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Klub des Loosers – La Fin de l’Espèce

Klub des Loosers – La Fin de l’Espèce

L’été est terminé depuis un moment, ça fait longtemps que les températures n’ont pas dépassé les dix degrés. Seul un hiver froid se profile et vos doigts sont trop froids pour choisir d’écouter quelque chose de positif et d’estival. De toute façon, même dans toute votre bibliothèque Spotify, il n’y a rien qui vous donne envie d’esquisser le moindre sourire dans les transports bondés. Le seul album pour s’enfoncer encore un peu plus dans cette neurasthénie : La Fin de l’Espèce par le Klub des Loosers.

L’album s’ouvre avec un « Je suis vivant, bizarrement même les branches n’arrivent plus à me supporter », qui annonce en deux lignes la couleur et la froideur du reste du projet. Sept ans auparavant, sur son projet précédent (ironiquement intitulé Vive La Vie), il nous faisait comprendre qu’il n’y aurait plus jamais rien à attendre artistiquement (et humainement aussi) de sa part.

Je n’attends rien de cette vie, ce qui n’est pas trop grave.
Je pense avoir trouvé le moyen de mettre un terme définitif à tout sentiment d’ennui.

Klub des Loosers – Il faut qu’on parle.

En effet, comme le laissaient présager ces lignes ci-dessus, Vive la Vie n’était déjà pas un projet très joyeux. Et bah rassurez-vous, La Fin de l’Espèce non plus, puisque le point de départ du récit est donc cette tentative de suicide ratée. Qu’elle soit réelle ou fictive, ce qui compte ici, c’est tout ce qui en découlera après ; notamment le retour à la lassitude de sa vie quotidienne. Ça aurait pu être un album morbide et très gênant mais ce qui fait la force du projet, c’est le cynisme et parfois la subtilité dans le propos. Certains titres, de par l’utilisation extrême de l’ironie et du sarcasme finissent par même être plutôt drôles. Dans l’ensemble, c’est souvent direct, incisif et bien amené.

Entre mélancolie et totale misanthropie, l’album continue sur un ton lucide poussé à l’extrême. Fuzati, c’est Terrence Truman dans Utopia, cynique, froid et détestant intrinsèquement le genre humain. Accentué par un ennui viscéral et une vie sentimentale parfois chaotique, rien ne va ; même pas sa vie professionnelle. C’est ce dernier point qu’il raconte dans le titre L’indien. Il y décrit une vie d’employé complètement dépité et condamné à faire un boulot ennuyeux pour subsister. Contrairement à ses collègues de boulot, il n’accorde que très peu d’intérêt à ce travail et ainsi son recul lui fait encore plus détester sa situation.

Je me rappelle quand j’ai rêvé que les heures sup’ étaient payées
Et puis que je me suis réveillé parce que l’accueil m’avait appelé
Une pizza tiède est arrivée, 10 heures du soir toujours au taf.

Klub des Loosers – L’Indien

L’album vacille souvent entre des morceaux sans thèmes précis qui dépeignent juste cet ennui morbide (cf Volutes) et d’autres où il prend plaisir à romancer des instants de vie mais toujours avec des éléments trop réels pour être totalement inventés. On retrouve aussi un paradoxe dans ce projet. D’un côté, on retrouve une beauté assez jazzy de l’accompagnement musical qui est intégralement produit par lui et mixé par l’autre moitié du groupe : Detect, qui a remplacé Orgasmic. De l’autre, on garde un le fil directeur qui oscille entre misère sentimentale/affective et le détachement face à une société qui inspire que le dégoût. Même si le nom du groupe est assez évocateur sur ses ambitions, force est de constater que même si le rap de déprimé commence à devenir une mode, les albums ayant poussé le curseur si loin restent assez rares. en comparaison de La Fin de l’espèce.

Mais je ne peux rien y faire, la pire espèce se perpétue.
Comment leur dire à tous ces gens ? Vos gosses sont superflus

Klub des Loosers – Destin d’hymen

On a longtemps mis Fuzati dans une catégorie de « rap alternatif ». (s/o TTC et la Caution). En même temps, le ton morose de son discours est assez incompatible avec les tendances et donc avec un passage sur Skyrock ou NRJ. Du coup, le groupe est resté assez « underground » malgré un amour pour cette musique et une tonalité très Hip-hop NY de certaines productions boom bap avec du scratch.

En soi, alternatif ou pas, on s’en branle car ça reste des cases qui n’apportent pas grand chose. Pour autant, le groupe a été mis de côté vu que c’était très différent de ce qu’on trouve actuellement. D’autant plus que Fuzati avait la particularité grinçante sur ses projets précédents de ne pas toujours « rapper dans les temps ». On le lui a beaucoup reproché et c’est devenu une sorte de signature. Au final (et heureusement), il a adopté un flow plus « classique », ce qui rend l’album bien plus écoutable sur ce point.

Elles voulaient tant te faire venir, pressées par le compte à rebours
Mon fils reste dans le néant, je t’évite un aller-retour

Klub des Loosers – Non-Père

Pour conclure, l’album La Fin de l’Espèce est un bijou de pessimisme morbide et d’inconfort social. Cette haine pour l’humain et pour ce qu’il engendre est à la fois saisissante et déroutante. Cependant, ça représente seulement la première couche de l’album. On le souligne moins car ce n’est pas ce qui saute le plus aux yeux mais l’album est très réfléchi et est surtout très bien écrit. Les thèmes ne sont pas spécialement révolutionnaires cependant c’est plutôt la manière dont ils sont traités qui peut surprendre. On sent que c’est un fan de cette culture et qu’il a compris comment être très impactant. Il parvient aisément à jouer de son image, quitte à grossir le trait pour toucher directement l’auditeur.
Chercher la part de vérité ou de récit dans ce projet serait une perte de temps et ferait qu’on passerait à côté de l’essentiel : la musique. Même si le côté baudelairien qui déteste la vie peut être pesant et repoussant, la précision de l’écriture et la manière dont il arrive à ne pas tomber dans du spleen chiant et faussement dépressif d’un collégien triste rend l’album très intéressant. A voir si dans les prochaines années, les rappeurs vont pas commencer à envahir ce créneau car ça va être compliqué de le faire mieux que cet album.

Mais du coup, est-ce qu’on pourrait dire que Fuzati est un croisement entre Beaudelaire et Elliott Alderson? Rien est à exclure.