Présent tout au long du projet, il y a une réelle attirance pour la souffrance. On parvient à comprendre que pour dasein foshan la douleur et son expression ont un goût sucré ; un goût agréable vers lequel il semble inlassablement revenir. Si ses larmes sont assimilées au miel, le sang rappelle quant à lui le goût de la cerise. Le septième morceau prend alors un sens bien particulier, rien qu’à son titre. Cerise Molly, qui pourrait se traduire simplement par « MDMA dans le sang ». Le rapport aux drogues est présent de façon constante, jusqu’à l’ouverture du dernier morceau, et cette assimilation entre le sang et l’ecstasy semble finalement des plus logiques. L’attrait aux drogues, son penchant pour la souffrance et le caractère doux et sucré qu’il y trouve et qu’il semble même rechercher apparaît bien plus nettement. La mort comme présence constante autour de lui se précise justement dans ce morceau :

Déjà mort dans mon sommeil

dasein foshan – Cerise Molly

La mort revêt alors l’allure d’un rêve, cela nous rapporte à la vision de la mélancolie de Binswanger. Psychiatre suisse, qui a notamment cherché à comprendre les fonctionnements de cette pathologie et son mode d’expression. Ici on y retrouve une attirance violente envers la mort, on pourrait même parler de fascination. En psychologie ; et de façon plus précise dans le travail des psychanalystes comme Freud, on retrouve les notions de “pulsion de vie” et de “pulsion de mort”. La pulsion de vie, créatrice, source d’amour, amène l’individu à se déployer davantage. Ce qui est donc assez logiquement l’inverse de la pulsion de mort où haine et destruction se mêlent. La destruction passe par plusieurs moyens d’expression mais peut également se tourner contre le sujet en proie à cette pulsion.

Dans la mélancolie, le sujet aspire à cette pulsion de mort et celle-ci en vient à remplacer la pulsion de vie. La fascination pour la mort est telle qu’elle amène l’individu à jouer avec elle, tel un funambule au-dessus du vide.

Dans cet EP, dasein foshan nous initie à plusieurs reprises à ces concepts et vous l’aurez compris, c’est bien d’un rapport étroit à cette pulsion de mort dont il est question ici. Si le mélancolique ne trouve pas forcément de motif réel à ce qui engendre la souffrance, la fascination et l’amour qu’il entretient avec elle est ce qui le maintient dans un état de vie relatif.

Il est avant tout question d’extinction du désir dans la pulsion de mort. L’excitation perçue par le sujet ; et donc la pulsion que cela engendre, amènent ici dasein à faire disparaître ces éléments. Ce qui fait d’ailleurs que le mélancolique est cet être qui va prendre plaisir dans la tentative d’éteindre son propre désir. Ce rapport à la souffrance et à l’extinction du désir se rapporte alors de façon évidente à ce que dasein foshan présente lorsqu’il matérialise ses larmes comme des gouttes de miel.  Et justement, dans Hilton il nous dit ceci :

J’suis pas sad, j’ai juste envie de crier jusqu’à ce que mes cordes cèdent

dasein foshan – Hilton

Conscient de ne pas avoir de réel objet de souffrance, de raison derrière une tristesse relative. Il nous expose essentiellement une sorte de pulsion qu’il se doit d’assouvir de façon incontrôlée. Si pour autant l’envie est exprimée clairement, elle nous rappelle étrangement un appel à l’aide avant un acte potentiellement suicidaire. Justement, il en parle dans le titre Lavande où les thématiques se multiplient.

La mère, maladie ou mal à dire

Au cœur du projet un autre symbole est présent, celui de la mère. Élément constitutif de toutes vies, ici elle prend la forme de l’une des sources de ce mal viscéralement ressenti par dasein. Les 3 interludes dont nous parlions plus tôt semblent interprétées par cette figure maternelle. Cette même figure en vient à reconnaître que la mise au monde de son enfant servait à revêtir un aspect thérapeutique pour elle-même. Lorsqu’elle précise qu’en donnant la vie, elle se mettait elle-même au monde et se permettait de revivre son enfance on saisit que le mal est alors bien  plus profond. Une façon de donner un but à son existence et de soigner sa propre enfance, atteindre une guérison dans la projection en son enfant.

dasein l’exprime assez justement dans le titre Lavande. Dès les premiers mots il dit « Je veux pas dire à celle qui m’a donné la vie qu’elle peut la reprendre » comme un lien étroit impossible à briser. On retrouve un artiste ; et derrière ça un humain, habitué à vivre par le regard de sa mère incapable de faire le deuil de son enfance et d’assumer pleinement le rôle de mère suffisamment bonne (concept de D. Winnicott). A plusieurs reprises, le rappeur nous parle de lui comme d’une femme et si tout semble flou pour l’auditeur, il paraît en être de même pour celui qui vient conter ses histoires au micro. On pourrait finir par penser qu’au fur et à mesure de l’écoute du projet, dasein foshan et celle qui embrasse le rôle de figure maternelle finissent par ne former plus qu’un. Par ailleurs, consciente du poids qu’elle laisse à son enfant, elle exprime dans Lettre III une certaine prise de recul sur la situation. Elle évoque notamment ce qu’elle a pu imposer à celui-ci, mais également l’héritage qu’elle lui laisse. Cet héritage plein de souffrances dans lequel semble baigner dasein foshan tout au long de cet EP. Dans ce rapport à la mort et à la souffrance, il dit ; une fois de plus dans le titre Lavande, ceci :

J’en ai plus rien à faire, dans le mal depuis tout ça,
Pourquoi vous êtes encore tous là ? La soluce elle est tout simple.

dasein foshan – Lavande

Comme un retour à cette pulsion de mort où la mère et l’amour se mêlent, mais aussi à cette souffrance inlassablement présente au quotidien et qui ne cesse de s’exprimer avec force. Pour revenir à ce qui caractérise la dépression mélancolique il y a donc cette absence d’objet de souffrance, ce qui fait écho avec ce « J’en ai plus rien à faire », comme s’il était résolu et que plus rien ne l’attristait de façon concrète. Mais surtout, et c’est bien là que l’artiste nous emmène tout au long du projet, le rapport au suicide. Cette soluce dont il parle n’est pas simplement l’expression d’une envie de mettre un terme à ses souffrances. On y retrouve davantage une motivation ; dans l’attente de la mort, à rester en vie. Cette fascination morbide est ce qui aura tendance à maintenir le mélancolique en vie, conscient que la mort constitue le dernier moyen de s’accomplir dans sa propre existence. Une conclusion de vie oui, mais au-delà d’y mettre un terme il s’agit essentiellement de la terminer d’une façon propre, cohérente et surtout en accord avec ces souffrances engendrées. En résumé, dans les travaux de Binswanger, le suicide est un moyen chez le mélancolique de conclure sa vie par un feu d’artifice grandiloquent.


Miel ou Mort est donc un EP particulier. Particulier car il ne parlera pas à tout le monde, et  cela ne semble pas être le but derrière celui-ci. Mais cette particularité peut en faire un projet compliqué à assimiler et parfois même éprouvant. Pour autant la cohérence du projet, le travail derrière en font un EP vraiment réussi d’un point de vue objectif. Si musicalement le calme et la lenteur des flows peuvent le rendre parfois un peu redondant, il reste suffisamment riche pour y découvrir de nouveaux détails à la réécoute. Et surtout il est important de mentionner à nouveau nitro251 qui fournit un travail de grande qualité avec les prods fournies. Cela s’intègre parfaitement à l’univers de l’artistes et renforcent les propos tant les instrus collent à l’ambiance générale du projet.

Enfin, dans sa différence il s’approprie tout de même des codes propres au Rap, finissons donc sur cette phase pleine d’égotrip, extrait de l’ouverture du projet ; Mucoviscidose :

J’ai trop la flemme de rapper depuis qu’j’suis trop chaud

dasein foshan – Mucoviscidose
One thought on “Miel ou Mort, le goût du décès
  1. [Focus sur] dasein foshan, dans le fond des choses - LREF

    […] respirations et apportent une couleur différente à l’EP. Un sujet très bien traité par Cul7ure ici sur lequel je ne m’attarderai […]

    11 avril 2022

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